La 25ème heure, le dernier jour d’un condamné
Sorti en 2002, La 25 eme heure est un film de Spike Lee, réalisateur entre autres de Malcom X, He got game ou Inside Man. Tiré d’un roman de David Benioff , le film nous pose une question simple : Et si aujourd’hui, on suivait un mec pendant 24 heures ?
Alors dis comme ça, c’est sûr, ça fait à peu près autant rêver que la foire au boudin de ton hypermarché de campagne le dimanche matin, c’est-à-dire pas tellement (Mes excuses à tous les amateurs de boudins parmi les lecteurs).
Ce mec, c’est Monty Brogan. Un gars à la cool, la barbichette bien taillée comme il faut, le chien collé aux pompes, et l’air de ne pas y toucher. Seulement, ce qu’on va vite apprendre, c’est que Monty, ce soir, c’est pas dans son lit de jeune urbain new-yorkais qu’il pionce, c’est en taule. Attention cet article comporte des spoils !
Alors, c’est l’histoire d’un mec…
Monty n’est pas une ordure. Campé par Edward Norton, qui excelle comme à son habitude, on se prend vite d’affection pour ce type qui a fait les mauvais choix, mais qui même s’il ne l’avoue pas, se fait dans le froc à l’idée de passer sept ans de sa vie loin de tout. Une des scènes les plus fortes du film en est d’ailleurs la représentation, montrant à quel point il est inquiet à l’idée d’arriver en prison avec une tête de jeune premier. Car qu’on se le dise, il est bien loin de l’image du « thug », tatouages sur les bras et air vénère en option, qu’on a tendance à nous vendre à tour de bras dans les films américains. Il a plus une gueule à vendre des IPhone que de la came, pour résumer. (Quand bien même il faille une « gueule » particulière pour vendre de la dope, mais c’est un autre sujet.)
Pour sa dernière journée avant l’exil pénitentiaire, Monty se balade au sein de sa ville, voit ses amis, promène son chien Doyle (qu’il a sauvé de la mort, décidément, c’est presque un mec bien, ce Monty). La trame du film, alternant flashbacks et moment présent, nous permet d’avoir un aperçu de la complexité de sa personnalité, tantôt en colère contre lui-même, tantôt en colère contre son entourage, qu’il estime responsable de sa descente aux enfers, parfois même contre le monde entier, au long d’un monologue où il s’en prend à la terre entière. C’est un des nombreux moments anthologiques du film, et une scène sur laquelle il est bon de s’arrêter quelques brefs instants :
On l’a compris, Monty a quand même bien la haine de s’être fait coincer comme un bleu. Alors quand il voit ce « fuck you », écrit en bas d’un miroir, ça le fait vriller le mec. Et là tout y passe. Mais alors, absolument tout : les traders qui s’en foutent plein les poches, les vieilles peaux de l’Upper East Side avec leurs artichauts qui coûtent la peau de mes rouleaux, les Italiens de Bensonhurst qui se prennent tous pour Tony Montana, les Noirs, les Blancs, les fondamentalistes de tout bord (Notamment Al Quaeda, ambiance post 11 septembre oblige), et même Jésus. Prix de groupe, tout le monde dans le même panier, allez hop, Brogan paye sa tournée de « fuck you ».
Les copains d’abord
Et les proches de Monty dans tout ça ?
La question du ressenti de ses proches n’est pas éludée dans le film, loin de là.
On comprend rapidement que même si, ces dernières années, il s’est entouré de mecs plus ou moins louches pour assurer les fins de mois, Monty a deux amis fidèles, une copine qui a l’air de l’aimer, et un père tout du moins compatissant.
Ses amis se demandent « Qu’est ce qu’on dit à un mec qui va passer les sept prochaines années de sa vie en taule ? ». Et beh, de toute évidence, on lui dit rien, parce que il n’y a rien à dire. A quoi ça sert de l’engueuler ? Il aura bien le temps d’apprendre sa leçon au trou. Du coup, ses deux amis prennent le parti de faire la fête avec lui une dernière fois, conscient que Monty est un peu un « dead man walking », et qu’il ne sera jamais le même à sa sortie. Du coup, ça picole, ça se remémore les bons moments, et ça parle de tout, sauf de demain, parce que demain c’est loin.
Les sentiments sont en suspens, les déclarations d’amour de ses proches restent muettes, et on ne peut s’empêcher de se poser la question « Et si c’était un des miens ? ».
