[Sortie DVD] Le Vent se Lève : Ca déconne Zéro chez papy Hayao
Ce mercredi 5 novembre sort en DVD dans nos contrées Le Vent se Lève (Kaze Tachinu dans la langue de Sangoku) du pilier de l’animation japonaise Hayao Miyazaki. L’occasion d’un retour sur ce der des ders avec de vrais morceaux d’adieux dedans.
Le Vent de Lève est censé raconter la vie de Jiro Horikoshi, concepteur des Mitsubishi A6M Zero, avions de chasse de l’armée japonaise ayant fait de sacrés dégâts pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Tout un symbole et pas qu’un peu.
En réalité tiré d’un manga de Miyazaki lui-même, le film réinvente totalement le personnage et sa vie, tout en adaptant plus ou moins un livre éponyme de Tatsuo Hori écrit en 1936. Pas besoin de vous dire qu’il y a assez peu de rapports entre un livre des années 30 et la vie d’un ingénieur de la deuxième Guerre Mondiale. Si, si, faîtes le calcul. Vous pouvez trouver.
Le titre quant à lui (du livre, du manga, du film,… enfin Le Vent se Lève quoi) provient d’un poème de Paul Valéry. Il n’a donc aucun rapport avec le film de Ken Loach qui s’appelle à l’origine The Wind That Shakes the Barleys en référence à une chanson irlandaise et signifie « Le vent qui secoue l’orge » pour toute personne autre qu’un traducteur français ivre. La citation du poème est d’ailleurs ici très largement prononcée en français dans le texte, kokoriko (avec l’accent nippon).
C’est un oiseau ? C’est un avion ? C’est Superm… Non non en fait c’est un avion
Pourquoi Hayao déconne Zéro à part pour faire une allitération et un jeu de mot sur un engin de mort ? Et bien on peut dire qu’après Ponyo sur la Falaise, notre papy semble en avoir eu marre de s’adresser à des mioches. Non pas que le film contienne les fulgurances violentes d’un Princesse Mononoke mais le traitement ferait chier quiconque encore en âge de jouer aux pogs (comment ça les enfants de maintenant jouent plus aux pogs ? Génération perdue, tout fout le camp…)
On parle d’une période pas drôle, d’un sujet sérieux et de destins tragiques. Et c’est pour beaucoup ce parti pris qui démarque le tout du reste de la filmo de Miyazaki et en fait une œuvre particulièrement fascinante.
Certes on retrouvera un florilège de ses obsessions, comme les ravages de la guerre, les personnages idéalistes et rêveurs, ou encore la virtuosité technologique des hommes fourvoyée dans ses délires de destruction.
Mais surtout les navions.
Vrouuuu vraaaaa vrouuuuaaaaa tatatata.
Des navions partout, tout le temps.
Parce qu’Hayao, fils d’un directeur d’entreprise aéronautique (qui produisait, entre autres… des Zeros), n’a pas cessé depuis trois quarts de siècle d’être fasciné par ces bestiaux et, quand il n’en a pas foutu plein ses films, a mis d’autres trucs qui volent à la place.
Alors pour sa dernière œuvre, il fallait qu’ils en soient le centre. Sous toutes les coutures, des plans au produit fini en passant par le squelette, la moindre articulation, la physique de l’air, la pression sur la structure, la réaction du plus petit boulon. Rêvés, grandioses, pratiques, foirés, en fer, en bois, en macramé. Rarement on aura vu autant d’efforts mis dans la sublimation des engins volants, à la fois apothéose et retour aux bases pour un type qui a fait voler des sorcières, des châteaux et les aéronefs les plus fous.
Seppuku trop sérieux
Mais Miyazaki a aussi été marqué dans sa prime jeunesse par les ravages de la Seconde Guerre Mondiale. Ce traumatisme a valu à son œuvre ses scènes de destruction apocalyptiques, son rapport à la technologie et un pacifisme particulièrement farouche. Là encore, trêve de métaphores chihiresques et retour aux sources : le film, au travers de Jiro Hirokoshi, se fait témoin d’un Japon en plein délire impérialiste, un pays qui se vit arriéré et complexé par ses partenaires européens, prêt à tout sacrifier pour rattraper leur puissance et prétendre à la gloire à laquelle il se croit destiné. Quoi de mieux pour cela que l’histoire de ces avions légendaires, conçus par un génie dans une aéronautique à la rue par rapport aux cadors occidentaux.
La misère, les discours nationalistes, le pouvoir oppressif, la folie dangereuse du Japon dans les années qui le mèneront à la guerre,… Tout est là, en fond, derrière un personnage, plus artiste que marchand d’armes, qui ne se préoccupe que d’une chose : construire son putain de chef-d’œuvre.
Tout ça est là, sans détour, concret et réaliste.
Car non, dans Le Vent se Lève, point de fantasy, de monstres impossibles et d’esprits de la forêt. La seule part onirique du film vient des rêves du petite génie qui se voit les partager avec son idole, l’ingénieur en aéronautique italien Caproni. Je veux pas vous spoiler, mais il rêve beaucoup d’avions (vrouvratatatata).
Trêve d’artefacts magiques non-euclidiens : ici les machines c’est chiant à faire et ça casse pour un oui pour un non. Ici, la politique, c’est très chiant et très compliqué, pas comme dans un Porco Rosso où les fascistes pouvaient être compris même par les enfants comme des vilains méchants. Et pas non plus d’amants maudits par des sorcières des sous-bois : l’amour, en vrai, c’est des petites choses toutes cons.
