Free State of Jones : la bien belle histoire de l’Amérique…
Quand j’ai vu la bande annonce de Free State of Jones, je suis passé par plusieurs émotions. Tout d’abord la joie de voir un film sur la période que je préfère dans l’histoire Américaine, la Grande Saignée, la Civil War des pauvres types normaux, la bonne vieille Guerre de Sécession de 1860. Puis l’excitation, avec l’apparition de la trombine de Matthew McConaughey, ce beau diable qui, en plus d’avoir un nom à coucher dehors, est très certainement un des acteurs les plus marquants de ces dix dernières années. Enfin vint l’angoisse : la peur du « Pan-Pan je tue des méchants Confédérés », des interminables « Alleluia God Bless America », et du spectre du « Gloire à l’Union »…
Alors, qu’en est-t-il de ce film inattendu ?
NB : Cet article sera émaillé de petits spoils, nécessaires au bon déroulé de la critique. Désolé par avance, mais bon vous êtes prévenus !
Le goût du sang, le poids de la Guerre
Le parti pris du film est de romancer la vie de Newton Knight (incarné par l’acteur star, impeccable, cabotin et habité), infirmier confédéré du comté de Jones (Mississippi) qui déserte des champs de bataille pour retrouver ses terres et ses proches. Mais voilà, en plus de devenir un fugitif, Knight va petit à petit rameuter ses frères d’armes fuyant la guerre pour les rallier à une cause aussi noble qu’insolite en ces temps de troubles. Fatigué de mener « un combat qui n’est pas le sien », épuisé des coups de triques des riches qui mènent l’Amérique du Nord au chaos en envoyant crever par milliers des pauvres gars, écœuré par les combats et le gâchis humain… Révolté par l’injustice de voir les petits toujours payer plus, en vie, en sang, et en biens.
Il va donc prendre les armes, et se mutiner avec ses compagnons et des esclaves noirs. Et c’est bien son histoire que l’on va suivre, des champs de batailles confédérés jusqu’à la fin de sa vie de lutte, emplie d’espoirs brisés, et d’idéal trahi.
Le film se distingue en deux parties : nous suivons tout d’abord la prise de conscience et la guérilla de ce soldat désabusé devenu Robin des bois… le rythme est haletant, l’action y est menée tambour battant. C’est effréné, crédible. De l’émeute organisée jusqu’à l’inévitable lever de drapeau Ricain… Quelquefois, on frémit, on a peur de voir le film s’enliser dans un vulgaire énième film où le réal’ nous balance la poudre de perlimpinpin patriotique dans la tronche…. et puis… Et puis non.
Knight, dans le film comme dans les faits, s’est rallié à l’Union pensant trouver de l’aide pour sa révolte. Sa Commune à lui. Noirs, Blancs, tous luttaient à égalité sous ses ordres, les terres étaient redistribuées, les richesses aussi.. « Nous sommes tous le nègre de quelqu’un » annonce-t-il même à la foule qui s’amasse pour boire ses mots comme de la liqueur de vérité humaniste, terrible affront aux propriétaires terriens et véritables « maîtres » de tous. Mais voilà, aucune aide ne viendra de l’Union. Dos au mur, Knight proclamera l’indépendance du comté de Jones, devenu le Comté Libre de Jones. Malheureusement, Knight perdra aussi ses soutiens… Ses hommes qui autrefois étaient galvanisés par ses victoires (il prit deux comtés entiers avec moins de 200 bonhommes armés de pétoires… face à l’armée Confédérée, s’cuzez du peu!), commencent à mal percevoir la présence des « nègres » à leur côté. Il faut se dire que les mentalités de l’époque, dans ces régions-là, étaient très « divisées » vis à vis de la Question Noire (et le film le montre très bien, NON tous les confédérés n’étaient pas des racistes, et non, tous les Unionistes n’étaient pas progressistes) … et voient d’un mauvais œil les velléités humanistes de leur Capitaine.
C’est le début de la fin et du cauchemar.
D’autant que la rébellion va se voir opposée à un contingent de mille hommes dirigés par le général Lowry, mandaté pour faire rentrer tous ces bouseux gênants chez eux… enfin ce qu’il restait de chez eux, les fermes ayant été brûlées et pillées des ressources. Exit la sécession de Jones. Et la Guerre de Sécession par là même après la reddition du Sud face à l’ogre de l’Union (notamment après la défaite capitale de Gettysburg qui vit mourir plus de 8000 hommes et fit plus de 30 000 blessés en… 3 jours.)
