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Lastman : l’odyssée d’Aldana et d’Adrian

Je jette peu souvent mon dévolu sur du manga. En fait, je lis peu de manga, je préfère laisser ce style à mes petits camarades qui en parlent beaucoup mieux que moi (ils vous diront qu’ils parlent TOUJOURS mieux que moi, mais c’est faux, ils sont vils et taquins, mais c’moi l’chef, donc forcément touckekejdicébien).

Un jour de flânerie dans ma librairie préférée et chérie, je fus cueilli au coin d’un rayon par un libraire rendu fou par l’inhalation d’encre. Me voilà violemment agressé par cette étrange créature, qui, la bave aux lèvres, la rage aux dents, les yeux fous et injectés de sang, me tabasse la tronche à coup de tome en hurlant « LIS LEEEEE ! TAPALUSSA ? TAPAAAALUSSAAAAAA ? SAKAKAKA ! LIS LEEEEE » (le libraire a son propre langage bien à lui, c’est connu. C’est un savant mélange entre gargouillis rauques et onomatopées simiesques)…

Entre deux éclairs de douleur, j’entraperçois alors un titre : Lastman. Comme une révélation, la grâce me frappe ! Ou serait-ce l’écho des coups de boutoir de mon adversaire ?

Botter le cul aux méchants

« Mais, cher et tendre Lazylumps, Lastman, qu’est-ce donc ? » Me demanderez-vous après avoir lu le début de mon article de vos yeux de lecteurs assidus et abonnés au Cri du Troll depuis le début (like, pouce bleu, abonnez-vous, partagez, envoyez l’argent tout ça tout ça…). Lastman c’est le fruit du travail de trois acharnés, génies de la BD française adulte, déjà connus, reconnus et aimés des aficionados :

Bastien Vivès, créateur de Polina (adapté au cinéma) ou encore plus récemment Une Sœur, prête ici son trait si particulier, hallucinant de mouvement et de fluidité. Michael Sanslaville, deuxième dessinateur du bouzin, que l’on peut retrouver dans Fluide Glacial, Rocher Rouge et Le Fléau Vert. Et enfin, Balak, que l’on connaît principalement pour être le créateur génial de la série Les Kassos (que nous apprécions tout particulièrement au Cri soit dit en passant), s’occupe de la mise en page et du storyboard (il adapte au format BD le scénario que les trois larrons écrivent ensemble). Il est aussi aux commandes des dialogues et ce n’est pas pour nous déplaire quand on se rappelle les échanges savoureux des Kassos.

Balak, Vivès, Sanslaville

L’histoire de Lastman commence en plein cœur de la vallée des Rois, une Agartha mythique où est regroupé le peuple de la vallée sous l’égide de leur suzerain bienveillant. Chaque année est organisé un grand tournoi entre les différentes écoles de magie de la vallée. Il consiste en plusieurs combats de duos qui s’affrontent jusqu’à l’abandon ou la chute hors du ring d’une des deux équipes. Les vainqueurs remportent la prestigieuse Coupe des Rois, symbole ultime de la suprématie d’une école. C’est au commencement de ce tournoi que le tout jeune Adrian Velba perd malheureusement son partenaire tombé malade au plus mauvais moment. Désespéré il est à deux doigts d’abandonner à son tour quand un combattant lui propose de faire équipe avec lui. Ce combattant, c’est Richard Aldana, charismatique costaud à l’allure et au comportement étrange qui désire plus que tout remporter la coupe. Les deux vont passer les épreuves sous le regard soucieux de Marianne Velba, la mère d’Adrian, et entraîner le lecteur dans une quête à laquelle ils ne s’attendaient pas eux-mêmes.

Boxe, démons et merveilles

Vous dévoiler plus du scénario de Lastman serait criminel tant les rebondissements sont légions et les voies empruntées par le scénario vous font traverser les styles et les ambiances. Je ne veux pas vous gâcher la surprise mais sachez juste que ça part loin, et que l’on verse dans le fantastique très vite. Lastman est organisé sous forme de cycles (6 tomes par cycle… et par époque), où l’on suit les personnages et leurs évolutions dans un monde en proie au chaos dès les portes de la Vallée des Rois franchies.

