La Rédak’ propose : ses créatures favorites
Les mondes de l’imaginaire foisonnent de bébêtes étranges. Loin d’être de simples « à côtés » ne servant qu’à remplir maladroitement un univers donné, elles lui donnent au contraire toute sa consistance et sa richesse. Mieux, elles sont bien souvent le sujet même de l’œuvre qui les fait surgir du néant. La Forme de l’eau (Guillermo del Toro) est le dernier exemple – fascinant – d’un art qui entend nous confronter à ce qui nous dépasse et nous attire. Parce que l’extra-ordinaire est avant tout une rencontre avec cet autre qui habite notre inconscient collectif, il s’agit de l’incarner de toutes les manières possibles. Certaines créatures mythiques peuplent nos rêves depuis le fond des âges (sphinx, centaures ou autres chimères de ce genre) et tout créateur espère donner vie à quelque chose qui rejoindra ce patrimoine commun ; c’est dire qu’il alimente toutes les bonnes histoires. La Créature de Frankenstein, le bestiaire de C.S Lewis, la Mantrisse de Leo ou encore Godzilla dont nous parlait il y a peu ce cher Nemarth : qui n’a pas recensé les bestioles qu’il aimerait caresser ? Petit florilège de ces créatures qu’on trouve cool avec toute une bonne partie de la rédak’ du Cri du Troll.
Dren, de Splice
Par Narfi
Attention, bande annonce à l’esthétique des années 2000 incoming :
Splice nous raconte l’histoire de deux savants qui, non-contents de ne pas pouvoir progresser dans leur création d’OGM, décident de mélanger plusieurs ADN d’animaux (dont un petit peu d’humain) pour parvenir à créer une nouvelle forme de vie, ce qui fera à coup sûr progresser la science. Dren, la petite créature qui fait du jump scare à tire larigot, est le fruit de ce pétage de boulon scientifique.
De curieuse petite bouboule de chair un poil zarbi, la chose évolue, jusqu’à devenir une humanoïde étrange, à la queue mortelle (je vous vois venir avec vos blagues scabreuses dans le fond !), aux yeux écartés, aux ailes diaphanes, et aux jambes chelous… On est finalement pas bien loin d’un être humain normal.
Ce qui est intéressant avec cette abomination très moderne (c’est pas Frankenstein qui est allé jouer avec l’ADN pour son monstre ; lui, c’était l’électricité), c’est toute la sexualisation dont elle fait constamment l’objet. Je vais pas divulgâcher (alors que j’pourrais !), je vais pas vous dire qu’est-ce y s’passe, je vais juste vous renvoyer vers le film, beaucoup moins dans le jumpscare putassier que ne le laisse croire la bande-annonce, et laissant bien plus de place au dérangeant et au malaise.
Si Splice est loin d’être un grand film, vous devriez au moins passer un moment… disons, intéressant !
Audrey 2, de Little Shop of Horrors
Par Petrocore
Ma créature préférée ? Une plante carnivore extraterrestre qui chante, bien évidemment !
« Audrey 2 » est une petite plante extra terrestre trouvée par Seymour, l’employé d’une boutique de botanique. Ce dernier l’appelle « Audrey 2 » pour impressionner sa collègue dont il est fou amoureux, Audrey. Les problèmes vont commencer à fleurir (réplique pressentie comme « vanne de l’année 2018 ») lorsqu’il se rendra compte que la petite plante fragile qu’il a trouvée se nourrit de sang humain… et surtout qu’elle va grossir à vue d’œil !
Little Shop of Horrors étant une adaptation d’une comédie musicale, forcément ça chante ! Servie par un casting costaud, avec un délicieux premier rôle campé par le légendaire Rick Moranis, toutes les chansons sont des morceaux de choix. Et quand la plante se met à chanter, doublée par un baryton tout bonnement magistral qui lui prête une bonne voix de black, alors là c’est le pied intégral.