Glory Alleluia…
Il faut bien comprendre qu’en 1864 nous sommes face à un pays bouleversé, en perte de repères, et qui s’en construit de nouveaux : la bande de Knight cède tout d’abord aux sirènes de l’anarchie presque Proudhonienne, tandis que plus le temps passe, plus ils s’organisent en un état structuré… pour après capituler devant les trompettes du Nord qui vont raser les idéaux et imposer le fédéralisme et l’ordre réactionnaire.
Comme le dit très justement Thomas Coispel sur le blog du cinéma dans une critique très juste que je vous invite à lire : « La guerre de Sécession a été un choc civilisationnel pour cette très jeune nation, une guerre civile qui a eu des répercussions bien au-delà de l’abolition de l’esclavage. FREE STATE OF JONES replace cet élément dans son contexte socio-politico-économique en montrant à quel point l’abolition de l’esclavage était aussi une façon de légitimer l’imposition d’un nouveau pouvoir par rapport à un ancien ». « Bon retour parmi nous » s’exclamera un responsable de l’Union qui rétablit un ancien richissime propriétaire Confédéré en lui confiant à nouveau ses terres et ses désormais « apprentis Noirs » qui lui sont liés sous le coup de la nouvelle Loi. Jubilation des puissants, camouflet politique implacable. « Libre mais pas Libre« , voilà bien la constatation des affranchis qui se retrouvent très vite au même point qu’avant la guerre, libres par le nom, mais ferrés dans les faits. L’Union s’empare des terres, remet les anciens maîtres en place et vaille que vaille, la vie continue. En effet, les maîtres n’ont pas de drapeaux et ils n’ont qu’un seul Dieu : l’argent, le pouvoir. Face à tant de mépris de classe, les « petits » n’ont plus que leur rage.
C’est bien là le coeur du film : face à l’injustice (morale, économique, idéologique…), l’ADN américain va légitimer la violence via son indéboulonnable Second amendement qui prend ici toute une autre signification pour nos schémas de pensée européens et pacifistes. D’ailleurs, fait remarquable : tout au long du film, Matthew McConaughey ne lâchera JAMAIS son fusil, comme un prolongement de lui même, il reste constamment agrippé à son bras. L’Amérique est bien le pays de tous les possibles, les meilleurs comme les pires. Et après l’élan révolutionnaire, c’est bien l’âge sombre qui s’empare à nouveau du Sud Ségrégationniste et plonge le Mississippi dans le sang. Ça je ne vous l’apprends pas. Martin Luther King est encore loin, et le Ku Klux Klan va alors se déchainer.
Bien plus que le simple biopic de Newton Knight, c’est bien une rétrospective de l’histoire américaine que nous livre ici le réalisateur et scénariste Gary Ross (sans déconner, voir son nom au casting m’a fait frissonner… Le gazier ne s’est pas illustré dans du très grand cinéma, à part si vous faites partie de ces gens qui considèrent Hunger Games comme un chef d’oeuvre). Il nous livre ici un film admirable tant par le propos que par la réalisation, sur une partie bien sombre de l’histoire Américaine où le manichéisme n’a pas sa place.
Sans chichis, sans détour, sans compromis. Telle qu’elle est. Brute. Avec ce qu’elle a de noirceur, de crasse, de vicieux et d’immonde. D’espoir, d’utopie, d’exaltation et de ferveur, malgré tout.
Free state of Jones est une surprise. Pour sûr.
Niveau claque dans la gueule et remise en question morale, je pense que l’on tient ici notre challenger de cette fin d’année 2016. Bravo monsieur Gary Ross, pour votre courage et pour cette volonté de faire un film entier, complet, pertinent et sans compromis sur cette grande connerie que fut la guerre de Sécession, et plus généralement, sur les vicissitudes de l’humain. Car voilà, plus qu’une fresque historique Américaine, Free State of Jones est surtout un beau contemplatif de nous-mêmes : ce qu’il peut y avoir de meilleur en nous (par l’imagerie mobilisée autour du héros que fut Knight et de sa petite troupe), et de plus atroce et d’implacable dans une Histoire qui sait si bien briser et rompre l’espoir.
Certains pourront chercher la petite bête et clamer haut et fort que le film est une ode à la logique libertarienne américaine… Certes, mais c’est pour mieux la déconstruire dans les grandes lignes. Penchez-vous plus près et éraflez la première couche de vernis, et vous verrez ce qu’est Free State of Jones : un film parfois maladroit, parfois facile, mais diablement humain en somme.