Lastman est un melting pot de toutes les bonnes choses de la culture pop des années 90. Avec cette ambiance old school et ses personnages tout droit issus d’un croisement entre Street of Rage et Mad Max, on se retrouve face à un concentré de fun jouissif et intense. C’était d’ailleurs le crédo des créateurs qui voulaient créer un univers tout en mélangeant leurs influences : de Spielberg au Shonen, de Disney à Mad Max. Et ça fonctionne. D’autant qu’on a là toute une flopée de personnages charismatiques issus des figures tutélaires de cette époque pas si lointaine.

Aldana est un loser au grand cœur, combattant hors pair qui nous ferait franchement penser à Sangokou mélangé à Onizuka. Paresseux, vulgaire, dilettante, cynique, orgueilleux mais aussi badass, téméraire, courageux as fuck qui n’hésite pas à aller foutre des patates à des démons, il est avant tout cet anti-héros auquel on s’attache en une seule scène et qui devient très vite un personnage culte, jusqu’au-boutiste emblématique prêt à sauver la veuve et l’orphelin (tendance que l’on retrouve dans beaucoup de manga One Piece, Naruto, Dragon Ball…) et véritable moteur de la série. Homme d’honneur, ancien boxeur déchu de son titre et de son aura, combattant émérite au grand cœur… il est l’archétype du héros des années 80-90 (Ken le Survivant ou Rocky) et renforce un peu plus l’immersion dans les influences-souvenirs des créateurs de Lastman.

On voulait retrouver ce qu’on aimait lire quand on avait 12 ans, cette BD d’aventures jouissive, sans prétention, divertissante mais pas débile.
– Bastien Vivès

Mais il n’est pas le seul et c’est là aussi toute la force du récit. Lastman est avant tout une quête initiatique où l’on explore l’évolution des personnages sur des années. Le petit Adrian, un p’tit gars plein de promesses qui va trouver en Aldana la figure du père qu’il n’a jamais côtoyé, va notamment évoluer en parallèle du colosse mais aussi principalement aux côtés de Marianne, sa mère.

Vivès déclarait d’ailleurs aux Inrocks :

Nous, ce qui nous plaisait c’était d’aller fouiller dans la relation mère-fils. J’ai toujours trouvé dommage que, dans les mangas, les enfants soient livrés à eux-mêmes. En revanche, c’est un thème cher à Disney – j’aime beaucoup Bambi, Pinocchio, Dumbo, Peter Pan – une influence de Lastman.

Lastman est une série profondément féministe où les femmes ont en effet une place primordiale. Elles sont avant tout les véritables héroïnes du manga : toujours fortes, déterminées et battantes, ce sont elles qui vont encadrer l’épopée d’Aldana et d’Adrian, et permettre à ces deux-là de se construire et devenir des hommes dans un univers où tous les repères moraux, éthiques, et où la réalité elle-même, sont bousillés.

Marianne, mère d’Adrian face à Tammie, pop-star camée et ex d’Aldana. Deux figures fortes de la série.

Marianne est la parfaite illustration de la mère louve protectrice sans jamais tomber dans la niaiserie ou le caricatural. Elle est tout simplement la digne héritière de la Furiosa de Mad Max la chevelure blonde en plus : féminine, badass, qui serait prêt à n’importe quoi pour protéger son gosse, le tout en conservant son côté mère poule attachant.

Féminine et badass

Si l’on suit tout d’abord le petit Adrian et son évolution auprès d’Aldana et de sa mère au gré de leurs rencontres dans le premier arc, on s’intéresse ensuite dans le second à un personnage secondaire qui devient vite une nouvelle figure emblématique féministe de la série (dur de ne pas vous spoiler) qui affirme encore une fois le rôle déterminant des femmes dans l’histoire.

En plus de nous proposer des personnages hauts en couleur, attachants et qui deviennent cultes au fil des pages, Lastman brille par un scénario somme toute assez classique mais efficace et profond. En piochant dans leurs influences, les créateurs du bouzin ont réussi à extirper la substantifique moelle des codes des années 90 tout en ancrant le récit dans un style contemporain. Dialogues punchline, humour français omniprésent, rythme qui casse la baraque… Bref, la réussite est complète.

Une série pour les gouverner tous

Fin 2016, les trois compères se lancent le défi d’adapter la BD en série. La décision est prise : ce sera un préquel. Une idée de génie financée par un crowdfunding (financement participatif) qui permet aux lecteurs de retrouver Aldana dans sa prime jeunesse et de comprendre pourquoi et comment il est arrivé dans la vallée des rois.