Je ne peux résister à l’envie de vous balancer une petite chanson d’Audrey 2 (elle part vraiment à 1:12)
Humanoïdes hybrides, de L’Île du Docteur Moreau (H.G. Wells)
Par Fly
H.G. Wells (1866-1946) est l’un des plus grands noms de la littérature fantastique britannique. On ne compte plus ses incontournables chefs-d’oeuvre, tels que la Machine à Remonter le Temps, l’Homme Invisible, ou encore la Guerre des Mondes. Autant de fondamentaux quasi mythiques qui en sont venus à occulter, à force de célébrité, la dimension anticipatrice et polémique de l’oeuvre de Wells. L‘Île du Docteur Moreau (1896), ouvrage plus connu dans les pays anglo-saxons que chez nous, en est un cas d’école. Le jeune romancier le rédigea pour faire entendre ses prises de position au sein d’une controverse scientifique, qui divisait violemment les érudits de l’Angleterre victorienne : celle de l’abolition de la vivisection. En effet, un an auparavant, Wells avait publié le modeste article The Limits of Plasticity, dans lequel il critiquait l’expérimentation chirurgicale sur les animaux. La morale sous-tendant cette pratique lui paraissait sommaire et infondée :
It often seems to be tacitly assumed that a living thing is at the utmost nothing more than the complete realization of its birth possibilities, and so heredity becomes confused with theological predestination. But, after all, the birth tendencies are only one set of factors in the making of the living creatures. (…) We overlook this collateral factor, and so too much of our modern morality becomes mere subservience to natural selection, and we find it not only the discreetest but the wisest course to drive before the wind.
Rien d’étonnant, donc, à la retrouver défendue par le sinistre docteur Moreau, chirurgien paria qui vit reclus sur une île tropicale. Là, dans le secret d’une jungle impénétrable, le scientifique s’évertue à donner allure humaine à des animaux, par la vivisection. Ablations, amputations, résections, greffes… l’apprenti démiurge s’autorise les pires tortures pour atteindre son but.
J’aurais aussi bien pu transformer des moutons en lamas, et des lamas en moutons. Je suppose qu’il y a dans la forme humaine quelque chose qui appelle à la tournure artistique de l’esprit plus puissamment qu’aucune autre forme animale. Mais je ne me suis pas borné à fabriquer des hommes…
Cependant, de ses expériences ne résultent que des êtres contrefaits, humains frelatés et débiles que l’animalité rappelle constamment à elle : ils « rétrogradent ». Aussi, Moreau élabore-t-il un code moral grossier, « la Loi », que les créatures doivent observer scrupuleusement. Toutes n’y sont pourtant pas sensibles. Rendues folles par la souffrance, il arrive que certaines y dérogent, s’évadent, et sèment le chaos. Ainsi en va-t-il d’un hybride ophidien, expérience ratée se dérobant à son maître :
Il avait été lâché par accident – je n’avais pas eu l’intention de le mettre en liberté – . Il n’était pas fini. C’était simplement une expérience. Une chose sans membres qui se tortillait sur le sol à la façon d’un serpent. Ce monstre était d’une force immense, et rendu furieux par la douleur ; il avançait avec une grande rapidité, de l’allure roulante d’un marsouin qui nage. Il se cacha dans les bois pendant quelques jours, s’en prenant à tout ce qu’il rencontrait...
Au-delà des frissons délectables que prodigue sa lecture, Wells dispense ici une réflexion opportune sur la condition animale. À l’heure de l’antispécisme militant et des révélations en cascade sur les traitements scandaleux subis par les bêtes (songeons à l’ONG L214), celui-ci demeure d’une troublante (im)pertinence.
Les claymores de Claymore
Par Flavius
Les fans extatiques de Braveheart ont tous à l’esprit une espèce de grosse épée à deux mains quand on parle de claymore. Ils n’ont qu’à moitié tort en ce qui va nous occuper ici. En effet, en 2001, Norihiro Yagi sort son manga sobrement intitulé Claymore donc, dans lequel de jolies donzelles poutrent sauvagement la gueule de yokaï anthropophages. Si vous n’avez pas la moindre idée de ce que sont les yokaï, sachez simplement que ce sont des sortes de « démons » du folklore japonais, dont parle foutrement mieux que moi notre Maître Jean-Jacques national.
