Tokyo Ghoul, tabous et merveilles
De nos jours, une tendance se dessine dans les séries, les animés et les films : une renaissance des productions gores. Or ce retour en grâce du genre se fait sous des auspices différents de son ancienne époque de gloire (Evil Dead si tu nous regardes). Mais là où l’on avait du délire décomplexé qui envoyait du trachouille cradingue et souvent un peu nanardesque, se trouvent aujourd’hui des concepts plus noirs, où le sang est traité comme une esthétique et où suintent des relents décadentistes mâtinés de porno chic. En clair, puisque je vous sens décrocher, on se rejoue la chanson éprouvée et romantique du déclin de l’Empire romain avec ses aristocrates dépravés vautrés dans le stupre et la luxure, libertins, nihilistes jusqu’au bout du trognon et qui s’émoustillent devant des massacres, du sang et de la tripaille de gladiateurs aux torses huilés.
Si la réalité historique est à des années lumières de ce tableau chargé de clichés, il n’en est pas moins que notre époque remet souvent sur le tapis ses propres déviances et joue au docteur via productions culturelles interposées pour se faire son propre diagnostic.
https://www.youtube.com/watch?v=psqI4Qne0Fo
Ainsi donc s’il est des époques où l’on pense l’apocalypse, non selon Saint Jean, mais selon Saint virus zombificateur, Saint climat déréglé, Sainte prophétie maya, Saint monstre géant… c’est bien la nôtre. Mais si on fait du gore teinté de sexe pour des causes plus ou moins cathartiques, ce n’est pas une raison non plus de repousser ces œuvres simplement à cause de ce délit de faciès. Il convient, plus intelligemment sans doute, de questionner leurs messages, leurs langages visuels, leurs récits… pour s’en faire une idée plus juste que les quelques outrances que l’on peut lire parfois. Mais bref, avec cette longue introduction mes chers lecteurs je souhaite vous présenter quelque peu le contexte du manga qui va suivre puisqu’il est totalement immergé dans notre temps et trouve des parallèles chez bien d’autres tels que Elfen Lied, Blood the last vampire, Hellsing Ultimate, Berserk et autres.
L’univers
Être actuel ce n’est donc pas forcément être mauvais ou être bon. Les époques changent, les goûts aussi et là où va la mode, les créateurs s’adaptent aux nouveaux codes pour raconter leurs histoires, avec les mêmes errements que par le passé. Dans le cas de Tokyo Ghoul on se retrouve dans la capitale japonaise à notre époque actuelle avec la particularité notable que des créatures, les ghouls (finalement tout est dans le titre) se goinfrent ponctuellement d’humains. Cela passe aux infos comme un phénomène pénible mais habituel et la vie s’écoule sereine. C’est un ordre établi et on nous fait grâce de comment sont apparues ces bestioles en tous points similaires aux humains, exception faite de leurs pratiques alimentaires pour le moins discutables. Elles sont obligées de se nourrir d’humains, et seulement de ça… enfin, elles peuvent aussi boire du café, mais toute autre nourriture leur est absolument intolérable au goût et les rend même malades. L’auteur a, par ces quelques éléments, bien posé son sujet ; il ne s’enferre pas des heures à nous expliquer l’anatomie des bestioles et comment elles font caca, comme c’est trop souvent le cas dans les films de zombis par exemple. L’univers est simple à conceptualiser puisqu’il est un calque du nôtre, avec simplement une vie parallèle, dans l’ombre, d’une autre humanité prédatrice, dont le statut pourrait presque s’apparenter à celui des mutants de Marvel, à ce seul détail près qu’elles boulottent les autres.
En cela on tombe en plein dans ce dialogue primordial de l’humanité avec ses tabous ; manger son père ou n’importe qui d’autre ce n’est pas très sympa et franchement de mauvais goût. Imaginez donc si un célèbre marchand de produits chimiques avait vendu des lasagnes à la viande humaine à la place de celle de cheval, je crois que ça rigolerait nettement moins sur le net et ailleurs. Or voilà, cette question de la consommation d’autrui va se poser de façon très frontale dans ce manga. Nous allons faire une première incursion en zone SPOILER, alors charmant lecteur appâté par l’odeur du sang et qui assume ses penchants décadents mais qui n’a pas encore vu ce manga, rejoins-nous quelques lignes plus bas !
