Gérard Baste, Le Prince de la Vigne : Fiez-vous à l’étiquette !
Une fois qu’on comprend qui est Gérard Baste, on se rend compte à quel point c’est un individu indispensable dans le paysage musical français.
Caricature du white trash alcoolique et bedonnant, à la pilosité soigneusement dégueulasse, il rappelle aux gens qu’entre le rap façon Skyrock et le slam le plus intellectuel, il y a une palette aux nuances infinies dont il occupe un coin bien à lui depuis près de vingt ans.
La sortie de son premier (!) album solo est l’occasion de redécouvrir ses pérégrinations musico-éthyliques, et de voir où elles l’ont mené.
Ni Dieu ni maître, sauf Maître Kanter
Au commencement étaient les Svinkels. En deux albums et deux titres légendaires, C-real Killer et Réveille le punk, ils s’installèrent dans le paysage du rap alternatif français avec un cocktail « punk et bitures » qui ne les empêchait pas d’être pris au sérieux grâce à leur maîtrise incontestable du flow et des punchlines. Cela leur vaudra de s’associer avec DJ Pone, le Pone de Birdy Nam Nam, pour les quelques années à suivre et notamment l’album de 2003, Bons pour l’asile, le sommet de leur carrière.
Bien installé dans le milieu, Baste va alors multiplier les collaborations (TTC, Fuzati, son collectif Qhuit crew) et même écrire pour Fatal Bazooka (Fous ta cagoule, c’est sa faute !) et faire de la TV. Mais avec tout ça, et un dernier album des Svinkels datant de 2008, cela faisait un moment qu’il n’avait pas sévi sur un album complet, se contentant ces derniers temps de projets collectifs ou de jouer de son personnage au gré de featurings parfois très bons, parfois assez médiocres.
Et nous y voilà. Les fans le réclamaient, il s’y était enfin mis. Le voici ce premier album solo, produit grâce à un crowdfunding aux contreparties délirantes à base d’invitations à des soirées à son domicile et promesses de featurings « même si t’es nul ». Le Prince de la Vigne était l’objet de toutes les attentes, et de certaines craintes à l’écoute de la mixtape rétrospective qui l’a précédé, preuve que dans un bon jour, Gégé détruit tout sur son passage, et dans un moins bon il assure le minimum et radote beaucoup.
Château Prince-Baste 2016
Et donc ? Et bien c’est un assez bon jour. L’album débute honorablement puis se poursuit par un titre assez passable, puis surgit l’explosion. En un trio de morceaux, Baste remet les choses au clair : il sait poser des ambiances, et il a toujours la même aisance dans les punchlines et les jeux de mots qui font mouche. Les prods ne sont pas au niveau de Pone mais assurent globalement le boulot. En gros nous voilà rassurés, on penche plutôt du bon côté du personnage.
Sur la distance, c’est évidemment un peu plus délicat, mais au moins on échappe au disque de 24 pistes donc trois singles, six interludes et quinze morceaux mal finis. En gros, le deuxième tiers est assez dispensable, à l’exception de Plus rien à dire, réflexion méta bien marrante où Baste fait dans l’auto-parodie. Par contre, quand il se risque à dire que quand même, la société va mal, il tombe dans les platitudes de comptoir.
De toute façon il ne faut pas s’attendre à ce que Baste varie les sujets à l’infini. Ce n’est pas du rap conscient, et même s’il se rend bien compte que tout ne va pas au mieux dans le monde, et qu’à l’occasion il plante quelques belles banderilles au hip-hop actuel (Shoobeedoowap) ses thèmes de prédilection restent de loin ses prouesses éthyliques, et sexuelles. Sur ce dernier sujet, on notera une faiblesse générale des morceaux où il est abordé, tant sur le fond que sur la forme. Être sale en parlant du fait qu’il est un gros ivrogne dégueulasse, c’est normal, mais quand il parle de femmes et de cul, Baste en oublie de cascader dans les mots pour aller à l’essentiel porno, et perd cruellement de son intérêt.
Heureusement, on a droit à deux derniers petits morceaux bien agréables vers la fin, notamment Papa o’Rhum, où il parle de son fils, et de son effarement (partagé !) à l’idée de s’être reproduit, et Amour et Encre, pour le côté ancien combattant et surtout la prod de Pone qui a bien fait de passer par là.
Guetté par les fans depuis un moment, cet album remplit son office en ajoutant quelques très bons titres à l’œuvre du légendaire ivrogne. Finalement, il est à l’image du personnage et de sa carrière : brillant dans la saleté, éthylique au dernier degré, obsédé sexuel, inégal mais au bout du compte cohérent.
Si vous avez la flemme de tout écouter, commencez par : Trop gros, 28 litres plus tard, Shoobeedoowap, Plus rien à dire, Papa O’Rhum. Du Baste grand cru parmi la piquette !