C’est une des grandes qualités du film, et la raison pour laquelle il a selon moi, une portée quasi universelle. Ses héros sont des types normaux, emportés par une situation qui les dépasse et à laquelle ils sont parfois trop lâches pour faire face. Les proches de Monty ne savent pas quoi dire, quoi faire se confondent entre culpabilité et rancœur envers lui, se renvoient la balle pour savoir qui aurait dû le sauver.
New York 9/11
Attardons nous un instant sur le lieu qui abrite les dernières 24 heures de notre héros, un lieu filmé par les plus grands ( et quelques moyens aussi), la très grosse pomme, la ville qui ne pionce jamais, j’ai nommé New York.
« Tu es un new-yorkais, tu seras toujours un new yorkais »
Cette phrase, dite par son père, montre à quel point la ville de New York a une place à part entière dans le film. On la voit sous tous les angles, et on comprend vite que les attentats du 11 Septembre ont laissé leurs traces dans la vision du réalisateur, qui entremêle les destins brisés de Monty et de cette ville encore meurtrie par les attaques. Il faut se souvenir que Spike Lee a grandi à Brooklyn, et qu’il s’agit de son premier film après le 11 Septembre. Mais là où Oliver Stone, avec son World Trade Center nous avait tartiné de bons sentiments patriotiques américains, ici, la finesse est de rigueur, et l’hommage que Spike Lee rend à sa ville d’adoption n’a pas des sabots taille 62.
Effectivement, Monty est un new-yorkais pur souche, cette ville l’a vu grandir, a fait de lui l’homme qu’il est aujourd’hui, avant de l’aspirer dans ses recoins les plus glauques. Le parallèle entre lui et la ville elle-même, où tout peut changer en un battement d’ailes, est intéressant car il met en lumière le caractère destructeur de la ville. Pour y arriver, Monty était prêt à tout, et comme les jeunes loups de la finance, on s’imagine qu’il a dû penser être au top un paquet de fois. Pas de bol mon gars, c’est l’heure de passer à la caisse maintenant, et ça risque d’être salé comme addition.
25 heures plus tard
La fin du film m’a personnellement laissé sans voix. Cette fin, mais cette fin ! (Attention spoil massif)
Perdu entre deux choix possibles, Spike Lee décide de ne pas choisir, et nous laisse imaginer l’avenir de son héros, à travers le discours de son père, qui lui promet une vie meilleure si jamais il décide de ne pas passer par la case prison (Insérez ici une blague sur le Monopoly de votre choix).
Et ouais, ça a beau être un peu un « bad guy » – On vous rappelle que le mec a vendu de la came pendant des années- on a envie qu’il s’échappe. Ouais, on veut qu’il conduise la bagnole de son père jusqu’au bled le plus paumé des États-Unis, qu’il rentre dans un bar, qu’il boive un dernier coup avec son vieux, et qu’il change de vie. Qu’il laisse tout ça derrière, après tout, pourquoi il n’aurait pas droit à une seconde chance lui ? Comme son père lui dit, tout n’est passé qu’à un fil de ne pas se passer justement, et si il choisit de se barrer, il aura encore une chance de reconstruire sa vie, comme nombreux l’ont fait avant lui. On a envie de croire à un happy-end pour Monty, mais qui peut vraiment dire si cela sera le cas ?
On ne peut s’empêcher d’être ému par ce monologue empli d’amour et de culpabilité d’un père qui essaye de rassurer son fiston, tout en le conduisant en taule. Ce père est prêt à tout pour sauver son rejeton, même à ne plus jamais le revoir. Je dois vous avouer que la beauté du discours de son père, a su toucher la petite chose sensible que je suis parfois.
Cette fin ouverte est absolument hallucinante d’émotions et de justesse, et on se demande longtemps après la fin du film quel choix notre cher Monty Brogan aura fait.
Rajoutez la musique de Terrence Howard par-dessus et vous obtenez une des plus belles fins de cinéma qui m’a été donné de voir depuis un paquet de temps au cinéma.
Non, je ne pleure pas, j’ai un truc coincé dans l’œil.
Qu’on se le dise, Spike Lee a frappé un grand coup. Son premier film post 11 Septembre est autant un hymne à la ville de New York qu’une plongée dans la dernière journée d’un homme, à travers ses coups de gueule, ses regrets, ses amis.
La 25eme heure est une réussite à tous les niveaux. Beau, bien écrit, et parfaitement maîtrisé de bout en bout, ce « dernier jour d’un condamné » new-yorkais nous entraîne dans son tourbillon, nous bascule dans tous les sens, et nous laisse pantois, au bout de 2h14. On en voudrait encore, mais même les meilleures choses ont une fin.
Vous l’aurez compris, bande de gros malins, j’ai adoré ce film. Et si tout se passe bien, vous l’aimerez aussi.