Papy fait de la résistance
Et c’est à mon sens là que Miyazaki rappelle une bonne fois pour toutes que c’est lui le daron et qu’il n’y a pour l’instant pas vraiment de relève (en tout cas pas depuis la mort trop jeune du génie en devenir Satoshi Kon… damn you, cancer de la prostate !).
Car Le Vent se Lève est beau comme du Ghibli, flamboyant comme du Miyazaki, mais sans l’appui de leurs visions fantastiques. Il transcende les éléments les plus terre-à-terre, extrait la poésie des choses les plus simples et met brillamment en scène les moments de vie, tout comme ses avions terriblement réalistes se voient représentés comme des merveilles plus belles que le château le plus ambulant. Pour peu qu’on accepte de ne pas avoir sa dose de totorories, on se laisse émerveiller par des personnages plus mornes qu’à l’accoutumée, emporter par une romance aussi timide que sublime autour d’un simple avion en papier, subjuguer par une règle de dessinateur ou par un discret geste de la main.
Pourtant, ne vous y trompez pas, on est bien dans l’allégorie avec ce faux biopic-adaptation-d’un-roman-sans-rapport. Car au Japon, le Zero est un symbole et la guerre un événement fondateur. Ce qui n’a pas manqué d’attirer moulte controverses autour du film.
De la droite déjà, qui lui a reproché son antimilitarisme, son absence de patriotisme et son portrait peu flatteur d’un Japon impérialiste à la limite de la folie furieuse. Mais bon, ça, papy Hayao, ancien communiste, pacifiste de combat et écologiste radical doit avoir l’habitude, y compris lors de ses déclarations publiques qui irritent les conservateurs façon wasabi dans le calbute.
Mais aussi de la part de la gauche ou d’une partie des sud-coréens dans un contexte de tension avec les nippons. Car on n’a pas manqué de reprocher à Miyazaki de représenter le créateur de machines de mort comme un homme bon, de ne pas vraiment montrer les ravages de ses jouets ou de ne pas représenter les travailleurs forcés (souvent étrangers) qui les ont construit. On peut comprendre en effet une certaine gêne face à un homme qui décrit comme des merveilles, y compris publiquement, des machins qui ont rasé votre pays.
« Miyazaki se barre, il faut tenter de vivre »
Le parti pris a peut-être de quoi surprendre, pourtant le propos est à la fois très fin et sans ambiguïté. Le film, inspiré par une citation du vrai Korikoshi qui disait « Tout ce que je voulais, c’était créer quelque chose de beau », s’articule entièrement sur l’opposition entre la magnificence de ces œuvres et la malédiction qui les transforme en outils de mort. Le personnage, qui est notre seul point de vue, n’a qu’une obsession, qu’une volonté à laquelle il consacre sa vie : créer les plus formidables avions qui soient. Au détour d’une scène, il propose devant une foule hilare qu’on enlève les mitrailleuses pour améliorer l’aérodynamisme. Puis reprendra le travail.
Ce genre d’instants résume la virtuosité du film : subtil, juste, sans bout de gras ni lourdeur. Miyazaki est un maître qui ne s’encombre plus et peut tout dire avec peu.
Le Jiro de Miyazaki n’est pas l’un de ses héros combattant pour une cause, animés de principes indéboulonnables tels un Porco Rosso se refusant à employer des armes létales. C’est un personnage passionné et tragique, conscient de sa malédiction et assumant son destin comme celui de ses œuvres. Au final, les conséquences ne sont pas réellement montrées dans toute leur horreur, mais plutôt comme un rêve au sens on ne peut plus clair, concluant ce qui était depuis le début annoncé. Pas de chougnages sur le mode « omg qu’ai-je donc fait ? », « serais-je devenu zun monstre ? », « mais pourquoi tant de haine hein c’est vrai ça après tout ? ».
Juste la fatalité.
Reprocher à Miyazaki sa fascination pour des machines de guerre ou une bienveillance envers leur créateur, c’est comprendre le film à l’envers. Après une vie entière à nous expliquer que la guerre est aussi vaine qu’atroce, il ne semble plus avoir besoin de le répéter. Le Vent se Lève n’est pas là pour en arriver à cette conclusion : elle est son point de départ, une évidence sur laquelle repose une démonstration plus profonde encore.
Le sens n’en est que plus fort. Il est peut-être aussi le reflet d’un Miyazaki sur la fin de sa vie et résigné, qui n’a rien perdu de ses convictions mais beaucoup de ses espoirs.
Le dernier chef-d’œuvre d’un vieil homme qu’ont aura pu entendre dire récemment « La catastrophe, l’engloutissement d’une cité aussi tentaculaire que Tokyo, je l’attends de pied ferme parce que pour moi il n’y a rien à sauver. »
Perle du maître épurée de ses visions fantastiques, œuvre frontale la tête dans l’allégorie et les pieds dans le cambouis du réel, Le Vent se Lève est un baroud d’honneur à tous les niveaux, synthétisant beaucoup de ce qui a fait l’œuvre de Miyazaki en revenant à ce qui l’a inspirée, et qui n’oublie pas de rappeler à la terre entière pourquoi c’est lui le patron.
Bon après, c’est sûr, ça manque de kamis improbables. Et y’a beaucoup d’avions.
Trop occupés à saluer ses fantasmagories ou la profondeur politique de ses films,
on ne parle jamais assez du talent ahurissant du maître pour les histoires d’amour
Post-scriptum : Bon la musique c’est encore Joe Hisaishi, c’est beau à en pleurer, voilà, pas la peine de s’éterniser.