Celeste : premier de cordée
Les jurons retentissent devant l’écran de ma Switch, alors que des postillons de rage et d’amertume viennent s’y écraser. Aux origines de ma douleur : Celeste, le dernier né de Matt Thorson. Non content d’avoir le nom le plus cool de toute l’industrie, ce fils de Thor peut également se targuer d’avoir créé le jeu qui a su habilement remplacer Bomberman lors des soirées pizzas-bières, Towerfall. Mais adieu multi et bonjour solo exigeant, puisque Celeste est l’un des jeux de plate-forme les plus vicelards et exigeants qui soient. Paradoxalement, il est aussi l’un des plus accessibles et des plus tolérants !
Que la montagne est belle…
Le jeu nous met aux commandes de Madeline, jeune femme rousse bien décidée à escalader la montagne Celeste qui donne son nom au jeu. Sommet canadien à la réputation un poil mystique voire inquiétante, c’est sur cette montagne que se déroulera l’intégralité de l’aventure. On ne sait rien des motivations qui ont amené notre héroïne au pied de Celeste. Celles-ci ne nous seront révélées que petit à petit au cours du périple, et, sans divulgâcher, toute la beauté de la narration du jeu sera de lier son propos au gameplay et aux difficultés que vont rencontrer et surmonter Madeline, et, à travers elle, le joueur. C’est simple, universel dans son propos, disons-le un peu platement, beau. La partie narrative du jeu, malgré son minimalisme, s’inscrit ainsi sans mal parmi les meilleures expériences qu’aient pu nous fournir les indé. Pas mal pour un jeu issu d’un genre auquel on n’associe habituellement aucune velléité scénaristique.
De son ancêtre Towerfall, Celeste conserve le délicieux style en Pixel Art hyper lisible, et la prise en main immédiate. Un bouton pour sauter, un autre pour dasher dans 8 directions possibles, et une gâchette pour vous accrocher aux murs et y monter : vous voilà fin prêt à partir à l’assaut de la montagne. Le plaisir manette en main est immédiat, le feeling est excellent, et le premier chapitre permet de découvrir Madeline et son moveset de façon hyper didactique, en nous guidant uniquement par le level-design. Et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire le nom d’une colline néo-zélandaise, vous êtes déjà à sauter comme un cabri, à rebondir sur les murs, et à avancer vitesse grand V. Tout en profitant, ne l’occultons pas, de musiques retro à se damner : Lena Raine, livre une partition tout en subtilité, avec ses thèmes marquants sachant aussi bien accompagner l’action que laisser place aux émotions. Chapeau.
Croûte céleste
À partir de là, votre ascension est divisée en sept chapitres (plus un post-épilogue), eux-mêmes divisés en de multiples tableaux qu’il vous faudra parcourir sans vous vautrer. Chaque monde se voit associé à un décor, à une musique, et à un système de jeu particulier, que ce soit des bulles rappelant le fonctionnement des tonneaux d’un Donkey Kong Country ; ou des vents violents qui accélèrent ou ralentissent votre progression selon la direction de leur souffle. Deux systèmes ne viendront jamais se mélanger, et on se retrouve donc avec des mondes uniques, très marqués dans leurs spécificités. Et tous les chapitres se parcourent avec un plaisir non dissimulé, qu’ils se déroulent dans un mystique temple ancien, ou dans une ville abandonnée.
Chacun des niveaux vous demandera de vous surpasser, et autant vous dire que vos pouces vont prendre de la masse. La mort est plus que fréquente, sur des sauts parfois millimétrés associés à un timing au poil de cul. Une chute malencontreuse vous ramène au début de l’écran actuel, et le jeu se découpe ainsi de petite victoire en petite victoire. Au sein même des tableaux d’ailleurs, ce genre de progrès par l’échec se fait sentir chez le joueur : un saut raté 10 fois, c’est un saut que l’on réussira les 20 fois qui suivent. Celeste est un de ces rares jeux où l’on a constamment envie de persévérer, et qui nous encourage explicitement à le faire : dans le scénario même du jeu, comme on le disait, mais aussi par des conseils distillés entre les mondes. Un die and retry hyper exigeant mais qui prend la main du joueur un instant pour lui dire qu’il n’a pas à faire tous les challenges s’il ne le souhaite pas, ça ne court pas les rues et c’est foutrement rafraîchissant. Même pour les masochistes.