Grâce à la communauté, la série voit le jour fin 2016, amputée de certaines ambitions car un des mécènes lâche le projet avant sa sortie. Qu’importe, les épisodes sont tout de même terminés et les fans sont impatients.

Ils ne seront pas déçus.

Tout au long des 22 épisodes de 14 minutes chacun, on découvre un peu plus ces personnages que l’on a su aimer dans les mangas : Tomie, Aldana, Duke, Milo et compagnie. C’est un réel plaisir de retrouver Aldana et son cynisme percutant, d’explorer son passé et de le voir grimper les marches de la gloire en boxe tout en tentant de combattre le chaos qui lui a pris son entraîneur… je n’en dirais pas plus pour ne pas gâcher encore une fois, mais après avoir lu les huit premiers tomes, on peut dire que la série est indispensable pour comprendre les enjeux des suivants. Portée par une bande son hallucinante, la série est un petit bijou d’animation et de trouvailles.

On est là face à un vrai anime adulte menée avec brio par Jérémie Perin et le studio Je suis bien content (oui ça ne s’invente pas). Je recommande donc chaudement pour comprendre !

Verdict

Lastman c’est GTO, DragonBall, Mad Max, Ken le survivant, le tout dans un shaker, et vous obtenez la meilleure série manga française jamais réalisée. Portée par un trio de frenchy ambitieux, talentueux et brillants, la série mérite que l’on s’attarde sur elle pour plusieurs raisons très simples : on est face à un concentré de bonnes choses, d’influences des années 80-90, le tout réinvesti par une vision contemporaine et un humour décapant. En plus de vous proposer des personnages qui deviendront très rapidement des icônes cultes, Lastman va aussi vous emporter dans un scénario bien mené, avec moult rebondissements dans un univers immense.

Et si il subsiste encore un doute en vous, la série Lastman, préquel au manga, enfoncera le clou : on est vraiment face à une réussite complète, jouissive et passionnante.
Lisez ça, matez ça, c’est de la super bonne came.


Nemarth : CEY TRO BIEN !!! N’ayant lu pour le moment que les trois premiers tomes, mon avis ne sera donc pas aussi éclairé que celui de l’auteur de cet article. Mais force est de constater que Lastman envoie du bois, une ambiance, une mise en scène à la fois très changeante (d’un tome à l’autre) mais en même temps totalement cohérente du point de vue de la série dans son ensemble, c’est tout simplement un tour de force qu’ont accompli Vivès, Balak et Sanslaville. Et en plus c’est drôle, vraiment très drôle.

LazyLumps

Déjà petit, le troll Lazylumps collectionnait les cailloux. Après en avoir balancé un certain nombre dans la tronche de tout le monde, il est devenu le "Rédak' Chef" de la horde, un manitou au pouvoir tyrannique mais au charisme proche d'un mollusque. Souvent les nuits de délire on l'entend hurler "ARTICLE ! ARTICLE ! IL FAUT UN ARTICLE POUR DEMAIN".

2 réflexions sur “Lastman : l’odyssée d’Aldana et d’Adrian

  • Lazylumps

    Merci à toi !
    Effectivement, Last Man est une très grande et belle chose ! (as-tu vu sous la couverture papier de chaque tome ? Ces malicieux dessinateurs y dessinent n’importe quoi :D)
    N’hésite pas à repartager l’article l’ami !

  • Alex Lavigne

    Bel article !
    Les mots me manquent effectivement pour décrire à quel point cette série est fantastique. Honnêtement, c’est la meilleure série animée que j’ai jamais vu. Tout est tellement parfait : le style année 90, les doublages FR, le style d’animation, l’humour, l’action, le suspens, les personnages, l’univers…
    J’ai tellement accroché que j’ai ressenti un besoin urgent d’aller lire la BD après avoir finit la série, moi qui ne lit pourtant plus de BD depuis mes années collèges. Résultat : la BD m’a laissé sur le cul autant que la série. Ce qui est incroyable, c’est que chaque tome s’améliore au niveau du dessin, et le style de narration, la noirceur de l’univers peut changer radicalement d’un tome à un autre. Bien que je trouve qu’une BD n’a pas le pouvoir de mettre les sens en émois comme peut le faire un médium vidéo, c’est un must read.
    Lastman, c’est le feu.

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