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La Forme de l’Eau : Grand Bleu amoureux.

Salut, mon cher lecteur. J’espère que tu vas bien, la famille, l’argent, le retour de l’être aimé, tout ça. Moi de mon côté, et même si tu t’en fous, ça roule pas à fond les ballons. Il pleut un peu, le boulot a repris, et j’ai plus un rond. Tu vois, le genre de semaine dont tu as l’impression qu’elle dure six mois. Heureusement, il me reste le cinéma. Alors plutôt que de me rouler en boule sur le sol pas franchement immaculé de ma cuisine, j’ai dit bonjour à la jolie guichetière, j’ai pris un ticket, et je suis allée m’enfermer dans une salle obscure. L’évasion pour le prix d’un jus détox dans un café de bobos, que demander de plus ?

En m’installant devant La Forme de l’Eau, je savais que j’allais vivre un joli moment. J’ignorais juste à quel point il serait chouette.

Comme d’habitude, fais avec moi un petit récapitulatif du sujet, histoire de savoir dans quoi tu plonges (oui cet article contiendra mes meilleurs jeux de mots sur le monde marin et la natation).

La Forme de l’Eau, c’est le film coup de cœur de la moitié de la planète. Initialement présenté au festival de Toronto en 2017, les spectateurs, les critiques, bref, les gens présents à ce moment là se sont  vite rendu compte qu’ils venaient de voir un film spécial.
Le genre de film qui te fait sourire, tout en ravalant un sanglot, tant il est nourri à l’émotion pure. La sauce a vite pris, et le film s’est retrouvé en compétition pour beaucoup de prix et autres accolades, remportant notamment un Lion d’or à Venise, empochant plusieurs nominations aux Golden Globes, avant de finir en apothéose en remportant 4 Oscars, dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Parce que le réalisateur en question, c’est loin d’être un branque. C’est même plutôt l’inverse. Guillermo del Toro en l’occurrence. Mais si, tu sais, le mec qui a réalisé Hellboy, Pacific Rim, et le MAGNIFIQUE Labyrinthe de Pan. On pouvait donc déjà se dire que Guillermo était un gars solide, autant dans son imagination géniale et débordante que dans la création d’un univers, en passant par des choix de mise en scène à te mettre en PLS Tarantino et tous ses copains.
Guillermo, avant toute chose, cœur sur toi, je me doute que tu attends ma critique avec impatience, mon avis étant bien évidemment le seul qui compte à tes yeux.
Alors, me demandes-tu, cher lecteur, avec une impatience grandissante, mais de quoi peut donc bien parler ce film ?
Il parle d’une histoire d’amour. Entre une femme et une créature. Et en même temps, il parle de tellement plus que ça. C’est bon, t’es tenté, on peut se jeter à l’eau ?

Pour vivre heureux, vivons ensemble

Le film suit le parcours d’Elisa, une jeune femme qui travaille dans un laboratoire ultra secret au sein du gouvernement, en tant que femme de ménage, dans les années 1960. Son quotidien est réglé comme du papier à musique, comme nous le montre une des premières scènes du film, qui n’est pas sans nous rappeler le fameux Amélie Poulain de Jean Pierre Jeunet. Si beaucoup y ont d’ailleurs vu du plagiat, j’y vois un hommage au cinéaste français.

Elisa est muette. Difficile donc pour elle de communiquer avec le monde extérieur, surtout dans une Amérique où les divisions et les jugements à l’emporte-pièce font encore rage.

Un jour, alors qu’elle nettoie les lieux accompagnée de sa collègue et amie Zelda, bavarde comme une pie et soutien indéfectible, une créature arrive. Capturé, puis entravé, l’Homme-amphibien, car c’est ainsi qu’il est nommé dans le générique de fin du film, nous apparaît tout d’abord comme monstrueux. En effet,  il nous est présenté à travers le prisme de l’homme responsable de sa capture, Strickland, dont on comprend dès les premières répliques qu’il va endosser le rôle de l’enfoiré colossal, prêt à toutes les saloperies pour arriver à ses fins. Car dans ce film, chacun est le monstre de quelqu’un d’autre. Elisa, de par son mutisme, est considérée comme « anormale » et ostracisée d’une société qui n’accepte pas avec autant de tolérance qu’actuellement le handicap. Zelda, sa collègue est noire, au sein d’un pays profondément divisé (les années 1960 étant le paroxysme du mouvement des droits civiques aux USA). Le voisin d’Elisa, Giles, est quand à lui homosexuel, avec ce que cela implique de rejet.

