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Claymore, encore un peu d’entrailles ?

 

Des gargouillis infâmes de déglutition, les images glaçantes d’un repas sacrilège sous une lune rouge sang, ainsi se dessinent les contours d’une créature humanoïde au regard fou, arc-boutée sur un cadavre encore chaud. Bientôt le reflet glacé d’une terrible lame rompt cette scène impie et on bascule dans un tourbillon de fer et de sang : Claymore.

 

 L’introduction est brutale, voir ravageuse, elle clarifie d’emblée la réalité d’un monde terrifié, d’une humanité réduite comme rarement à l’état de proie impuissante face à ses prédateurs naturels. Seul un groupe mystérieux de femmes, magnifiques et inquiétantes, se dressent encore entre les populations et la frénésie dévorante de ces créatures, les yomas.

 

yomaUn yoma dans son éclatante bestialité

 

De jolies demoiselles avec des épées… un concept fort intéressant

Grandes et impassibles, les yeux argentés et froids comme le métal, ainsi sont les Claymores, bras armé de l’organisation contre le déchaînement de violence des yomas dans le monde des hommes. Êtres hybrides, issues de préparations secrètes permettant d’intégrer au corps d’une jeune femme de la chair de yoma, les Claymores sont des guerrières redoutables, capables de repérer les ennemis du genre humain même lorsqu’ils ont revêtu perfidement une apparence humaine. En silence elles s’avancent et massacrent à la volé les odieux monstres, leurs yeux virant alors parfois au jaune et trahissant ainsi leur condition ambiguë. Elles sont autant haïes de leurs ennemis que des humains, elles vont solitaires et l’âme en peine, cheminant en permanence entre les tentations de la puissance démoniaque qui sommeille en leur sein et les arpents d’humanité qui leurs restent et qui sont un bien piètre refuge dans leur existence torturée.

 

claymore-manga_00448913Claire, l’héroïne de l’histoire

Ce ne sont pas de vains mots. Si les Claymores ont une résistance hors du commun, le moins que l’on puisse dire est que leur corps sont mis à rude épreuve. On est plutôt habitué à des scènes de violence, plus encore quand il s’agit de dessins en noir et blanc sur du papier, et pour autant, dans ce manga elles induisent malgré tout un certain trouble dans le sens où elles peuvent être véritablement inéluctables, en tout cas chez certaines d’entre elles ou à certains moment. Ce rapport au corps est en plus central puisqu’il implique l’utilisation de leurs pouvoirs, donc de leur part démoniaque. On ne peut puiser dans ce fleuve sombre et puissant sans risque…

 

Claymore_v01_139Oui, j’ai un bras dans le ventre… et alors… 

 La tentation est grande pour elles de plonger dans une véritable extase orgasmique en se laissant submerger par la part d’ombre couvant en elles. C’est alors la terrifiante spirale de la folie qui nous entraîne dans un dédale de la condition des Claymores, de leur humanité vacillante.

 

Le fond des choses

L’Histoire s’articule autour d’un événement traumatique pour l’héroïne qui appelle vengeance. C’est très simple, suffisamment efficace pour tenir le lecteur (ou spectateur) en haleine. Mais le fond de l’œuvre, que l’on découvre pas à pas, se révèle nettement plus riche. On flaire dès le départ des choses peu avouables derrière les voiles d’ombre du récit. Ils cachent quelque chose d’encore plus nauséabond et cynique qu’on peut l’imaginer. Les Claymores y sont confrontées à leur propre être, à leur condition, leur fonction. Si nous avons vu que la question de l’humanité de ces êtres pouvait se poser dès le départ, le récit nous livre des questionnements encore plus profonds, allant jusqu’à la remise en question du libre arbitre, de l’intégrité psychologique, voir de l’idée même de psychisme…

 

30Tout doux ma belle… 

Autant dire que le manichéisme apparent du départ, entre méchant yomas et gentilles Claymores, vole très vite en éclats pour révéler l’ambiguïté comme phénomène général et finalement particulièrement saisissant. Progressivement les intentions se révèlent et un abominable monstre peut déclencher de la sympathie, voir de la pitié, alors qu’il lui reste encore du sang humain au coin des lèvres… C’est un peu similaire aux impressions laissées par certaines œuvres d’Octave Mirbeau (référence qui claque), ce qui démontre une véritable volonté par l’auteur de questionner les tréfonds de l’âme de ses lecteurs, de leur propre moralité et de leurs rapports à nos tabous primordiaux.

 

Le manga et l’animé

 Maintenant venons-en aux questions plus factuelles. Pour bien parler de Claymore il faut distinguer le manga et l’animé. Le premier souffre, pour les premiers tomes, d’un dessin rigide, quelque peu maladroit, qui déconcentre un peu la lecture pour l’amateur de traits alertes. Mais peu à peu la main de l’auteur, Norihiro Yagi, se fait plus experte et on se retrouve bientôt devant des pages à la puissance troublante, toujours un peu hiératique, non plus tant par maladresse que par style. Les monstres incroyables qui jalonnent les pages ont ainsi un traitement maniaque avec un luxe de détails presque aussi poussé que dans la peinture de Van Eyck (autre référence qui claque).

 

artbite.a205.jan.van.Eyck.Arnolfini-09301Pas de panique, Van Eyck tout le monde connait… au moins ce tableau

 L’animé, lui, ne souffre pas la moindre inégalité de ton dans le traitement visuel ; c’est beau, la lumière et les couleurs sont impeccables ce qui rend à l’atmosphère quelque chose de très immersif. La musique y participe bien également et les génériques risquent de vous entrer profondément dans le crâne. Par contre sa fin est littéralement bâclée ; le manga étant encore en cours et le projet ne portant que sur 26 épisodes, il a été décidé d’organiser le combat décisif du manga de façon bien trop précoce, giflant ainsi toute une logique. C’est le seul véritable accroc au manga et il serait vraiment sympathique que cette série soit de nouveau portée à l’écran afin d’en embrasser la totalité en profitant de ce bon travail d’animation. Sur le net il y a pas mal de forums qui appellent à corps et à cris cette fameuse suite, alors fidèle lecteur, vient donc grossir les rangs des amateurs de belles guerrières éthérées et de monstres dégoûtants, cela sera pour ton plus grand plaisir !

 

11La classe, tout simplement

 

10742718_10204115763826704_824066312_o Claymore est une œuvre profonde. L’auteur savait pertinemment dès le départ tout ce qu’il voulait dire et il s’est autorisé une plongée fort intéressante dans nos cervelles d’humains. Fresque médiévale-fantastique, le manga s’avère au final une intéressante approche de la folie et des jalons de ce qui définit l’humanité. La liberté, l’intégrité, qui sont de façon très cynique remises en question parfois, ne le sont jamais gratuitement et pour livrer un message purement nihiliste. Il fleure bon dans Claymore un vent de révolte et de transgression de l’ordre. Les tas de chair sanguinolente et les mutations improbables ne doivent pas rebuter, ils sont là pour vous troubler et c’est une bonne chose en ces temps de morne apathie.

 

 

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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