Être aux fraises
Car en parlant de challenge, autant vous dire qu’il y en a. Si le jeu en lui-même ne prendra qu’un peu moins de 5 heures à finir, il vous restera bon nombre de défis à accomplir avant de véritablement pouvoir affirmer être arrivé au bout de Celeste. D’abord, les nombreuses fraises cachées au sein des mondes et bien souvent difficiles d’accès, peuvent facilement vous prendre une bonne palanquée d’heures et de crises d’angoisse supplémentaires. L’exploration et la découverte de passages cachés auront bien souvent la part belle lors de vos chasses aux fruits. Et si l’architecture des mondes peut sembler assez linéaire lors d’un premier run, il apparait comme évident lors des premières récoltes qu’elle est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Alors on se prend rapidement au jeu de farfouiller tous les coins à la recherche de la moindre fraise. Ou autres collectibles autrement plus importants…
Parmi ces derniers, on peut trouver les cassettes. Au nombre de huit, une par monde, les cassettes vous permettront de débloquer la face B du chapitre correspondant. Et la face B, vaut mieux y être préparé mentalement : c’est un enchaînement de tableaux extrêmement retors, du genre à vous faire retourner l’encéphale à l’âge de pierre à force de rage et de grognements gutturaux. Si la plateforme ne vous fait pas peur et que votre premier run de Celeste s’est fait avec quelques difficultés, les faces B vous réservent quelques très mauvaises (ou bonnes, si vous aimez souffrir) surprises. Poussant la jauge de la punition à l’extrême, les tableaux individuels ressemblent autant à des casse-têtes qu’à des séances de plateformes à rendre maboul un plombier italien. L’adresse ne permet pas tout, vos dash ne sont pas infinis, et vous passerez parfois plus d’une cinquantaine de morts sur le même écran, à chercher par l’erreur le bon chemin à prendre, le timing parfait à respecter.
Évidemment, certains tableaux sont particulièrement longs, histoire de rajouter la rage aveugle à la frustration. Mais cette colère sourde va bien souvent à l’encontre d’un level-design retors ou d’un mental de fragile. Aucun crachat de venin n’est jamais versé sur Madeline ou ses contrôles : le joueur ne peut s’en prendre qu’à lui-même, et à ce level-designer vicelard mais génial. Car si les faces B sont aussi difficiles, en atteindre le sommet n’en est que meilleur, entre sentiment d’accomplissement et de soulagement : finir une face B, c’est avoir les jambes tremblantes, les pouces ankylosés et le souffle court, tandis que votre conjoint tente par tous les moyens de contacter le 15.
N’y allons pas par quatre chemins, Celeste est un chef d’œuvre. Beau, touchant même, Celeste réussit tout ce qu’il entreprend, entre level-design fin, système de jeu réinventé à chaque chapitre, et jouabilité à faire crier vos adductor pollicis de plaisir. Die and retry exigeant mais tolérant, Celeste se laisse maîtriser par tout joueur avec un minimum de volonté, et même les plus enclins à l’abandon se verront gratifiés de messages d’encouragement.
Cette intense aventure contant l’escalade d’une montagne aurait pu n’être que ça : un excellent jeu de plates-formes. C’est sans compter sur les musiques fantastiquement enivrantes, ou sur la narration constamment liée aux expériences de Madeline et du joueur, qui amènent Celeste au sommet, parmi les grands jeux.
Jeu testé sur Switch, mais dispo sur PS4, PC et XBox One, vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas y jouer !