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Le quidditch en vrai. « Mais vous faites comment pour le Vif d’or ? »

Issu de la saga qu’il-n’y-a-plus-lieu-de-présenter Harry Potter, le quidditch, sport de tous les fantasmes de geeks, a clairement été inventé par quelqu’un qui ne comprend rien au sport. Ou pour être plus précis, par quelqu’un qui a grandi en regardant de loin des sports tels que le rugby et le cricket, et en a fait une parodie. Règles obscures, liste de fautes impressionnante, et historique qui confine au légendaire, le quidditch n’a rien à envier à ses équivalents britanno-moldus. Et en plus il se joue sur des balais. Volants.

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Allez, la voilà, la photo obligatoire. On passe à autre chose ?

Pour résumer rapidement, il y a sur le terrain les poursuiveurs qui doivent marquer des buts dans les anneaux avec une balle appelée souaffle, tout en évitant d’autres balles ensorcelées appelées cognards, que les batteurs adverses leur envoient dans la tête (ou ailleurs, mais c’est plus rigolo dans la tête). Et puis il y a le vif d’or, toute petite balle indépendante qui essaie de fuir pendant qu’un « attrapeur » dans chaque équipe a pour tâche de, mais oui, l’attraper.

Arrivés à ce moment de l’histoire, il y a deux catégories de personnes : les gens normaux, et ceux qui trépignent d’excitation en criant « Neeeeeeeed ! », et s’empressent de jeter leur dignité au tapis pour se mettre à se courir après avec un bout de bois entre les jambes, en se jetant des choses dessus. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit. Et comme les premiers étaient américains, et n’étant pas du genre à faire les choses à moitié, ils se sont mis à codifier tout ça.

De la blague au sport

amelAinsi donc, le quidditch « moldu » était né. Nous étions en 2005. Soulignons tout de suite l’ingéniosité mise en œuvre dans l’adaptation : ici les cognards n’étant pas à tête chercheuse, ils ont été remplacés par un jeu de type balle au prisonnier, où les joueurs touchés doivent descendre de balai pour retourner à leur camp (la règle originale voulait qu’ils tournent trois fois sur eux-mêmes les yeux fermés !)

Le balai étant un élément indispensable pour la fantaisie, il est devenu l’essence même de ce sport : après tout, au foot on ne joue qu’au pied, au rugby on ne passe qu’en arrière, au hand on ne doit pas faire plus de trois pas sans dribbler… et bien au quidditch, on fait tout d’une seule main (enfin, presque. Mais c’est l’idée.) Et du même coup, réceptions, placages, sprints, tout prend une dimension technique insoupçonnée. Les capes, elles, n’ont pas duré : ça équivalait à courir avec un lasso autour du cou, avec tout ce que ça implique de danger.

Quant au vif d’or… c’est encore une trouvaille de génie. Voyez plutôt :

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Existe aussi en taille normale.

C’est comme tous les jeux d’enfant en mieux, c’est comme l’épervier si la proie avait le droit de te mettre le nez dans la pelouse, c’est l’ultime affrontement. Le Vif d’Or est un individu fier, plus ou moins fuyant ou combatif, et prêt à tout pour qu’on n’attrape pas la balle attachée à son short. Comme sa capture met fin au match et est souvent décisive, c’est le point culminant de toutes les émotions.

D’ailleurs remarquons tout de suite que non, il ne vaut pas 150 points. C’est complètement… disons complètement la preuve que Rowling n’a qu’une vague notion de ce qu’est « le sport ». Ici il vaut 30 points, ce qui est déjà assez pour gommer un léger déséquilibre de score, mais guère plus. Et surtout, il n’apparaît qu’après 18 minutes de jeu, ce qui donne largement le temps de briller aux six autres joueurs, qui ne sont, pour être honnête, que des faire-valoir dans la version sorciers (JK… bon, j’arrête).

Tous les éléments sont réunis. Il est de coutume de dire qu’on vient au quidditch pour Harry Potter, et on y reste pour le sport. Ce n’est pas tout à fait vrai, un certain nombre de joueurs se plongent dedans avant tout pour le défi sportif, et n’ont même pas lu les livres ou vu les films. Mais il faut reconnaître que pour les autres, une fois passé le choc de constater que oui, c’est définitivement un vrai sport avec une vraie dimension physique, si on reste c’est qu’on est prêt à aller au charbon (ou au mastic, cong !) et pas juste parce que les gens sont sympa.

Tous égaux dans la gadoue

Et pourtant ladite sympathie des gens fait des miracles. En tant que sport « de geek », le quidditch attire aussi bon nombre de personnes que la simple idée de pratiquer un sport collectif faisait rire, ou même effrayait. Mais bizarrement, ils sautent le pas. Les explications sont nombreuses et la communauté du quidditch est un aimant à sociologues. L’auteur de ces lignes a une théorie : quand on rejoint un groupe de gens dont la passion commune est de courir avec un tube de PVC entre les jambes, on est sûr de ne pas être jugé ! Mais ce n’est pas forcément suffisant. Ce qui fait la force du quidditch, c’est aussi son application d’une règle qui n’a même pas besoin d’en être une dans la version sorciers : la mixité.

aussieEn effet, si on exclut le côté folklorique du balai, ce qui surprend le plus au quidditch est le fait qu’il y ait en même temps sur le terrain des personnes des deux genres, et même plus. Il s’agit tout de même d’un sport de contact ! Mais il suffit d’avoir vu une fois un mec baraqué se faire malmener par une petite jeune femme pour comprendre toute la puissance du message que porte l’existence même du quidditch. Il n’est pas question de nier les différences physiques, mais juste d’affirmer que chacun a sa place sur un même terrain, et assister à un match permet de constater que ce n’est pas contre nature, la diversité des postes et des rôles crée une vraie complémentarité entre tous. La règle veut donc qu’il y ait un maximum de quatre joueurs du même genre sur le terrain au même moment.