Le fait que le héros se retrouve à moitié ghoul, garde son humanité et ses normes alors qu’il a à composer avec d’autres pulsions en lui-même, permet de mettre sur la table cette question viscérale (c’est le cas de le dire) de manger son prochain. Il s’y refuse, mais voit l’inéluctable se profiler ; il ne peut rien consommer d’autre et commence à saliver en voyant des gens dans la rue. La scène du passage piéton est absolument dingue. En le plaçant ainsi au milieu de la foule des anonymes et en focalisant essentiellement sur lui les autres sont déshumanisés et réduits à l’état de pitance en devenir. Les zooms qui sont faits sur des portions de leurs corps renvoient à cette logique et c’est plus des quartiers de bidoche que l’on voit que des humains vivants. Malgré tout la scène la plus hallucinante reste celle où il découvre son nouvel état de ghoul, quand il dévore ses courses frénétiquement. Le fait de l’avoir clôturé sur ce plan génial où, se rendant compte que son plat naguère préféré a un goût de cendre dans sa bouche, une larme vient perler sur sa joue. Après l’agitation du désespoir suit le calme pesant de la résignation et franchement, c’est brillant.
De cette dualité dans son être on ressent plusieurs directions envisagées par l’auteur. La première, très logiquement, est celle de médiateur entre les deux mondes qu’il est le seul à véritablement comprendre de l’intérieur. Mais du coup, cela le fait plonger dans une aventure introspective terrible, pendant la séance de torture, où la partition schizophrénique de sa personnalité retrouve son unité. La jeune ghoul qu’il a par la force des choses en lui joue un rôle absolument parfait en questionnant sa rationalité humaine pour l’amener à accepter son nouvel état. Le fait qu’il la bouffe, que les fleurs blanches se changent en rouge, cela avec en toile de fond l’histoire de sa mère, révèlent qu’il ne s’agit pas pour lui que d’une simple acceptation de sa nouvelle nature mais bien d’un tournant fondamental dans son existence. Il abandonne son comportement quasi christique dans ce qu’il a de plus passif, et ouvre les yeux sur le réel, sur l’effrénée compétition des hommes. Quitte à vivre dans un monde de loups autant être un tyrannosaurus-rex pourrait être finalement la morale qui ressort de ce coup de poing dans la gueule des idéologies les plus castratrices. Nietzsche aime ça !
Encore une scène très bien foutue…
Nous sortons de la zone spoiler, revenez par ici chers lecteurs, nous n’en avons pas fini avec ce très bon manga. Je crois qu’un des aspects les plus intéressants de l’œuvre reste son absence de manichéisme. Même si nous autres humains sommes des produits de consommation courante pour les ghouls, cela ne signifie pas nécessairement que toutes ces créatures soient des saloperies homicides pour le plaisir. Certaines tentent de s’affranchir du meurtre, se font nécrophages et n’aspirent qu’à vivre en bonne intelligence avec ces biftecks sur pattes que sont les humains. De l’autre coté, les humains brillent aussi souvent par leur sens inné de la justice qui, comme le disait Anatole France, est la « consécration de toutes les injustices ». Du coup, impossible de charger un camp de tous les torts, les actes vengeurs de certains entraînent davantage de maux et poussent d’autres à commettre d’autres injustices dans une macabre sarabande de massacres. Du coup, en réponse à la sanctuarisation en deux camps opposés et irréconciliables, l’auteur propose de mettre sur le banc des accusés la vengeance absurde, qui est seule cause du creusement des différences et des oppositions. Il montre qu’il faut être capable de mettre un terme au cercle vicieux, sans pourtant tomber dans de la guimauve poisseuse et moralisatrice. Les deux partis agissent en pensant faire tout le bien possible et simplement parce qu’ils ignorent tout de l’autre univers, ils agissent souvent avec brutalité contre des innocents pour laver le mal qui leur a été fait.
