Deadpool : l’art de la guerre, une revisite déjantée de Sun Tzu
Ce qui est pratique avec Deadpool, et les artistes de chez Marvel l’ont bien compris, c’est qu’on peut lui faire faire n’importe quoi. Ce qui est parfois super et parfois dommage pour le lecteur, c’est que les artistes de chez Marvel lui font faire n’importe quoi.
Le mercenaire disert a la hype en ce moment. Il a sa propre série régulière, plein de spin-offs et hors-séries, un jeu vidéo qui lui est dédié et bientôt un film que je ne manquerai pas, promis juré, de chroniquer dans l’antre des Trolls. Ici, je m’intéresse à une aventure complète et indépendante de toute autre : nul besoin donc de connaître tout le (maintenant bordélique) background du perso pour apprécier l’histoire. Deadpool : l’art de la guerre peut être lu par quiconque, une petite connaissance du protagoniste est un « plus ». Mais bien qu’accessible, cette BD est-elle de qualité ? Réponse dans les lignes qui suivent.
L’art de foutre le bordel
Un petit point sur le pitch va vite vous faire réaliser le ton de l’œuvre. Sans qu’on ne sache trop comment, Deadpool remonte le temps et assassine Sun Tzu, le très fameux stratège et général chinois, pour mener à bien un contrat. Une fois ceci fait, il tombe sur les rouleaux de L’Art de la Guerre, le fameux traité de stratégie militaire. Subjugué par le génie de l’œuvre, Deadpool se hâte d’aller le faire éditer à son époque. Seulement voilà, ça fait un bail que l’Art de la Guerre est connu, et l’éditrice refuse d’éditer la version de Deadpool à moins qu’il n’ajoute quelque chose en plus au livre. Le mercenaire propose alors d’en faire une sorte de manuel de survie dans un monde en guerre, par exemple. L’éditrice lui rétorque alors la pire chose qu’elle aurait jamais pu dire, pour la planète et l’humanité toute entière :
« Intéressant, mais il y a un souci : le monde n’est pas en guerre.«
Deadpool s’en va donc trouver Loki, se propose de devenir son conseiller militaire, puis le convainc finalement d’attaquer l’Asgard et la Terre.
Scott Koblish, le dessinateur, connaît bien Deadpool. Il œuvre sur la série régulière et a déjà pastiché quelques styles graphiques selon la période à laquelle notre mercenaire préféré se rendait (la plus marquante étant les seventies). Ici, le challenge était de taille : donner au récit son coté épique avec des armées gigantesques, tout en oubliant pas de garder un côté « délirant ». Et là, je dois avouer que le pari est tenu. Monsieur Koblish se paie le luxe de doter chaque soldat de sa trombine propre, avec son équipement, son arme, tout plein de petits détails… dans un style toujours un peu exagéré (grosse bouche, dentition démesurée, mâchoire carrée à l’extrême). L’exercice est de taille, surtout que certaines bastons prennent place sur des doubles pages entières ! La colorisation de Val Staples rend honneur à ce boulot de titan, humble et plutôt terne. Cela évite de nous agresser l’œil avec du fluo dégueulasse qui, s’il avait été multiplié par la dizaine de belligérants, aurait été tout bonnement indigeste.
On notera enfin la présence de tout pleins de super-héros connus qui viennent se taper l’incruste, histoire de repousser l’invasion des sbires de Loki : Thor bien sûr, mais aussi Spiderman, Captain America, Iron Man, les Quatres Fantastiques et même le prince Namor ! Pour le lol, Hulk aussi est de la partie, nous avons droit pour le coup à un double clin d’œil (il ferme les yeux en somme) bien lourdingue au film The Avengers. Ah bah tiens, transition parfaite : passons à ce qui marche pas top là dedans.
