Persona 5 : l’arpège du JRPG
Aujourd’hui parlons bien, parlons JRPG de la décennie. Le cinquième opus de la série Persona (série spin-off des Shin Megami Tensei), tout droit venu de chez Atlus, peut en effet repartir chez lui avec la ceinture de champion, OKLM, et oui, je spoile à mort le verdict, mais qu’importe !
Un peu plus de 10 ans après un épisode 3 qui avait ouvert la série au grand public et surtout à l’Occident, Persona 5 vient pour transformer l’essai. Avec, toujours, la Sainte Trinité d’Atlus aux manettes, Persona 5 ne change absolument pas la recette de ses prédécesseurs : on a encore affaire à un simulateur de vie lycéenne, mixé à un système RPG exigeant, le tout enrobé dans une histoire passionnante. Ce qui le différencie de ses ainés pour le coup ? Du rouge, du style, des malandrins, du style, un vrai level design, et toujours plus de style, au point d’offrir au monde l’un de ses jeux les plus classes.
Georges Abidbol lui même ne le renierait pas.
Intro de Persona 5 Royal
Fatales Picaros
Comme d’habitude dans Persona, on incarne un lycéen débarquant dans un nouveau bahut. L’aventure se déroulera cette fois-ci à Tokyo, et quelques quartiers (existants) de la ville seront disponibles à l’exploration afin d’ancrer le récit dans la réalité.
La raison de votre arrivée à la capitale ? Un casier judiciaire. On incarne un criminel, et on comprend rapidement que si l’on a été envoyé à Edo, c’est pour y faire profil bas. L’homme qui aura notre garde pendant l’année scolaire à venir, c’est Sojiro Sakura, un cinquantenaire bourru, tenancier du coffee-shop subtilement baptisé Leblanc en hommage à Maurice. On habitera pas tant chez Sojiro d’ailleurs, que dans le grenier du Leblanc, qui servira de chambre mais aussi de base de repli à nos aventures. Parce que des aventures, il y en a, et elles arrivent à point nommé, pile poil pour le premier jour de lycée. La vie est bien faite !
Alors que notre héros est à la limite d’arriver à la bourre après une rencontre fortuite avec Ryuji Sakamoto, le cancre du lycée, nous voilà aspirés à l’intérieur d’un château fort. Médiéval, et tout ce qu’il y a de plus occidental.
Après un certain nombre de péripéties qui voient notre héros s’éveiller au pouvoir de sa Persona face à un prof de sport grimé en roi, les deux lycéens s’évadent grâce à l’aide de Morgana, un chat anthropomorphique. Ce dernier semble en connaitre un rayon sur ce château des horreurs, où des lycéens se font cruellement torturer sur ordre du roi. Une fois sortis et de retour à la réalité véritable, le héros, Ryuji et Morgana (qui est désormais un chat normal, si ce n’est qu’il peut parler), se décident à faire toute la vérité sur cette histoire de prof de sport abusif et sur ce château étrange.
Et je n’en dis pas plus, parce que je ne vous spoilerai point !
Commence alors un (très) long combat contre l’autorité abusive sous toutes ses formes, depuis le prof de sport, jusqu’au PDG ou au politicard corrompu. Tous sont coupables d’abus d’autorité et d’injustices, menant à la révolte de nos jeunes héros. Des jeunes bien décidés à faire avouer leurs crimes à tous ces adultes pourris jusqu’à la moelle.
Et ouais les gars, c’est pas parce qu’il y a de la J-Pop et des kilomètre de textes sur les culottes des filles que le JRPG devrait être intrinsèquement sans profondeur. Bon okay, FFXV, à part la bromance et les valeurs de l’amitié et du sacrifice, ça brasse pas des masses de thématiques profondes, certes.
Mais là, un jeu qui aborde la rébellion, la corruption, le sentiment d’impuissance de la jeunesse, la liberté opposée à l’ordre, tout ça de façon aussi frontale et subtile à la fois, ça mérite le respect. Surtout lorsqu’on sait que le jeu ne recule devant rien, et aborde des sujets aussi graves que le suicide ou les abus sexuels, de façon tout à fait pertinente, ni putassière, ni tire-larmes.
Tout ça sans être manichéen pour autant, puisque nos héros ne sont pas vraiment présentés comme des bons samaritains, déchirés qu’ils sont entre envie de bien faire et désir prononcé de popularité et de gloriole.