Mais revenons-en à nos moutons ; je vous entends déjà râler, me disant comme notre plantigrade Narfi que « les yokaï ne sont pas des créatures, parce que ce ne sont pas des bestioles créées » et nia nia nia… Or, silence félon ! Ici, ce sont les nanas dont je parle. Oui, ces femmes longilignes aux cheveux et aux yeux argentés, qui protègent les humains contre leurs prédateurs, ne sont rien d’autre que des sortes de prodiges du génie génétique médiéval, parvenu à réaliser la combinaison improbable entre des gamines et des monstres sanguinaires… Elles puisent leur force dans leur part monstrueuse, et vont de village en village pour débarrasser le monde des bestioles qui l’infestent. Le sel de l’histoire réside dans le fait que ces claymores, si elles puisent trop dans leur pouvoir enfoui, risquent de passer du coté vraiment super obscur de la force, faisant alors passer tous les seigneurs siths pour des Jérome Cahuzac du dimanche. Exit alors les jolies demoiselles guerrières, elles mutent en accéléré, pour se changer, par une sorte d’orgasme dégueulasse, en créature de l’enfer, à faire bander un démon majeur de Slaanesh. Et bien entendu elles se livrent dès lors à des festins cannibales, jouant par là sur un des tabous originels de l’humanité.
Et vas-y que je te trifouille dans les entrailles de papy Gérard, et vas-y que je te philosophe sur la pertinence du cannibalisme comme le dernier des Hannibal sous crack ; on comprend que les pauvres nanas ont complètement perdu les pédales. Elles deviennent dès lors des cibles de choix pour leurs anciennes camarades qui n’auront d’autre mission que de les traquer pour les éliminer. Dans l’histoire on suit Claire, la plus nulle de toutes les claymores, dont les performances sont pourtant plutôt impressionnantes. C’est à travers son aventure et sa destinée que l’on découvre cet univers violent, et qu’on apprend à frémir durant ses pétages de câbles l’amènant à frôler « l’éveil », c’est à dire la transformation sus-nommée. Elle s’encombre du pauvre Raki, un individu ayant vu sa famille massacrée par les Yokai et qui décide, en bon ahuri, de la suivre comme son ombre, tout en l’engluant de sa maladresse chronique. Mais voilà, il est aussi le point focal de la nature humaine à laquelle Claire pourra toujours se raccrocher ; et cet être insignifiant, voire lamentable, parvient à gagner un véritable intérêt dans la série. Non qu’on se mette à l’apprécier… disons qu’on tolère sa présence.
Claire, tout comme les autres, n’avance pas à en aveugle. Elles sont toutes pilotées par l’Organisation, une institution un brin mystérieuse puant le louche à plein nez dès les premières mentions ; et creuser dans l’intrigue permet d’en soulever le puant couvercle. Bref, ce manga c’est plutôt de la bonne came, même si ses dessins ne sont globalement pas extraordinaires, et il a donné lieu à une adaptation partielle magnifique dont la fin est malheureusement complètement rushée avec la dernière dégueulasserie.