Ces  quatre personnages définis par leurs environnements comme anormaux, représentent chacun une facette de ce que la discrimination peut changer dans une existence. Mis au ban de la société car différents de ce qu’elle accepte, ils doivent se construire et mener leur vie toujours un peu en marge. Il est d’ailleurs intéressant de noter le contraste fort qui se crée avec la réalité historique entre nos deux personnages principaux, Elisa et l’Homme-amphibien, qui sont muets, et son voisin gay et sa collègue de couleur, qui sont donc les voix que nous entendons le plus au cours du film. Alors que dans les années 1960 aux États-Unis, être homosexuel ou noir signifiait de manière quasi systématique ne pas pouvoir s’exprimer. Guillermo corrige l’Histoire avec un grand H de manière classe.

C’est manifestement une des plus grandes forces du film, la leçon de tolérance et de vivre ensemble qu’il transmet. Alors bien évidemment, cela va te sembler carrément cucul la praline, mais bordel, ça fait du bien de sortir d’un film comme celui-ci, et de juste sourire. Et avoir envie de sourire à ton voisin, à ta meuf, à ton boulanger. Parce que ouais, on est tous différents, et il y a toujours un moment dans la vie où tu as envie d’étrangler l’Humanité toute entière (moi généralement c’est quand je regarde l’état de mon compte en banque en milieu de mois), mais franchement, entre toi et moi, et en dépit de toute les saloperies qui se passent dans le monde, c’est quand même cool de pouvoir vivre les uns avec les autres. Et de se foutre de leur couleur, de leur différence, de leur orientation sexuelle. Sauf si tu es Laurent Wauquiez, mais là, je ne sais pas quoi te dire.

Elisa, saute moi au cou

Leur destin, tout particulièrement celui d’Elisa, vont croiser celui de l’Homme-amphibien.

Traité comme un monstre par une équipe menée d’une main de fer par l’agent Strickland, il devient rapidement l’objet de toutes les curiosités, notamment celle d’Elisa, qui s’introduit dans la pièce où il est gardé captif, afin de voir d’un peu plus près ce mystère. Très vite, une communication s’établit entre eux, et un lien apparaît, autant grâce aux œufs durs que la jeune femme amène à cet étrange personnage, qu’avec la musique qu’elle lui fait écouter.

Dès le début de leur relation, la façon dont Elisa traite cet homme nous prouve une fois de plus le regard bienveillant et plein d’humanité que Guillermo Del Toro porte sur les relations humaines, et à quel point son cinéma est porteur de messages de tolérance et d’acceptation. À aucun moment, notre héroïne ne recule pour sauver l’Homme-amphibien d’un destin terrible et d’une mort certaine, portée autant par ses valeurs et sa conscience morale que par les sentiments amoureux qu’elle développe pour lui au fur et à mesure que l’intrigue avance.

Car eux se comprennent, de manière primale, instinctive, animale. Elle se sent comprise et entendue par lui, qui de son coté se sent enfin accepté par quelqu’un. Ils ne sont pas compris par les autres, mais ils s’aiment. Et c’est sûrement la seule chose qui compte.

Guillermo Del Toro mixe ici les influences, empruntant parfois les codes du conte, notamment le célèbre La Belle et la Bête, mais version de Jeanne Marie Leprince de Beaumont, à savoir l’amour au-delà des apparences, thème devenu récurrent dans les œuvres depuis fort longtemps, mais qui, quand il est exploité aussi finement que dans La Forme de l’Eau, continue à m’émouvoir.

Difficile aussi de ne pas voir un parallèle avec le drame amoureux de William Shakespeare Roméo et Juliette, amants maudits dont l’idylle est interdite par les conventions sociales de deux familles ennemies. Ici, ce n’est pas tant les environnements familiaux que la société qui condamne d’avance cette relation, tant un amour entre une femme et une « créature » lui semble contre-nature.

