The Wire, pour le meilleur et surtout le pire.
Ça y est, il est enfin là. Tu l’attends depuis bien trop longtemps, le cœur meurtri, le corps refroidi, les jambes transies à force de patience. Non, non je ne te parle pas du printemps, malheureux ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre de savoir que tu vas t’égosiller dans un parc, en buvant des litres de San Pellegrino (boisson que tu n’apprécies pas spécialement mais qui rend bien sur les réseaux sociaux) avec ton chapeau de paille et tes Espadrilles made in BoboLand ? Soyons honnêtes, la seule chose qui compte en ce jour béni des dieux, c’est la sortie de cet article. C’est ton unique raison de te lever ce matin, je le sais. Ton rayon de soleil du milieu de semaine. Non, je n’en fais pas trop.
The Wire (Sur Écoute en Vf), c’est la série qui a redoré le blason de la fiction télévisuelle américaine. Alors c’est sûr, dit comme ça, tu te dis juste : « Wouah comment elle a l’air bien trop sûre d’elle la meuf ! » Mais si tu as déjà vu la série, tu sais de quoi je parle. Allez, pas le temps de niaiser, je vais t’expliquer le pourquoi du comment.
Cette série, c’est l’idée de l’auteur David Simon, un mec qui à la base était journaliste au Baltimore Sun, un quotidien américain. Frappé par tout ce dont il pouvait être témoin au sein de sa ville, et hanté par certaines histoires racontées par ses collègues, il souhaitait décrire de façon réaliste les différents liens qui se tissaient entre les forces de l’ordre, les différentes institutions de la ville (politiques, scolaires, médiatiques etc.) et la criminalité qui petit à petit, gangrène de toutes parts Baltimore. Une œuvre de cette envergure, en cinq saisons, au début des années 2000 (En effet, la série a commencé en 2002), ne pouvait être produite et diffusée que par HBO dont le fameux slogan « It’s not TV, it’s HBO » trouvait ici une caisse de résonance sans précédent.
Baltimore, ma jolie, pourquoi es-tu donc ainsi ?
Tu l’as donc compris, la série se déroule à Baltimore. Qui, on ne va pas se le cacher, est le personnage central de toute cette histoire. Putain, ce que cette série m’a fait aimer cette ville ! Alors, ouais, ceux qui connaissent doivent se dire que je suis masochiste, ou que j’ai pas nécessairement hyper envie de vivre au delà de mes 35 ans, vu le destin funeste de certains des personnages. Pourtant je t’assure mon petit loup, The Wire rend la ville belle dans toute sa crasse, des locaux du commissariat au quartier où les deals font rage, en passant par les docks. J’ai éprouvé tout au long de mon visionnage (tardif, malgré les piques lancées par mes copains) un sentiment d’attraction/répulsion envers la ville, un coup fascinée par la beauté funeste qu’elle me renvoyait, et parfois dégoûtée par le malheur dont elle était l’épicentre. Rarement une série, ou même un film d’ailleurs, n’aura filmé de façon aussi entière et sans concessions un endroit, le montrant dans tout ce qu’il a de beau, de laid, mais surtout de contradictoire. Après discussion avec mon acolyte Nemarth, fieffé féru de cette série s’il en est, il se trouve que je dois être une des seules personnes qui après avoir vu The Wire a envie de visiter Baltimore. Mais pour moi, même si la ville est montrée dans tous ses vices, la série décrit surtout un endroit névralgique. Où tout bascule pour certains, et où rien ne change pour d’autres. Où l’on aimerait voir pousser une fleur au milieu des ordures et de la misère.
La série a d’ailleurs été critiquée par certains, lui reprochant de ne montrer que les mauvais cotés de Baltimore au détriment des évolutions qu’il pouvait y avoir en son sein. Rappelons donc que David Simon, créateur et scénariste en chef, a effectué une plongée d’un an dans un département de la police criminelle afin d’écrire son bouquin intitulé Baltimore, puis encore une autre année aux cotés d’Ed Burns (ancien flic reconverti dans l’éducation et l’écriture, et bras droit de Simon dans la scénarisation du show) dans les quartiers ouest de la ville, où les trafics en tout genre faisaient rage, dans le but de se documenter pour pouvoir écrire The Corner, mini série ayant déjà pour décor Baltimore, et diffusée sur HBO deux années avant The Wire.
Si tu as donc envie d’une descente sans concessions ni enrobage sucré au cœur d’une des villes les plus ambivalentes des États-Unis, la série est faite pour toi. (Mais si tu as envie d’aller te balader du coté de Bellac parce qu’il fait plutôt beau en ce moment, je comprends aussi, même si l’ambiance sera moins thug.)
Cinq saisons, cinq ambiances sur le même thème
Donc normalement, si tu as réussi à tout comprendre jusqu’à maintenant à la lecture de cet article, une tasse de café dans une main et ton index dans le nez de l’autre, tu devrais avoir compris qu’on parle des différentes strates sociales d’une ville qui s’alimente du crime d’un côté pour le combattre de l’autre. Mais alors, te demandes-tu d’un air mi-perplexe, mi-intrigué, comment montrer la complexité d’un problème aussi gigantesque que la criminalité et ses ramifications socio-économico-politico-culturelles sans perdre le spectateur ni le fil rouge de l’intrigue ?