J’en oublierais presque de le dire, mais malgré son ambiance parfois lourde et ses thèmes assez sombres, le jeu reste un plaisir à parcourir grâce à une galerie de personnages drôles et attachants. Si on se tape moins de barres que dans un Persona 4 (la faute à un protagoniste ici moins enclin à l’humour absurde que ne l’était son prédécesseur), certaines scènes avec nos amis restent marquantes, par cette capacité qu’elles ont à vous inscrire un sourire de gamin heureux sur le visage.
Social Life Simulator 2017
Persona 5 peut se diviser en deux : d’un côté, on suit la vie quotidienne du lycéen japonais qu’est notre héros, dans une mécanique de jeu rappelant les simulations de vie et de drague chères aux Japonais ; de l’autre, on part explorer le Metaverse et ses dangers, avec un système RPG nerveux et tactique.
Attardons-nous ici sur le premier, comme le suggère intelligemment l’intertitre.
Persona 5 c’est un peu plus d’une centaine d’heures de jeu, et environ deux tiers seront dédiées à votre vie quotidienne : aller en cours, puis passer l’après-midi librement, avec de nombreux choix à faire pour occuper votre temps. Aller faire du sport avec Ryuji pour améliorer la relation avec ce dernier afin d’en faire un meilleur partenaire lors des combats ? Aller bouffer un bon gros burger pour améliorer vos statistiques sociales ? Se taper un bon bain, ou faire une partie de Baseball ? Ou bien simplement partir à l’attaque du metaverse ?
Autant de choix différents et capitaux auxquels il vous faudra réfléchir avec attention, puisque augmenter vos relations avec tels ou tels personnages vous donne des avantages non négligeables, dans le Metaverse. Être copain avec le petit génie du gaming débloque des techniques spéciales pour vos flingues, tandis que favoriser votre relation avec vos coéquipiers vous permettra de les renforcer pour les combats à venir.
Et comme on est dans un Persona, n’oublions pas l’élément drague absolument indispensable : si vous pouvez parler à une fille, c’est qu’il y a moyen de sortir avec elle d’ici la fin du jeu. Voilà. Et vous pouvez même sortir avec toutes en même temps si vous êtes chaud bouillant. Et ouais, pas besoin de choisir une waifu.
Mais vous pouvez pas draguer un seul homme. Pas de relations homosexuelles. Et l’absence de husbando, c’est quand même très triste dans un jeu qui se veut aussi progressiste.
Pas de Palais !… Pas de Palais.
Ces parties de jeu dans le monde réel alternent avec l’exploration de palais dans le metaverse, véritable partie RPG de l’œuvre.
Déambulant dans d’immenses structures, telles que des pyramides ou des usines SF, votre but est de vous approprier le trésor d’une cible donnée, afin de lui faire subir un « changement de cœur » (change of heart), qui lui fera avouer tous ses crimes et autres actions inavouables dans la réalité véritable. Moments centraux du jeu, c’est là que vous pourrez combattre les shadows, bien évidemment, mais aussi capturer des ennemis pour les ajouter à votre collection de Personæ. Ah oui j’oubliais de le dire : votre héros est capable de manier plusieurs Personæ à la fois, ce qui est plutôt utile pendant les bagarres où il peut en changer à la volée pour plus facilement profiter d’un One More.
Qu’est ce qu’un One More ? J’y viens !
Les combats se déroulent au tour par tour, et exploiter la faiblesse élémentaire d’un ennemi permet de le faire chuter, mais aussi de rejouer ! Mécanique centrale du jeu, elle peut aussi être exploité par les ennemis, puisque vos propres Personæ ont leurs faiblesses élémentaires : il n’est donc pas rare de se faire dévaster violemment son équipe après un engagement foireux. En revanche, si vous arrivez à faire tomber tous les ennemis en exploitant les faiblesses de chacun, vous passez en mode braquage : vous est alors offert le choix entre plusieurs options, comme les rançonner avant de les laisser s’enfuir, les abattre dans une attaque très classieuse, ou encore de leur demander de vous rejoindre, afin de compléter votre collection de Personae.
Conséquence direct de tout cela : les combats sont généralement très rythmés et vite expédiés, et il est assez rare de passer plus d’une minute à se fritter.
Les combats de boss sont eux, épiques et assez inventifs pour des combats de JRPG au tour par tour, et parfois sacrément difficiles pour certains !
Bref, impossible de bouder son plaisir devant un système de jeu aussi simple, mais révélant une bonne dose de complexité et de difficulté au fil des mois virtuels qui défilent.