Alors que dès le début de cette histoire, les similitudes entre nos deux héros sont nombreuses, ne rendant que plus légitimes leurs sentiments respectifs. Tous deux n’ont peu/ou pas d’entourage, ils ne parlent ni l’un ni l’autre, et chacun d’entre eux préfère exprimer sa sexualité au contact de l’eau. Ce dernier point me donne également l’occasion d’aborder un sujet qui est extrêmement peu représenté au cinéma, à savoir la masturbation féminine. Allez, mini spoil, et franchement, cela ne change rien que tu le saches ou pas, OUI OUI, l’héroïne se masturbe. Cela fait partie de son rituel du matin, elle met ses œufs à bouillir, se fait couler un bain, entre dedans et se fait plaisir. À ce moment là du film, j’avais juste envie de serrer Guillermo contre moi, et de le remercier de faire enfin un film où l’on voit une scène comme celle-ci. Simple, sans artifices ni tabous. Une femme qui s’assume et qui se donne du plaisir elle-même. J’avais rarement eu l’impression de voir le sujet montré d’une façon si naturelle dans un film.  Et en 2018, il serait peut être temps qu’on en parle des fois non ? 

Un ouvrage de maître

Quand on connaît un peu l’univers du bonhomme, en rentrant dans une salle où est diffusé son dernier film, on se dit que ça risque fortement d’être joli les images qu’il va y avoir dis donc. Mais je m’attendais certainement pas à m’en prendre plein les mirettes. Qu’on se le dise mon petit pote, ce film est beau. La photographie est magnifique, il y a des rappels quasi constants à l’univers marin, et une intelligence du cadrage et des placements de caméra qui frôlent le génie. Del Toro a réfléchi chaque plan, chaque partie de son univers faisant  écho à un des sujets du film, les séquences s’enchaînent avec une évidence et une fluidité absolue. On ne voit pas le temps passer tant tout coule de source aussi bien à l’image qu’en matière de scénario. Le fait de situer le film dans les années 1960, et donc au milieu de la montée de différents mouvements aux États-Unis, mais aussi au moment de la guerre froide et de ce qu’elle a pu engendrer comme peur et paranoïa, nous replace de manière subtile dans un contexte que nous connaissons bien. En l’occurrence, le monde dans lequel nous vivons, en 2018, avec ce qu’il comporte d’informations déprimantes et de tensions puantes.

Le casting, quand à lui, est irréprochable.  Sally Hawkins, que j’ai découverte avec ce film pour ma part, mais que tu as pu voir dans Be Happy ou Blue Jasmine, est absolument époustouflante dans le rôle principal. C’est pour moi la révélation du film, tant elle est belle, éblouissante et douée. Michael Shannon, connu des cinéphiles pour ses rôles notamment dans Take Shelter ou Nocturnal Animals, prouve une fois de plus l’étendue de son talent, dans un rôle de salaud qui lui va délicieusement bien. Ajoute à cela Octavia Spencer et Richard Jenkins, impeccable en seconds rôles qui existent à l’écran dès leurs premières minutes, et tu te dis que Del Toro sait choisir ses acteurs.

Impossible aussi de ne pas parler du travail hallucinant effectué sur le personnage de l’Homme-amphibien. Interprété par Doug Jones, habitué des transformations physiques radicales pour les films de Del Toro (le faune du Labyrinthe de Pan, c’était lui), la création du personnage a nécessité pas moins de 90 personnes, de la phase de préproduction à ce que l’on voit à l’écran, et 3 heures d’habillage et de maquillage quotidien pour le comédien. Inspirée par le film L’Étrange Créature du lac noir, l’équipe du film a laissé libre cours à son imagination, allant même jusqu’à enregistrer la respiration de Guillermo pour créer celle de la créature. Doug Jones quant à lui, a confié avoir adopté les postures d’un matador afin de donner une physicalité particulière à son personnage, rendant l’ensemble d’autant plus réussi. 

Et bien évidemment, je me dois de placer dans cette bafouille que le Français (oui, madame) Alexandre Desplat, a remporté son deuxième Oscar pour avoir composé la musique tout en douceur et en délicatesse de ce film. Parce que bon, des fois, nous les frenchies, on sait faire deux-trois trucs bien.

La forme de l’eau est un film important, et nécessaire, tout en n’étant jamais lourd ou moralisateur. Tout en finesse et en poésie, le film est un délicieux bonbon que l’on savoure pendant deux heures. À la fois moderne et hors du temps, je suis ressortie du cinéma profondément émue, et remplie d’espoir de me dire que les jolies choses sont légion dans un monde parfois un peu pourri. Et je me dois de te laisser avec la très amusante phrase de Jimmy Kimmel durant les Oscars : 

Grace à  Guillermo, nous nous rappellerons toujours de l’année passée comme de celle où les hommes ont tellement merdé que les femmes se sont mises à sortir avec des poissons !

KaMelaMela

Kamélaméla aime deux choses: la blanquette et Eddy Mitchell. Sinon, de temps en temps, elle va au ciné. Voila, vous savez tout.

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