Et c’est là l’originalité de la série, et sa plus grande force. Le fil rouge n’existe pas, et différents fils conducteurs nous permettent de comprendre dans sa globalité toute l’histoire que The Wire raconte. En terme de construction de séries, elle était novatrice dans le sens où à chaque saison correspondaient une strate sociale et un point de vue différent sur la ville. Dans la saison 1, nous avions droit aux regards des forces de l’ordre et des gangs sur la lutte qui les oppose. La saison 2 choisissait de nous montrer comment le port, ancien cœur de la ville au moment de son essor économique, était devenu un lieu de contrebande, mettant notamment en avant le rôle des syndicats. Lors de la troisième saison, nous assistions aux guerres de pouvoirs politiques pour le contrôle de la ville. La quatrième saison nous montrait le point de vue du système éducatif de Baltimore, et de la difficulté d’inculquer à des enfants adultes trop tôt, et pris dans un engrenage, des valeurs autres que celles de la criminalité. Quant à la cinquième et ultime saison, elle nous montrait les dessous de la presse locale, entre quête du profit à tout prix, et indignation sélective des journaux sur quel fait mérite une couverture médiatique, et quel fait doit être passé sous silence.
Ce qui est incroyable dans une œuvre comme The Wire, c’est la modernité avec laquelle la série a su traiter tous les sujets qu’elle a abordés au cours de ses cinq saisons, de la corruption aux problèmes liés à la pauvreté, en passant par le racisme, ou l’homosexualité au sein de quartiers gangrenés par le trafic de drogue, dont les protagonistes sont souvent dépeints comme des hommes à la masculinité et virilité sur-développées.
Comme la chanson de NTM « Qu’est ce qu’on attend ? », la série a été annonciatrice de nombreuses problématiques qui allaient péter en pleine poire des dirigeants de ce monde quelques années plus tard.
Je pense notamment à ce qui s’est passé à Baltimore en 2015 , où après la mort du jeune Freddie Gray, afro-américain âgé de 25 ans décédé des suites de brutalités policières, des émeutes ont éclaté, avec par exemple la réaffirmation du slogan Black Lives Matters (slogan mis en lumière pour la première fois lors de l’acquittement de George Zimmerman pour le meurtre de Trayvon Martin, jeune noir dont le seul crime avait été d’avoir traversé le quartier de Zimmerman), montrant toute la colère sourde d’une partie de la ville (et plus généralement des USA) fatiguée de devoir pleurer les siens, la faute aux tensions raciales existant depuis de nombreuses années et dépeintes dans The Wire.
The Wire vaut aussi le coup pour ses acteurs, ses personnages et ses dialogues toujours percutants. Les personnages de Stringer Bell (joué par un Idris Elba déjà au sommet) ou d’Omar Little (interprété par Michael K. Williams, et personnage de la série préféré de Barack Obama, tant il est fascinant) sont des monstres de contradiction, d’horreur mais sont toujours à nos yeux des êtres humains, un peu à la manière de Walter White dans Breaking Bad. Les scénaristes ne cèdent jamais aux sirènes de la facilité, montrant toute la dualité qu’un homme peut avoir en soi, ses failles, ses erreurs mais aussi ses instants de rédemption ou ses pulsions criminelles. À Baltimore, tout n’est pas tout noir ou tout blanc, les nuances sont toujours présentes, même si de prime abord, il serait facile de catégoriser nos héros (ou anti-héros) dans des cases trop petites pour les définir. Les criminels peuvent avoir un code d’honneur que les politiques n’ont pas, et les plus tordus ne sont pas forcément ceux auxquels on pense. Encore une fois, le réalisme de la série et son aspect s’approchant parfois du documentaire lui permettent d’avoir une puissance évocatrice qui existe dans peu d’œuvres, tant nous sommes pris aux tripes et incapables de détourner le regard de notre écran. C’est plutôt bon signe non ?
Tu l’auras compris, The Wire est une œuvre fondamentale de la culture télévisuelle américaine voire mondiale. Acclamée par la critique et adoubée par les spectateurs comme une des meilleures séries de tous les temps, cette plongée au sein d’une Amérique meurtrie et crasseuse te tiendra en haleine non pas par des cliffhangers attendus à la manière d’un Game of Thrones, mais par une envie de comprendre comment un système peut en arriver là. Si tu es prêt à passer 60 heures à Baltimore sans décoller les fesses de ton canapé, lance le premier épisode, et laisse-toi porter. Tu seras peut-être dépité à la fin de la série, mais tu ne pourras pas dire que je ne t’avais pas prévenu. Et promis, si tu es vraiment trop mal à la fin, le rédak chef te paiera un Flunch. Les légumes à volonté, ça vous remonte un homme, tu verras.