Des personnages… contrastés
Le héros a la tâche immense de réconcilier tout ce beau monde et pourtant, au départ, c’est pas le charisme qui l’étouffe. Un peu malingre, le nez plongé dans les bouquins, il est ce jeune homme poli qui aide les mamies à traverser dans la rue et qui dit pardon quand on le bouscule éhontément. Il est une sorte d’archétype de japonais trop bien élevé dans une idée d’effacement de soi et qui a besoin d’extérioriser pour simplement vivre. Ce n’est pas pour rien qu’il est affublé d’un ami à son antithèse, volontiers outrancier et un peu hâbleur. La jeune ghoul qu’il rencontre est aussi, en un certain sens, son opposée ; elle est forte, résolue, un peu dépitée par sa nature et particulièrement renfermée. Elle aussi crée un contrepoint par rapport à la personnalité en sommeil du héros qui, on l’aura compris, va devoir s’accomplir et se transgresser pour exister. Pour le reste des personnages, cela ferait un peu catalogue que de les citer tous. Ils vont du faux méchant malmené par l’existence au mentor classique des héros, en passant par une belle gamme de psychopathes avec des névroses majuscules. Ces derniers sont particulièrement « colorés » et nous invite à descendre avec eux dans la folie, qu’ils soient ghouls ou non. Le bon docteur Freud aurait en tout cas bien des choses à dire de leurs cervelles en friche. Le plus amusant à mon sens reste l’esthète gastronome ; il est tellement décalé dans l’horreur que son ambiguïté le rend fascinant.
Alors, si on récapitule, nous avons une bonne réflexion en amont, donc une œuvre qui sait où elle va et ce qu’elle souhaite véhiculer, de bons personnages malmenés par l’existence, deux camps opposés et aucun manichéisme bas du front, finalement il reste surtout à voir si l’intrigue tient debout et on aura fait un tour du propriétaire à peu près révélateur. Le déroulement de l’histoire tel que je peux le livrer se fait uniquement à l’aune de l’animé, honte à moi, car je n’ai pas encore lu le manga… Le départ se fait en trombe ; l’auteur joue sur le contraste entre la vie guillerette des protagonistes, toute en lumière et en sourire, pour l’envoyer d’un coup en enfer et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on est en haleine devant les tourments du héros. Cela marque ensuite un peu le pas afin de construire le récit et on aborde ensuite les méchants de façon progressive selon un crescendo classique dans ce type d’œuvre. Le dénouement est excellent, bien qu’un peu court, mais tellement jouissif… On ressent bien le sentiment d’avoir bouclé la boucle, contrairement à ce qui a été fait pour l’animé de Claymore.
Si la mode du trash ne vous gêne pas a priori, regardez cet animé. Les âmes un peu sensibles peuvent se rassurer car certains passages sont censurés (passage des couleurs en négatif) et ils n’auront pas droit à ce tsunami d’hémoglobine qu’était Hellsing Ultimate (énorme ! À chroniquer !). Les interrogations profondes qui conduisent à ce manga sont suffisamment pertinentes pour justifier la violence. Ce n’est pas un autre truc bourrin pour faire du bourrin et attirer le couillon en lui faisant renifler du cadavre. Ces thèmes soulevés sont très proches de ceux de Claymore (folie, tabous primordiaux…) et si vous en avez aimé un, vous aimerez probablement l’autre (à moins d’une fort regrettable allergie aux belles guerrières blondes… en l’écrivant je me dis que ça fait un peu wagnérien tout de même…)
Après recherche intensive (merci chérie) les fleurs rouges sont des lys araignée (je ne savais même pas que ça existait).
Bonjour, alors tant que les fleurs sont blanches il me semble bien que ce sont des œillets mais quand elles deviennent rouge je me demande si ce sont encore des fleurs réalistes??
quelle est le nom des fleurs ?