Far Cry Primal, le jeu des âges farouches
Et voici que le jeu de Guillemot le Sage s’élançait encore vers des ventes inconnues, à la découverte de la mystérieuse et profonde caverne des trolls, à la découverte de la grande horde de ceux qui jouent assis : les gamers.
Car chasser et mutiler des animaux, tel était son destin, le destin de Far Cry : Primal, le jeu des âges farouches !
Après un Far Cry 3 qui avait donné un nouveau souffle à la série et un Far Cry 4 en demi-teinte car bien trop similaire à son aîné, ce nouvel opus made in Ubisoft Montréal saura-t-il redonner gout à la recette de l’open world selon Ubisoft, qui commence à sérieusement devenir fadasse ?
La Vallée des Mammouths
Nouveauté principale du titre, et pas des moindres, celle autour de laquelle toute la communication d’Ubi s’est articulée ces derniers mois : adieu les grenades et pétoires, au revoir monde contemporain, bonjour massues et sagaies, salut la Préhistoire ! Vous voici plongé dans une ère sauvage, où tout est un danger, où déambuler tranquillement peut signifier votre mort à la merci d’une meute de loups affamés, où dépecer votre proie sans précautions peut laisser le temps à un léopard de vous becqueter la tête en tapinois, où les autres êtres humains essaient de vous dévorer après vous avoir attendri les chairs à grands coups de masses. Bienvenue dans le monde merveilleux d’Oros !
Merveilleux, car si l’on passe outre l’irrépressible envie de vous bouffer qui semble animer tout ce qui y vit, le moins que l’on puisse dire c’est qu’Oros est magnifique. Véritable réussite technique (et bien optimisée dois-je ajouter, même si atteindre les 60fps constants tient de l’exploit), le monde est vivant, les effets d’ombres et de lumières sont dynamiques, les animations réussies, le jeu fluide. On n’est pas face au plus beau jeu des dernières années, loin de là, et quelques textures dégueulent salement. Mais quand même, la petite phrase « Putaing, c’est beau !» finira fatalement par sortir dans un râle.
La beauté d’Oros, elle se trouve surtout dans ces panoramas incroyables, témoins d’une direction artistique aux petits oignons.
Se trouver dans les collines enneigées du Nord et voir un troupeau de Mammouths paître tandis qu’on aperçoit au loin les lueurs d’une torche portée par une procession de guerriers ennemis. Être sur une corniche surplombant une rivière où des rhinocéros laineux viennent s’abreuver et les lions des cavernes se battre tandis que votre familier se repose à vos côtés, attendant l’occasion de se lancer pour leur lacérer les chairs. Admirer de près la dentition pourrie d’un de vos compagnons de route, si réaliste que vous avez l’impression d’en sentir l’haleine…
Comme à son habitude avec les Far Cry, Ubisoft nous sort ici le grand jeu, et nous fait de l’œil avec ce monde dépaysant et ô combien charmeur. Cerise sur le gâteau, pas de bugs honteux à déplorer, problème qui persiste du côté des Assassin’s Creed et d’autres prods de la boîte (looking at you Watch Dogs), mais qui semble épargner la série des Cris Lointains.
Une Préhistoire convaincante, un scénario qui l’est moins.
Notre Préhistoire commence en -10 000 alors que Takkar, chasseur de la tribu Wenja qui est aussi notre héros, se retrouve seul et isolé en Oros, après une chasse au Mammouth qui a mal tourné. Solitaire, vous ne le restez pas longtemps car vous rencontrez rapidement Sayla, une autre Wenja, avec qui vous vous liez d’amitié, malgré sa tendance de psychopathe névrosée à collectionner les oreilles humaines pour s’en faire des colliers. Après quelques missions données par la jeune Sapiens, vous recrutez également à vos côtés le chaman Tensay, autre personnage éminemment sympathique, dont la grande passion est de faire boire à Takkar une bonne rasade de sang humain. Ces deux personnages à vos côtés, l’aventure commence véritablement, et vous vous retrouvez totalement libre de vos actions et d’explorer le monde qui vous entoure, bien que l’objectif principal pour Takkar va être de construire un havre de paix pour la tribu Wenja (passant par la construction d’un village et le recrutement d’alliés) et de surpasser les tribus ennemies que sont les Udams et les Izilas, principaux antagonistes du soft.
Ainsi les Udams sont des Néandertaliens anthropophages vivant dans les steppes glacées du Nord d’Oros. Leur peuple se meurt, et vous allez prendre un plaisir même pas coupable à génocider gaiement ce qu’il en reste, montrant au passage quelle théorie est supportée par Ubisoft concernant la disparition de nos cousins pas si lointains.
Des Néandertals en -10 000, j’ai envie de dire pourquoi pas !
Les Izilas quant à eux sont des Sapiens tout comme vous, mais plus évolués technologiquement et spirituellement, rendant un culte à leur déesse du soleil Suxli, ce qui les pousse à brûler vivants tous les étrangers sur lesquels ils tombent dans les forêts du Sud. Des mecs sympas avec qui faire des barbeuks les dimanches après-midis quoi.
