The Wicked + The Divine : Gods, Pop & Rock’n’roll
Bon, Dieu n’est pas mort. Ou plutôt les Dieux ne sont pas morts. En tout cas pas encore. Mais ça va arriver, car comme le dit si bien the Wicked + the Divine, WicDiv pour les intimes (« le méchant et le divin » dans la langue de Molière) :
« Ce n’est pas parce que vous êtes immortel que vous vivrez pour toujours… » |
♫ Cause you and I we were born to die ♫ Lana Del Rey, Born to die
C’est en tout cas l’idée majeure de WicDiv dont le tome 1, intitulé « Faust départ« , est sorti il y a quelques semaines en France. Le pitch de l’histoire est original et envoie déjà du steak :
« Une fois par siècle, douze Dieux issus de différentes mythologies s’incarnent sur Terre dans le corps de jeunes adultes. Ils sont célèbres, adulés des foules. Ils attirent tout comme ils effraient. Ils seraient capables de miracles. Dans deux ans, ils mourront tous, disparaissant aussi vite qu’ils sont apparus »
L’histoire se passe maintenant, au XXIème siècle, dans un Londres cosmopolite suintant la pop-culture, le glam-rock et le punk. Au milieu de ce nouveau panthéon de strass et de paillettes, on suit Laura, adolescente de 17 ans en conflit avec sa famille (une ado quoi), qui ferait tout pour approcher ses nouvelles idoles. Et bien malgré elle, elle va ainsi se retrouver plongée dans quelque chose qui la dépasse. Au menu des Dieux présentés jusque là : Amaterasu, Baal, Sakhmet, Morrigan, Baphomet, Minerva, Woden (Odin en vieil anglais), et bien sûr Lucifer, personnage central de ce premier tome.
Mais comme je le disais ces Dieux ne sont pas n’importe qui le temps de leur incarnation. Car que désire plus un Dieu que l’adoration des foules ? Et qu’est ce qui représente le mieux des sortes de divinités inaccessibles mais suscitant l’adoration dans nos sociétés modernes si ce n’est des stars de la chanson ou du cinéma ? Le petit truc en plus et qui renforce l’aspect réel est que chaque Dieu a son propre style musical et son propre univers qu’on peut rapprocher à une star connue. Ainsi Sakhmet a tout d’une Rihanna, Baal est une sorte de Kanye West, Amaterasu n’a rien à envier à Florence + the Machine et Woden n’est rien de moins qu’un Daft Punk. Lucifer est, quand à elle, la copie conforme de David Bowie période Thin White Duke.
♫ I got the power make your life so excitin’ ♫ Kanye West, Power
Publié depuis 2014 chez Image Comics outre-Atlantique, WicDiv est imaginé par Kieron Gillen (qu’on a vu avant chez Marvel notamment sur Thor avec Journey into Mystery et sur Young Avengers) à la suite de la mort de son père. La mort est ainsi un des thèmes centraux du comics avec ces divinités qui n’ont finalement aucun contrôle sur leur vies éphémères de deux ans. Et ce qui pourrait apparaître comme des comportements capricieux, hautains ou puérils nous fait finalement nous interroger sur ce que nous ferions si nous n’avions que deux ans devant nous. La partie graphique est assurée par Jamie McKelvie au dessin (qui avait déjà bossé avec Gillen sur Phonogram et Young Avengers) et Matthew Wilson à la couleur. Et bon sang quel plaisir pour les yeux ! McKelvie arrive à donner une aura de classe et de charisme aux Dieux sans en faire des caisses. Ici pas de capes ou de masques et les femmes n’ont pas besoin d’être hyper-sexualisées pour attirer l’attention (contrairement à ce que semble croire une bonne partie des gens dans la pop-culture, BD compris). L’encrage complète le tableau pour rendre tout ça chatoyant et pop.