Il faut bien que Jungesse se passe
Mais, c’est quoi à la fin une Persona ?
Commençons par le début, avec un peu de psychologie. Le terme de persona nous vient de Carl Gustav Jung, célèbre psychiatre Suisse, qui s’intéressait grandement au fonctionnement de la psyché humaine d’une part, mais également au mystique et à la spiritualité d’autre part (le bonhomme était très friand des philosophies orientales). Jung appelle persona le masque que l’on porte au quotidien, et selon nos interlocuteurs, afin de nous adapter à eux. Par exemple, vous n’êtes pas tout à fait la même personne quand vous discutez avec votre patron, que lorsque vous êtes avec vos amis. A autant de situations sociales différentes, autant de Personæ.
Du côté de la série, une Persona représente l’esprit combatif d’une personne qui s’est éveillé. A quoi ? Tout dépend.
Dans le troisième épisode, la Persona s’offre à une personne prenant conscience de la mort et acceptant celle-ci. Pour l’invoquer, on se tire une balle dans la tête. Et oui, évidemment, ça a pas mal choqué en Occident de voir des ados se tirer une balle (même imaginaire !) dans la tête à tout va. Même si, plus qu’une représentation malsaine de suicide (qui n’a de toute façon pas du tout la même connotation qu’en Occident), c’est un véritable symbole de force et d’acceptation de sa propre mortalité, thème principal de ce troisième volet.
C’est dans le quatrième épisode que les Personæ se trouvent être véritablement en lien avec la théorie Jungienne. Elles s’obtiennent ici, après qu’une personne ait fait face à son ombre, et accepté celle-ci. L‘ombre, autre notion définie par Jung justement, et faisant référence à cette partie en chacun de nous que l’on prétend ignorer, tassée au fond de notre conscience parce qu’elle nous dégoûte. Amas de tous nos défauts inavouables, il ne faut pas en revanche la voir comme fatalement mauvaise.
L’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais.
Carl Gustav Jung
Faire face à son ombre, la connaitre, et surtout, l’ACCEPTER, car il est impossible de la combattre, voilà ce qui permet d’apprendre qui on est et donc de s’élever. Ce que font chacun des protagonistes du quatrième épisode, leur permettant au final d’invoquer leur Persona, et ce via une paire de lunettes qui représente symboliquement leur vision, désormais claire, concernant qui ils sont vraiment.
Quid de Persona 5 ?
Avec sa thématique de l’injustice et de la lutte contre l’autorité profondément ancrée dans son ADN, l’arrivée d’une Persona survient lorsqu’un esprit de forte rébellion s’éveille chez quelqu’un. La toute première invocation d’Arsène, la Persona originelle du protagoniste, se révèle d’ailleurs être une scène plus que dantesque ; notre héros, enfin libéré de ses chaînes et de son impuissance face aux exactions des puissants, s’en donne à cœur joie pour éliminer les menaces à sa liberté, et à celle d’autrui. Et qu’est ce qui représente la Persona dans cet épisode, après les flingues du 3 et les lunettes du 4 ?
Un masque. La boucle est bouclée !
Rien d’étonnant, enfin, à ce que les Personæ de nos amis soient, non pas des dieux de différentes mythologies comme c’était le cas pour les épisodes précédents, mais des bandits et voleurs, issus de l’histoire et de la littérature, des pícaros : notre héros a ainsi pour Persona initiale Arsène ; Morgana, le chat-mascotte du groupe manie Zorro ; Ryuji, l’ami rebelle se retrouve avec le capitaine Kidd ; Ann, femme fatale en apprentissage, hérite de Carmen ; Yusuke, le peintre excentrique se place sous la protection de Goemon ; Makoto, sérieuse et réfléchie, chevauche la papesse Jeanne (qui prend la forme d’une moto) ; Haru, la timide bourgeoise est associée à nulle autre que Milady de Winter ; tandis que Goro est associé à Rouge-gorge Capuche.
Chacune de ces Persona vient bien sûr nous en apprendre un peu plus sur le caractère du personnage et sur son vécu, façon assez intelligente de développer ou du moins d’introduire certains traits de nos protagonistes sans pour autant les expliciter frontalement.
Atlus dans l’bus !