Des amoureux du bleu, comme William Wallace !
Petite parenthèse, tout ce beau monde parle dans une langue préhistorique composée spécialement pour le jeu et dont les développeurs sont hyper fiers. J’ai pourtant un peu de mal à croire qu’une langue préhistorique puisse avoir des mots aussi transparents vis-à-vis de nos langages contemporains (Mammouth se dit Mammaf, tigre se dit Tigri, ours se dit Eurs, et frère se dit Broshta), et ça casse un peu l’immersion une fois remarqué.
L’ambiance musicale du jeu, tant qu’on en parle, est réussie avec des bruitages et des musiques d’ambiance composées par Jason Graves, ancrées dans la période avec de bonnes grosses percussions tribales. Malheureusement rien de bien transcendant, et aucune musique ne reste véritablement en tête.
Pour en revenir au scénario, je tiens à le dire tout de suite, et je pense que personne n’en sera choqué : celui-ci est inexistant et pourrait tenir sur un ticket de caisse. Le fil rouge se résume à une quête pour la survie en éliminant les chefs des tribus ennemis, et… Et bah c’est à peu près tout. Vos missions pour y parvenir sont l’archétype de celles d’un MMO, la scénarisation des quêtes est basique au possible, les personnages secondaires, pas charismatiques pour un sou.
On n’arrive pas à accrocher à ces individus si atypiques, alors même que partir en pleine nature pour les recruter afin d’améliorer et agrandir notre village, ça partait quand même d’une excellente idée (largement inspirée d’Assassin’s Creed 3 pour ne citer que lui). Une partie gestion qui ne va malheureusement pas assez au fond des choses (le village est très rapidement upgradé à fond), tout comme le caractère de nos recrues. Il y avait pourtant matière, y a une fille qui collectionne des oreilles nom de Dieu !
Dommage, Ubisoft n’a toujours pas réussi à réitérer la création d’un personnage aussi charismatique que le mythique Vaas de Far Cry 3.
Malgré cela, et en dépit des nombreuses erreurs anachroniques qui viennent parsemer le jeu (De la poterie ?! Des Néandertaliens en -10 000 ?! Des smilodons et des mammouths ?! Un arc double ?!), force est de constater que le monde préhistorique créé par Ubisoft est crédible et encore une fois, superbe dans son aspect sauvage. Le genre de choses qui va allumer la flamme de l’explorateur qui sommeille en vous et vous amener à fouiller cet univers dans le moindre de ses recoins.
On joue moins à ce Far Cry pour son scénario aussi passionnant que la dernière interview de François Fillon, que pour son monde et son ambiance, à vous faire hérisser le poil quand vous vous baladez de nuit dans un territoire où les lupus pullulent. Et au final, ces « erreurs » n’en sont pas vraiment, elles sont véritablement un moyen de servir d’une part le gameplay, d’autre part l’immersion du joueur, via des images fortes de la période, ancrées dans notre imaginaire collectif.
Parce que franchement, vous y joueriez vous, à un jeu se déroulant à la Préhistoire et où vous ne pourriez pas chasser le mammouth ou combattre du smilodon avec pour seules armes vos gonades et une sagaie ?
Chassez le naturel, il revient vous éventrer.
Et en parlant de chasse et de combat, on a affaire à du brutal. Vos trois armes principales sont l’arc, les gourdins, et les sagaies, auxquels on peut rajouter les grenades préhistoriques, alias les ruches et autres petits pots incendiaires.
Si votre arc sera la plupart du temps votre meilleur ami, vous n’aurez parfois d’autre choix après quelques lancers de sagaies décisifs, que de foncer dans le tas gourdin en main, afin d’aller trépaner les impudents qui osent vous agresser. Les combats sont dynamiques et violents, et en début de partie, alors que vos armes et vos compétences sont encore basiques, vous allez réfléchir à dix fois avant de vous lancer sur ce groupe d’ennemis qui vous semble isolé.
Oui, le début du jeu est dur, et vous êtes loin d’être un Ramcro-Magnon. Vous êtes seul, avec des armes pourries qui se brisent en plein combat, et la vie sauvage d’Oros, comme je vous le disais plus tôt, n’aime pas, mais alors pas du tout, la faiblesse.
Mais si les premières heures sont cruelles, on trouve rapidement moyen via les enseignements de Tensay le chaman, de dompter les bêtes et ce, de façon excessivement simple. A partir de là, vous serez toujours accompagné de votre animal totem, une chouette qui vous servira à planifier vos attaques, et de votre fidèle familier, que ce soit un loup, un tigre, un lion, un ours, ou un blaireau. Oui, oui, vous avez bien lu. Et ne plaisantez pas avec ces bêtes là. Elles sont cruelles à l’excès…
Au nombre de 17, dont 3 bêtes « légendaires », l’une de vos principales activités sera donc celle d’un dresseur de Pokémon, cherchant à apprivoiser tout ce qui a des crocs, et qui pourrait vous aider au combat, certains animaux ayant même des aptitudes spéciales, d’autres pouvant être chevauchés (encore une fois, sacrifice du réalisme au service du gameplay).