Mais WicDiv est tout sauf superficiel. Et m’est avis qu’on peut relire plusieurs fois chaque tome pour mieux comprendre l’histoire globale ou simplement remarquer un petit détail qu’on avait pas vu avant. On a déjà parlé du thème de la mort et surtout du caractère éphémère de la vie mais ces thèmes ne sont pas les seuls. On a, avant tout, une série dont les personnages centraux sont des stars et une ado émerveillée. Gillen met en avant la pop-culture et le star-system comme nouvelle religion du monde moderne. Et le parallèle avec la réalité est assez facile à faire. D’un côté on a des superstars qui se comportent comme des quasi-divinités à qui tout semble dû et qui ont pour fidèles des foules remplissant des stades (bien souvent pour un laps de temps assez court, avant de retomber dans l’oubli). De l’autre, on a des gamins, des ados, des jeunes adultes se cherchant des nouveaux modèles et voulant se rapprocher de leurs idoles. Mais aussi des gens pour qui parfois l’unique but de leur vie est de devenir une « star », même si c’est pour cinq minutes de gloire télévisuelle. De ce point de vue là, j’ai hâte de voir où Gillen va emmener le personnage de Laura.
WicDiv est aussi un comics reflétant l’énorme multiculturalisme et la diversité des sociétés modernes (que cet aspect soit intentionnel ou non n’est pas important en fait). Ces dernières années on a pu voir certaines voix s’élever contre l’uniformité des représentation dans la pop-culture. Que ce soit le cinéma, les séries, le jeux vidéo ou les comics, on a souvent à faire à des représentations très homme/blanc/hétéro/cis. Ça change progressivement et c’est cool. Pour moi le comics joue un rôle important dans ces phénomènes de sociétés et comme vecteur de message (les X-Men par exemple ont été créés dans les années 60 en pleine Amérique des Droits Civiques). J’avais déjà évoqué cet aspect dans mon article sur Infinite Loop. Et WicDiv est totalement dans cette mouvance. Déjà parce que la plupart des personnages principaux sont des femmes fortes (Lucifer inclus) et assez multi-ethniques (Laura est métisse, Baal ou Sakhmet sont noirs…). Et surtout, le comics et les personnages abordent sans problème une sexualité diverse et assumée : un des perso principaux est transsexuel, Baal a un mec, Lucifer parle clairement de son attirance pour les femmes et de ses soirées sexe (entre autres) ! C’est tellement rare dans les comics mainstream (DC/Marvel quoi) et d’autant plus sans être « forcé » que ça fait un bien fou à lire.
Avant de conclure, on peut difficilement parler d’une histoire avec pour personnages principaux des popstars sans aborder la musique. La musique sur une BD me demanderez-vous ? Et bien oui ! Car, au fil des années, Kieron Gillen a constitué une petite playlist de 375 titres dont les chansons, les artistes, les paroles collent à l’univers de son comics. Et c’est disponible à l’écoute sur Spotify (en cliquant ici). Je vous conseille de mettre ça en lecture aléatoire pendant que vous lisez ce tome 1, c’est vraiment approprié pour l’expérience (c’est d’autant mieux si vous maitrisez suffisamment l’anglais pour comprendre les paroles mais même sans ça l’ambiance est là). C’est pop, c’est rock, c’est électro, c’est hip-hop, c’est calme, c’est violent, c’est récent ou c’est ancien… bref ça claque !
♫ Making love with his ego Ziggy sucked up into his mind / Like a leper messiah ♫ – David Bowie, Ziggy Stardust |
Frais, original, glamour tout en étant dark, décomplexé, un véritable plaisir pour les yeux, The Wicked + The Divine s’impose comme un de mes coups de cœur comics de cette année. J’ai vraiment hâte d’en lire la suite. Édité par Glénat Comics dans une version classique (18 euros) déjà superbe et une version collector (30 euros) avec encore plus de bonus et d’inédits graphiques, c’est le cadeau de Noël 2016 parfait pour tout amateur de comics qui veut quelque chose de différent des récits classiques de superhéros.
PS : En lien je vous pose le replay de la soirée WicDiv organisé par Glénat Comics pour la sortie française en marge du Paris Comic Con (et je regrette vraiment de ne pas y avoir pu y aller cette année) : http://www.glenatcomics.com/galeries/soiree-glenat-comics-the-wicked-the-divine/
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