Les Mulefas, dans À la croisée des mondes de P. Pullman
Par Graour
Si la saga Harry Potter a incontestablement marqué la fin des années 1990 et le début des années 2000, une autre œuvre est devenue un classique de la littérature jeunesse à la même période : À la croisée des Mondes de P. Pullman. En trois livres, le génial écrivain britannique a tissé une histoire dont la richesse époustouflante n’a pas grand chose à envier à Poudlard. Dans le monde imaginaire conçu par Pullman, les humains possèdent des daemons. Ces petits êtres, qui ont une forme animale, sont reliés par un lien invisible à leur maître. Toute séparation d’un individu et de son daemon s’apparente à une ignoble mutilation, tant l’un est en réalité une partie de l’âme de l’autre. Toutefois, cette opération permet de libérer de grandes quantités d’énergie, quantités à vrai dire suffisantes pour ouvrir un passage entre deux univers parallèles. Nous est contée l’histoire d’une jeune fille (Lyra Belacqua) qui, au terme de multiples péripéties, va franchir une telle porte et finalement voyager de monde en monde. Sur son chemin, elle rencontrera de multiples créatures étranges, allant des Panserbjornes, sorte d’ours en armure vivant au Svalbard, aux nains Gallivespiens. Voilà un bestiaire foisonnant et inventif qui ne cesse de surprendre le lecteur au fil des pages. Au sein de celui-ci, une bestiole m’a particulièrement plu : j’ai nommé les Mulefas qui apparaissent dans le troisième et dernier tome (Le Miroir d’ambre) de la série.
Ceux-ci ont une apparence tout à fait cocasse. Éléphantidés puisque dotés d’une trompe, leurs pattes sont disposées en losange autour de leur tronc, ce qui a priori n’est pas vraiment commode pour se déplacer.
A l’instar des ruminants, leur squelette était en forme de losange, avec une patte à chaque angle. Dans un passé lointain, cette morphologie avait dû se développer chez une lignée de créatures ancestrales qui l’avaient jugée adaptée, tout comme, il y a bien des générations, les bêtes rampantes du monde de Mary s’étaient dotés d’une colonne vertébrale.
Ce sont néanmoins des créatures dotées d’une intelligence égale à celle des humains, ce qui leur a permis de pallier ce handicap. Elles confectionnent en effet des roues à partir de cosses qu’elles décrochent d’arbres gigantesques ; les Mulefas plantent leurs griffes dans ces structures ovales et dures et s’appuient sur elles pour parcourir les routes en basalte qui parsèment les plaines herbeuses dans lesquelles ils vivent. Pullman développe longuement les caractères de cette espèce étonnante, plusieurs pages étant consacrées à la description de leur mode de vie (marqué par une socialisation poussée), leur histoire ou leurs caractéristiques physiologiques. Le lecteur apprendra les rudiments d’un langage muet sophistiqué et pourra ce faisant appréhender les linéaments d’un monde au delà de l’Humanité mais non pas de la conscience. Bien au contraire, ces créatures très sages seront des compagnons de choix pour Lyra et l’aideront à mener sa quête à bien.
Sa quoi ? Sa monture ? Sa bicyclette ? Ces deux mots étaient totalement inadaptés et injurieux pour désigner cet être aimable, au regard vif, qui se tenait à ses côtés. Alors, elle opta pour le terme « ami ».
A l’image d’une œuvre aux multiples niveaux de lecture, qui brasse des influences aussi diverses que les textes de Milton, les récits bibliques ou les dernières théories scientifiques, les Mulefas sont une forme de vie tout à fait originale et enthousiasmante. Pullman montre par là qu’il est un conteur hors-pair et un véritable maître de l’imaginaire, parvenant à donner une réelle consistance à ces curieux bestiaux en quelques chapitres.
J’avoue, j’ai la même sympathie pour ces plantes monstrueuses. Du coup, quand j’ai vu une plante carnivore en vrai étant môme… ça m’a brisé un mythe.
Audrey 2 est de loin ma préférée parce qu’en plus d’être une plante carnivore géante comme je les aime, elle a un putain de groove !
Audrey : elle est choupi cette plantinette ! Hum, les plantes carnivores XXL m’ont toujours fascinées, on les trouve (trop) souvent maintenant (merci mario ?), malgré tout elles ont toujours un côté « en direct de la jungle la plus profonde » qui me plait.
Claymore : pas du tout, mais du tout, accroché…
Je ne me souvenais pas de l’existence des mulefas, alors que les bouquins m’ont laissé un très bon souvenir pourtant :/