Et donc parlons d’une dernière particularité, et non des moindres : le quidditch reconnaît les genres dits non-binaires.

Autrement dit, ce qui compte n’est pas votre sexe assigné à la naissance, mais comment vous vous sentez dans votre corps et votre tête. Homme, femme, non-genré, bigenré, autres variations… Pour la grande majorité des gens avoir un genre en conformité avec son aspect physique et sa morphologie sexuelle est une évidence, au point qu’il est très difficile d’imaginer voire d’admettre qu’il puisse en être autrement. Mais c’est bel et bien le cas, et la reconnaissance de cette situation est quelque chose de très important, et pour les personnes concernées peut être un premier pas vers le terme d’une vraie souffrance. Le quidditch fait en quelque sorte un deuxième pas dans cette direction. En reconnaissant explicitement aux gens le droit d’être considérés comme ils souhaitent l’être, il crée un espace de confiance mutuelle qui va au-delà du cas des personnes transgenre.

The quove is real

C’est la combinaison du large esprit de tolérance, et du simple fait plus courant d’avoir une passion commune qui fait de la communauté du quidditch quelque chose d’unique. A l’échelle européenne, on retrouve des dizaines d’équipes, dont certaines réellement compétitives dans des endroits aussi reculés que la Turquie ou la Norvège. En regardant plus près, c’est en Grande-Bretagne que le quidditch est le mieux implanté, peut-être pas tant à cause de son origine à la fois réelle et fictive, que parce qu’il correspond particulièrement bien à ce cocktail british d’attrait pour les sports « différents », l’humour loufoque, et la boue. (Rappelons qu’on parle du pays qui organise des courses à la poursuite d’une meule de fromage).

En fait le quidditch est quasiment le sport le plus normal chez eux.

Si on y rajoute un esprit communautaire au niveau universitaire relativement semblable à celui qu’on peut rencontrer aux Etats-Unis, on arrive à plus d’une trentaine d’équipes, souvent nées au sein de ces mêmes universités, mais qui tendent à s’en démarquer au fur et à mesure que les premiers joueurs complètent leurs études (Les débuts sur le Vieux Continent datent des environs de 2011). La France n’est pas en reste avec un nombre croissant d’équipes (plus de vingt au dernier décompte), talonnée voire surpassée par l’Espagne et l’Allemagne.

catchAu niveau des titres par contre, les deux dernières années ont tourné à l’avantage des Français avec deux victoires en coupe d’Europe des clubs pour les Paris Titans, et un titre de champion européen pour la sélection tricolore. Ils ont cependant moins bien figuré à la récente coupe du Monde, qui a mis l’univers du quidditch sens dessus-dessous avec la défaite en finale des précédemment invincibles USA contre l’Australie.

On mentionnera brièvement cet « autre monde » que sont les Etats-Unis, qui mériteraient un article à eux seuls, avec leurs 200 équipes, leur avance tant athlétique que stratégique, leur jusque-là écrasante domination, et leur tendance à prendre très (trop ?) au sérieux tout ce qui touche au sport en général…

Dans le reste du monde, on voit l’émergence de championnats locaux sud-américains, quelques équipes de moins en moins isolées en Asie, et même une tentative de développement d’une équipe d’Ouganda pour la Coupe du Monde ! Ils ont malheureusement été contrariés par une bête histoire de visas. (Cette dernière phrase s’applique de toute façon à une bonne moitié des nouvelles de ces dernières années.)

Verdict

Le quidditch est un sport si particulier qu’en parler sur un site culturel ne paraît même pas incongru ! C’est que malgré une volonté bien légitime d’être pris au sérieux, la nécessité de publicité et de croissance fait qu’il n’est pas facile, ni vraiment souhaitable, de renier ses origines geek. Il n’est même pas unique dans ce domaine, où on peut citer le trollball, mais de l’aimable fantaisie au sport véritable, structuré et aux règles cohérentes, il y a un gouffre que le quidditch a su traverser.

L’étape suivante (reconnaissance par les instances nationales par exemple) sera-t-elle franchie, et doit-elle seulement l’être, au risque de perdre peu à peu l’esprit qui anime la communauté ? C’est un risque à courir, d’autant plus que cette dernière, naturellement portée vers l’inclusion de tous, ne peut pas envisager de freiner son expansion, ce qui serait contraire à son esprit même. En attendant, le quidditch a de beaux jours devant lui, et continuera un moment à répandre le « quove » (Quidditch. Love. Quove. T’as vu l’astuce ?)


Vous pouvez retrouver les photos (à part le vif d’or) et des centaines d’autres sur la page Facebook d’Ajantha Abey. Grâces lui soient rendues.

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