La France steampunk, Commune et vapeur
Chantée par Ferrat, globalement oubliée aujourd’hui, la Commune ne peut cesser d’apparaître comme le dernier temps manqué de la Révolution amorcée en 1789, et écrasée dans le sang par la poigne de fer de Thiers et de ses soldats Versaillais lors de la Semaine Sanglante. Avant même d’entrer dans la fiction, la Commune est déjà un de ces moments d’Histoire à l’hallucinante puissance tragique dont l’holocauste abominable s’achève dans un désespoir final complet. Mais dans le drame n’y a-t-il pas l’étincelle vibrante de vie qui inspire et anime ? C’est ainsi que le concevait Nietzsche et, comme œuvre d’art incarnée, La Commune n’a eu de cesse d’inspirer les engagements . C’est en ce sens, je pense, qu’il faut recevoir l’œuvre dont il va être question par la suite.
Uchronie et Histoire
Voilà un sacré moment que je dois traiter de ce livre et enfin la quiétude à peu près restaurée dans mon existence me permet d’y consacrer quelques lignes. Fruit de la rencontre de trois passionnés de vapeur et d’engrenages, Étienne Barillier, Arthur Morgan, Nicolas Meunier, cet ouvrage est tant à la fois une ode fouillée à un temps d’Histoire, au fantastique et à une difficile discipline ; l’uchronie. Je vous entends déjà vous demander ce que peut bien être cette chose au nom singulier ; je vous rassure il n’y a là rien de compliqué et de barbant, je gage même que vous avez déjà vu ou lu une histoire se déroulant dans un univers uchronique. Il s’agit d’un monde qui aurait évolué différemment de la trame réelle de l’Histoire (avec un grand « H »), souvent en imaginant ce qui se serait produit si tel ou tel événement n’avait pas eu lieu par exemple. Les cas sont multiples et les réflexions menées par leurs auteurs, dès lors où elles sont un peu poussées et nourries de connaissances, débouchent généralement sur des questionnements profonds, derrière les simples récits. Certains se sont imaginés par exemple ce qu’il serait arrivé si les Allemands avaient trouvé le moyen de renverser la donne en 1945. Deux gaillards que nous avons déjà croisé ici, Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat , s’en sont donné à cœur joie dans Block 109. Ce n’est qu’un exemple dans la marée déferlante et infinie des uchronies dans la culture populaire.
Le cadre du récit
Dans le cas qui nous occupe, le récit prend place dans une trame historique alternative dans laquelle Napoléon Ier aurait remporté la bataille mille fois maudite de Waterloo grâce, non pas à son génie militaire, mais à la Grande Machine, produit d’une innovation technologique furieusement steampunk faisant de la France la superpuissance du continent et de l’histoire un excellent cas d’école d’une uchronie fantastique à l’univers résolument cool. Mais attention mes petits amis, ce n’est pas qu’un déballage de concepts creux et attractifs, il y a plus. Construit comme un carnet de souvenirs accompagnant le héros dans son aventure, l’ouvrage dégage une véritable impression d’authenticité, jusque dans le verbe et s’il n’était les descriptions clairement fantastiques on pourrait se demander si le texte n’est pas un original oublié. Il est évident que cela facilite grandement l’immersion dans une époque. On croise d’ailleurs des personnages historiques, comme la flamboyante Louise Michel, figure incontournable de la Commune dans un récit qui se déroule comme une sorte de chemin initiatique pour le héros, parti avec des convictions et découvrant une toute autre réalité dans les heurts de l’Histoire.
« Répondez-moi, cher Maître, quoique je sois plus que jamais communeuse et prête à recommencer la lutte contre tout ce qui doit disparaître d’erreurs et d’injustices ». Louise Michel, Lettre à Victor Hugo
Aventure et personnages
Nous suivons donc André de Favard, fils d’exilés Français en Angleterre, envoyé par le pouvoir britannique avec l’agent Edward Parrow afin de glaner des renseignements sur les soubresauts de la France dans le moment troublé qu’elle traverse. Favard et Parrow vont traverser le territoire, de la Bretagne à Paris, jusqu’à Marseille, en passant par Lille accompagnant, le déclenchement d’une Commune de fiction mais dont le destin n’est pas moins intéressant. En conséquence le livre aborde les problématiques liées à la contestation sociale de l’époque et les espoirs placés par de nombreux Parisiens et Français dans cette révolution amorcée. La beauté de leur lutte, la puissance de leur engagement est très bien rapportée et dénote une réflexion profonde chez les auteurs sur cette époque.
Durant l’Histoire, les personnages marquants sont nombreux, de mêmes que les vies mouvementées. On traverse six chapitres correspondant à chaque fois à une ambiance, à un lieu et à des individus différents. Des fracas de la guerre à Paris, on se retrouve dans un atelier de recherche scientifique à Toulouse ; Favard et Parrow, en proie aux poursuites du régime, partagés dans leurs convictions, se livrent à une confrontation d’hommes, immergés jusqu’au vertige dans une aventure rocambolesque. Je préfère n’en pas dévoiler davantage pour vous laisser savourer la découverte.
La forme
Néanmoins il reste à parler de la forme. Si Étienne Barillier et Arthur Morgan se sont chargés avec application et compétence de la rédaction de ce carnet de voyage, nous devons à Nicolas Meunier le travail de photographie qui accompagne l’ouvrage. En effet, les lieux et les évènements sont ponctués de mises en scènes costumées réalisées grâce à la participation de troupes de « vaporistes », des passionnés de steampunk.
Personnellement c’est la partie qui ne m’a pas plus emballé que cela, non que les photographies ne soient pas bien réalisées… c’est le contraire. Mais voilà, biberonné comme je l’ai été depuis ma plus tendre enfance aux travaux d’illustrateurs fameux, j’en ai gardé des réflexes et je goutterai toujours davantage une peinture qu’une photo. C’est peut être une question de mouvement, d’outrance dans la réalisation des corps… je ne sais mais voilà, la photo j’accroche pas plus que cela. Mais s’il est parmi vous de passionnés de costume ou de photographie je gage que vous y trouverez votre compte. Un mot de plus sur la forme ; l’ouvrage est un grand format, ce qui donne la pleine mesure aux images. Je l’aurais du coup préféré plus petit, plus proche de la taille d’un carnet pour apprécier jusque dans l’objet cette forte identité du texte. Je lui aurais bien vu une couverture de cuir souple et des pages jaunies… mais tout cela est éminemment personnel.
La France Steampunk est un bel ouvrage, bien écrit (et pour moi cela a une grande importance) qui nous plonge dans une aventure sans temps morts sur fond de révolution, de contestation sociale, de crispation d’un État autoritaire vaincu, de rouage et de vapeur… Si vous aimez l’Histoire et le steampunk vous l’aimerez sans doute. Si vous êtes un fan de belles photographies cela devrait ajouter à votre plaisir. Et puis bon, si vous ne savez toujours pas ce qu’est de l’uchronie, cela reste un très bon exemple en la matière.