L’art d’écrire un personnage
Les quelques éléments bancals (et pas bancaux, j’ai vérifié) viennent de l’écriture, et surtout en ce qui concerne le personnage principal (c’est un comble). Deadpool est un personnage extrêmement élastique, sa folie et sa manie de briser le quatrième mur permettent aux auteurs qui l’utilisent de donner libre cours à leur imagination la plus débridée. Il arrive que ses histoires soient complètement loufoques, explorant le potentiel WTF assez conséquent du gars, ou plutôt sombres, allant alors chercher dans son coté instable et dérangé.
L’idée de Deadpool d’utiliser Loki pour répandre la guerre juste histoire de vendre un max d’exemplaires de son livre classe clairement le scénario dans la catégorie « WTF » suscitée. Or à un moment donné, on sait pas trop pourquoi, le scénariste décide de lui faire péter un câble en mode « dark psychopathe » qui ne colle pas du tout, mais alors PAS DU TOUT au reste du récit bien délire. Un peu comme si Peter David avait devant lui un « cahier des charges Deadpool » et qu’il s’était dit « mmmh vu que c’est aussi un personnage sombre, je vais lui coller cet aspect sur quatre pages… Et hop, voilà, emballé c’est pesé ». Ironie hardcore : dans l’introduction, Peter David estime que l’effet comique doit venir naturellement des situations et que si l’on se donne pour but d’être drôle, on finit souvent par produire l’effet contraire. Et beh c’est dans cet exact travers que monsieur David (très joli nom de famille, soit dit en passant) est tombé, mais avec l’autre facette de Deadpool : en voulant absolument en faire un être torturé dans un récit qui ne s’y prêtait pas, il a juste réussi à le faire sonner faux. Comme quoi, il suffit de quelques pages et d’une mauvaise inspiration pour péter la cohérence d’un scénar.
Ça plus cette double-référence à The Avengers dont je parle un poil plus haut, c’est ce qui fait que ce Deadpool : l’art de la guerre n’atteint pas l’excellence comme on aurait pu le croire au premier abord. Et c’est vraiment dommage, parce que le projet était à ça (mimer un tout petit espace entre le bout du pouce et celui de l’index) de toucher au génie.
L’art de construire un récit
Parce qu’il faut bien l’avouer, ce qui semble être une idée tout droit sortie d’une soirée trop arrosée roule bien. C’est quand même un tour de force d’avoir structuré l’histoire de manière à ce qu’on puisse le commenter quasi-entièrement avec des citations de L’Art de la Guerre. De même, Deadpool manipule l’espace-temps (le meurtre de Sun Tzu) et détruit impitoyablement le quatrième mur (le fait qu’il choisisse à quelle version Marvel de Loki il veut avoir affaire, le super twist final…) sans pourtant alterner la cohérence du récit. Ça vous paraît peut-être évident comme ça, mais après avoir lu certains « trucs », je trouve que c’est une performance : le tome 2 de Cable et Deadpool par exemple, est un monument de complexité inutile et même la série régulière s’égare parfois dans des méandre tortueux, obscurs… et nazes. Dans la BD qui nous intéresse, ce n’est pas le cas.
En bonus, on a droit à une histoire de huit pages intitulée La Dame Chance super pour conclure ! On y voit que Deadpool a beau être un bouffon déluré et un mercenaire ultra bling-bling, il n’en reste pas moins un assassin impitoyable et efficace. Encore une autre facette du personnage, que j’aime beaucoup et qui est ici utilisée à la perfection.
Deadpool : l’art de la guerre est bon. Son pitch de départ, déluré au possible, permet aux auteurs d’étaler une histoire qui assume son délire et surtout le suit jusqu’au bout. Mises à part les quelques fautes de goût évoquées dans la deuxième partie de ma chronique (si ça se trouve, elles ne gênent que moi d’ailleurs), je n’ai pas grand-chose à reprocher à ce comic-book qui se hisse sans trop forcer dans les « aventures de Deadpool de qualité ». Là, oui là, dans l’étagère juste en dessous des « aventures de Deadpool mythiques », elle même en dessous de l’étagère « aventures de Deadpool parfaites » (spécialement construite pour le one-shot Il Faut Soigner le Soldat Wilson).