Quand vous n’êtes pas occupé à lancer des pokéballs (pardon, des appâts) pour capturer des animaux, vous êtes en train de les tuer et de les dépecer pour ramasser des matières premières qui vous serviront à construire les huttes des personnages de votre village, mais surtout, à fabriquer et améliorer votre équipement. Et vous allez y passer du temps, à chasser et à écorcher des bestioles.
Déjà, parce qu’elles sont nombreuses, et que la collectionnite vous y poussera, une fois toutes les bêtes domesticables domestiquées. Mais surtout, parce que c’est fun. Comment voulez-vous qu’une chasse au Smilodon ne soit pas excitante ?!
Et transformé le temps d’un instant en Degolas, l’elfe Sapiens, on se prend à allumer tous ce qui passe à notre portée que ce soit poilu, bipède, ou à plumes, et à améliorer notre équipement de concert, jusqu’à devenir une véritable machine de guerre préhistorique.
Et hélas, défaut majeur et véritablement dommageable : une fois les améliorations maximales atteintes, plus rien ne vous résiste. Littéralement.
J’ai effectué ce test en mode difficile et pourtant, tous se prosternent devant moi, depuis les bêtes de la jungle jusqu’aux être humains de pacotille, mourant sous le seul coup de ma massue améliorée. Le sentiment de peur et de tension qui vous accompagnait depuis le début du jeu et qui était au cœur même du gameplay, celui qui vous faisait constamment réfléchir à vos actions et à la possibilité ou non de survivre au combat qui s’offre à vous, envolé. D’un simple lancer de sagaie, tous trépassent devant vous tandis que votre barre de vie améliorée vous empêche de périr, même de trois flèches dans la tête.
Il en perd sa moumoute, le Mammouth
Des défauts, le titre en a, mais il me reste à vous parler du plus important, de celui qui empoisonne véritablement les productions open-world d’Ubisoft : le remplissage à tort et à travers. Alors oui, nombre d’activités qui vous sont proposées au sein d’Oros sont intéressantes, particulièrement si vous avez la collectionnite et que vous aimez l’exploration. Les cavernes et les objets de collection font partie de celles-là.
Mais on est encore face à un monde ouvert rempli de tâches annexes ennuyeuses et répétitives à souhait. Je pense ici tout particulièrement à ces foutues quêtes oranges qui parsèment votre map en grand nombre mais qui sont en fait 4 schémas de quêtes, multipliées à l’infini : sauver des Wenjas, détruire un camp ennemi, chasser des animaux, escorter une procession de Wenjas. Quatre archétypes de quêtes que vous allez répéter des dizaines de fois, jusqu’à la gerbe. Mention spéciale aux quêtes d’escortes qui sont une purge à en regretter d’avoir commencé à jouer, et qui vous donneront envie d’éclater la tête de vos protégés à grands coups de silex bien placés. Oui, à ce point.
Peut-être serait-il temps pour Ubi de revoir sa façon de faire un open world. Un jeu comme The Witcher 3 a récemment prouvé que l’on pouvait créer un monde vivant et rempli de quêtes annexes et d’activités. Certes ce dernier non plus n’évitait pas l’écueil du remplissage par moments (ceux qui ont fouillé toutes les îles de Skellige savent de quoi je parle), mais avec une scénarisation forte et dynamique derrière, la pilule passe d’autant plus facilement, et on en vient même à en redemander.
Pas sûr que ce soit encore le cas longtemps des productions d’Ubisoft.
Quatre ans après un Far Cry 3 encore dans les mémoires, force est de constater que la recette de la série d’Ubisoft n’a que peu évolué depuis. Pourtant, elle n’a jamais été aussi délicieuse et aussi en symbiose avec sa sauce que dans cet environnement préhistorique dépaysant.
La Préhistoire est un environnement parfait pour la série, les combats y sont brutaux et rapides, l’envie d’exploration est omniprésente, la chasse et la récolte y deviennent des éléments centraux de gameplay.
Cependant, hormis ce changement de cadre bienvenue et en accord avec le gameplay de la série, les défauts des open world made in Ubisoft subsistent : scénario plat, quêtes inintéressantes et répétitives, remplissage de la carte du monde d’objectifs annexes, et de tâches parfois inintéressantes voir ingrates.
Si vous cherchez une grande aventure épique aux multiples rebondissements, passez votre chemin, et pensez mélancoliquement à Geralt en fourbissant vos fidèles épées au coin du feu.
Mais si la simple idée de courir librement dans une nature sauvage et d’y éviter les charges d’un mammouth en furie vous file le gourdin, ou si vous pensez simplement que la vie est un cri, Far Cry Primal est un jeu qui ne peut que vous plaire !
RAHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAN !!!
Test effectué sur un PC avec processeur i7-4790k, 16Go, GeForce GTX 770