On ne change pas une équipe qui gagne ! Depuis Persona 3, on a en effet un trio gagnant à la tête de la série. Je veux bien sûr parler de Katsura Hashino, qui en est le grand architecte en sa qualité de réalisateur de la série ; du talentueux Shigenori Soejima, responsable des artworks et du design manga tellement stylé des Persona ; sans oublier Shoji Meguro, génial compositeur d’une bande-son aux accents Rock, Pop, et surtout Jazzy. J’ai laissé quelques extraits de son œuvre au fil de cet article, j’espère que vous en avez profité !
Si Persona 5 est dépassé techniquement, il a en revanche les plus beaux menus et la plus belle interface de l’histoire du jeu vidéo contemporain ! Prenez en de la graine les mecs, c’est à ce que ressemble des menus qui ont de la gueule ! On peut d’ailleurs chaleureusement remercier Masayoshi Suto, le dév’ responsable de ladite interface.
C’est par ce genre de détails qu’on sent le jeu japonais, sur cette finition minutieuse. Et les menus ne sont pas juste de l’art pour l’art, attention : la jouabilité des combats est extrêmement gracieuse et simplifiée par rapport aux précédents épisodes, et elle peut les en remercier.
L’esthétique du jeu a d’ailleurs pas mal essaimé sur le net, puisqu’elle a donné naissance à quelques mèmes, pas tous réussis, mais qui touchent pour certains au divin. Ou encore, celui-ci, que je ne résiste pas à vous partager.
Du côté des inspirations évidentes du jeu, on peut citer Arsène Lupin, puisqu’on parle ici de gentlemen cambrioleurs, et qu’Arsène constitue la Persona de base de notre protagoniste.
Par filiation naturelle, on peut aussi parler de Lupin the Third, fabuleux manga de la fin des années 60 extrêmement groovy. On y retrouve un certain Lupin, troisième du nom, entouré de ses amis Goemon, Fujiko, ou encore Jigen, dont le design a très grandement inspiré celui de Sojiro Sakura.
Outre l’inspiration visuelle évidente que Soejima a tiré de Lupin the Third, toute l’ambiance musicale de l’anime et tout ce côté gentiment délirant se retrouve également dans le jeu, avec ses musiques jazz et ses personnages un peu foufous.
Et je le prouve avec cette fantastique intro de l’animé Lupin,
que certains d’entre vous connaissent sous le nom d’Edgar de la Cambriole
Chef d’œuvre absolu du genre, Persona 5 se doit d’être joué par vos doigts boudinés et dégusté de vos yeux ébaubis.
Pas d’excuses si vous aimez les RPG, les mangas, le Japon, les histoires profondes, les trucs stylés, ou même simplement respirer.
Non, sans rire, c’est l’indispensable des indispensables de cette année aux côtés de Zelda BOTW, et pour peu que vous parliez anglais, Persona 5 DOIT faire partie de votre ludothèque. Un grand jeu au système maîtrisé, à l’histoire profonde et complexe, avec des personnages qui vous suivront longtemps.
Parce que terminer un Persona, c’est aussi se briser le cœur en adressant des adieux à ces pixels que l’on a appelé nos amis pendant plus d’une centaine d’heures. Et les jeux qui vous brisent le palpitant d’aussi belle manière, ça ne court pas les rues.
Un jeu à faire absolument, et à refaire, en attendant le prochain RPG venu de l’écurie Atlus et du studio Zero !
J’en profite pour apporter une autre référence culturelle qui à mon sens, a inspiré la création d’un personnage. Toutefois pour éviter le spoil, je ne citerai que l’oeuvre : Death Note, un manga policier fantastique. En espérant que le rapprochement sera facile à faire pour ceux ayant fini le jeu ;)
Superbe critique du jeu ! Pour l’avoir fini il y a quelques temps, je n’arrive toujours pas à me remettre du voyage ! Le plus marquant à mon sens, c’est tout ce qui concerne le travail d’écriture quant au scénario et surtout aux personnages. Ces jeunes lycéens rebelles ne sont absolument pas stéréotypés (au contraire de nombreuses productions japonaises) et mettent en avant un passif riche qui fait comprendre, aux côtés de leur Persona, les véritables raisons de leur révolte. Si mon gros coup de cœur est pour Makoto puis Sojiro, j’ai pris beaucoup de plaisir à parcourir l’aventure avec tous ces personnages (bien que Ryuji puisse être particulièrement irritant à certains moments).
Bref, je m’égare. Persona 5 est un monument du jeu vidéo : direction artistique ultra stylée et classe, une BO à s’en damner, et un game design qui vient donner une grande leçon du genre à toute l’industrie. Un niveau d’anglais correct est toutefois exigé pour pleinement savourer le jeu.