Les sentiers des Astres 1 : Manesh, enchanté.
Il y a deux grandes écoles de la fantasy, la High, et la Low, respectivement avec des elfes et des nains à chaque coin de rue, et une compagnie de héros vaillants pour l’une (Tolkien, Donjons et Dragons, Warhammer), et pour l’autre, des magies sombres et envoûtantes, où le mal n’est pas un seigneur des ténèbres cornu, mais l’Homme, avec tout ce qu’il a de complexe et contrasté (Conan, La Compagnie Noire, les bouquins de David Gemmell).
Certaines œuvres parviennent pourtant à marier à merveille les deux écoles, pour nous donner des histoires sombres et sans concessions, traitant de thèmes bien plus divers que le bien contre le mal. C’est d’ailleurs la tendance qui se dégage depuis un moment, avec des récits très gris et matures se déroulant dans des mondes crados remplis de violeurs, d’elfes sécessionnistes, et de blondins incestueux (A Song of Ice and Fire et la Saga du Sorceleur pour citer les plus connus).
Stefan Platteau, avec son premier roman, déboule en plein dans ce schéma, en amenant avec lui un monde atypique puisqu’en grande partie tiré de l’Inde et sa culture. Dépaysement total par rapport à la fantasy habituelle, dont les univers se basent bien souvent sur notre culture occidentale.
Un premier récit qui fait voyager et rêver, ou pétard mouillé décevant ?
Un petit tour de Manesh
L’histoire est celle de Fintan Calathynn, barde et conteur, qui nous décrit son périple le long du Framar, fleuve sacré qu’il remonte avec ses compagnons à la recherche du Roi-diseur, un puissant oracle vivant au Nord de toute civilisation, perdu loin en amont dans l’immense forêt qui recouvre les berges du Framar.
Leur but ? Demander à l’augure comment mener la guerre civile qui fait rage en leur pays natal, et qu’ils sont en train de perdre misérablement.
Dirigés par Kalendûn Rana, nos hommes sont ainsi pour la plupart des couleuvriniers, des résistants ayant pris le maquis et continuant la guerre civile par tous les moyens, et qui s’apparentent pour la plupart à des brigands de grands chemins. Mais le capitaine Rana a aussi amené dans ses bagages une courtisane et sa fille, pour des raisons qu’ignore Fintan, qui va tenter d’éclaircir ce mystère (comme nombre d’autres) tout au long de son aventure.
Rapidement, après quelques jours de navigation calme, les aventuriers trouvent dérivant sur une branche, un jeune homme aux deux jambes brisées. Qui est-il ? Que fait-il ici, seul, à des kilomètres de toute civilisation ? Est-il un espion, un ennemi ? Ou pire ?…
Revient alors à Fintan la tâche de recueillir le récit de l’inconnu, qui se baptise lui-même le Bâtard, afin de comprendre les raisons de sa présence sur le Framar.
S’alternent alors les deux récits, celui de Fintan le jour, décrivant les péripéties rencontrées par le groupe sur le fleuve, et le soir, celui de Manesh le Bâtard, qu’il confie à un barde curieux de l’histoire du rescapé. Prenant son temps délibérément pour garder secrètes les raisons de sa présence, Manesh parle longuement de son enfance et de sa famille, avant d’aborder la quête de sa vie, celle de son père.
Car Manesh n’est pas un homme comme un autre : il est le fils d’un géant solaire, et à ce titre, est un être à peu près aussi merveilleux qu’une licorne le serait dans notre monde bien réel ! Son histoire passionne le barde qui se laisse bercer par cette dernière, comme le lecteur, qui se passionne pour les déboires de ce bâtard intrigant et aux pouvoirs immenses.
L’ambiance du roman balance donc entre les découvertes sur le Framar, l’inquiétude qui ronge nos protagonistes dans ces terres inconnues et donc par essence hostiles, et les souvenirs doux amer d’un bâtard qui fait le récit de sa vie alors qu’il sent la fin venir.
Sentier désastre
Si Fintan ne s’appesantit que peu sur le monde et ce qui le compose, le récit de Manesh nous permet en revanche d’appréhender l’univers et de le découvrir à travers ses yeux d’enfants et de jeune adulte. Et malheureusement, le récit tombe dans un des gros travers de la fantasy : le name-dropping.
Vous savez, cette tendance à nommer ci et ça à l’outrance, sans qu’on ait encore pris la peine de vous expliquer ce qu’était justement ci et ça.
Bien dosé, cela donne au récit une aura de mystère et de découverte. Si on en abuse, on largue complètement le lecteur, qui en sort juste agacé. Dans le cas qui nous intéresse ici, l’abus est léger, mais suffisant pour vous faire râler et maudire cet auteur qui nous parle des dieux maléfiques du Vintou, avant de nous expliquer le mythe 200 pages plus loin, dans une séquence d’exposition complètement déconnectée de la suite du récit. Dommageable car le mythe est foutrement bon, mais amener un gâteau au chocolat dans une assiette dégoulinante de jus de viande, c’est péché.
Autre problème à imputer au roman, son rythme. Si le roman est lent à démarrer, avant de se prendre un monumental pied au cul qui va littéralement vous scotcher aux pages, les quelque 50 derniers feuillets viennent complètement désamorcer la pression et l’excitation qui étaient présentes. La faute à la forme du récit : là où tout explose sur le Framar et où l’action nous emporte vitesse grand V, les derniers chapitres du récit de Manesh viennent se poser comme un cheveu sur la soupe. Loin d’être inintéressants, ils sont bien loin de l’intensité qui faisait le corps du récit quelques pages plus tôt, et on se trouve être déçu mais surtout extrêmement frustré par cette perte en puissance, le roman se terminant en plus de ça sur un cliffhanger des plus convenus et des moins inventifs, dont on devine aisément le dénouement.
Exemple de Cliffhanger. Non, attendez…
Reste que l’on a affaire à un roman qui nous emporte, avec des mythes nombreux et originaux, et un monde qui se construit petit à petit au fil de notre lecture.
Un monde où les hommes n’ont jamais totalement oublié la magie et la puissance des mots, mais que nos protagonistes redécouvrent frontalement dans sa pleine puissance, confrontés à des merveilles et des horreurs dépassant leurs rêves et cauchemars les plus fous. Et c’est là la plus grosse réussite du roman. Nous plonger dans un récit à l’univers original, grandement basé sur ses mythes et ses histoires internes, où la magie est omniprésente, mais toujours légèrement hors de portée de notre compréhension, et parfois terrifiante à en glacer le sang, dans des moments rappelant LE mythe, celui du grand Cthulhu.
Nous contant deux histoires en parallèle, celle d’une compagnie s’aventurant dans l’inconnu, et la vie d’un demi-solaire, le premier tome des Sentiers des Astres nous emmène dans un monde atypique pour de la fantaisie. Mature, gris, et sans concessions, on se laisse rapidement emporter dans les différents mythes de ce monde, qu’ils nous enchantent ou nous terrifient, nous faisant défiler les pages aussi rapidement qu’augmente notre adrénaline, particulièrement dans des moments qui touchent à l’état de grâce, rappelant le Mythe de Cthulhu et l’insignifiance de l’Homme.
Malheureusement un rythme bâtard (vous l’avez ?) et une maladresse à amener les informations sur le monde de façon organique, viennent desservir totalement le roman qui aurait, sans ces erreurs de jeunesse, été une tuerie absolue.
Reste un bon roman qui fait le job et possède ses quelques grands moments de bravoure.