Alita : Battle Angel, et l’ange devint crapaud
Je le savais pourtant, des indices étaient là, me mettant en garde avec insistance ; la présence de cette grosse nouille de Cameron aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Si le gars sait faire de belles images, il est à un niveau dans l’écriture qui le ferait recaler pour scénariser Jospéhine Ange Gardien… Et Rodriguez… bon dieu, jamais trop compris la hype sur cet hurluberlu… Bref, rien qu’à voir ça comment ai-je pu conserver une once d’espoir dans l’adaptation d’un de mes mangas préférés best ever de l’infini ? Comment ai-je pu imaginer que les gros doigts boudinés de Cameron, qui avaient péniblement réussi à éructer le scénario pocahontesque d’Avatar, pourraient rendre hommage à Gunnm ? Spoil, il ne pouvait pas…
Gally au pays de candy
Commençons par le nœud des soucis, le cœur, la substantifique moelle, le caca dans la chantilly, le cloporte dans le goûter ; son esprit. Oui, l’esprit même du manga, son registre. Gunnm est une tragédie, une œuvre fondée sur le désespoir de ses protagonistes, plus torturés les uns que les autres, qui les confine parfois au nihilisme le plus absolu. C’est le cas de Makaku, ici renommé Grewishka (soupir) qui, abandonné enfant dans la putrescence des égouts et qui y pourrit littéralement, finit par développer une folie complètement destructrice et absolue, l’amenant à rechercher des proies humaines pour leur boulotter le cerveau afin de se faire un shoot aux endorphines…
Oui, Gunnm ça va jusque-là, c’est même tout le propos. Le passage par la savonnette d’Hollywood nous donne quoi en lieu et place de cet être torturé ? Un gros patapouf mongoloïde, débile confirmé qui justifie son coté border-line dans une tirade de douze secondes dans laquelle il nous expose qu’il a été malheureux, pov’ choupi. Il me semble que c’est assez net pour transcrire le problème de différence de ton.
Alors oui, viles sirènes du pragmatisme, je vous entends geindre d’ici ; « oui…. Mais c’est pour rendre le film accessible à un public élargi…. Ça coûte super cher les blockbuster et comment tu veux rentabiliser une telle œuvre en l’estampillant -16 ? Tu veux tuer le modèle économique ? Tu veux tuer les studios avec des films de niche ?!!!! » J’y répondrais en deux temps ; primo, je n’ai pas commandé à Cameron de faire ce film ; si ça coûte trop cher et empêche le retour sur investissement, il peut toujours rester le cul vissé dans son fauteuil à relire le manga. Deuzio, une question : quelle est la pertinence de réaliser un film, que l’on sait trahir sur plusieurs points le matériau de base, pour cadrer avec une nécessité de rentabilité ? Ce n’est pas la première fois que je fais ce constat et je ne suis surtout pas le seul à le faire. On assiste à une déferlante de plus en plus massive de films aux budgets gigantesques dont il ne subsiste en lieu et place de prétention artistique, que celle d’être un produit de consommation. On est à l’ère des films pots de yaourt dévorés par des trentenaires rayonnantes pour améliorer leur transit.
Le résultat dans Alita : Battle Angel ? Le tragique est évacué au profit du teen movie… Oui oui, vous avez bien lu, ce film est un putain de teen movie. Il en a toutes les caractéristiques : la romance à deux balles, le latin lover en carton digne des pires boys band des années 90 (je n’exagère pas le moins du monde ; cette plastique là, c’est limite une marque déposée), l’esprit « bande de jeunes qui s’éclate », les différents de cour de récré et compagnie.
C’est navrant de connerie. Et dans un film autant rushé (on y reviendra), comment Cameron et Rodriguez (puisque le bougre y a mis ses grosses papates velues également…) ont pu trouver le temps pour nous vriller la tête avec ces pantalonnades déjà ringardes à l’époque d’Hélène et les garçons ? On se demande… Si je résume l’affaire : le principe de base est déjà vérolé du cul, Gunnm perd sa dimension tragique et son ambiance désenchantée, ce qui en est pourtant un des ressorts essentiels. En effet, comment comprendre le personnage de Gally (vous ne me la ferez pas appeler Alita après ça) si elle n’est plus une mince flamme idéaliste dans un océan de noirceur et de nihilisme ? Le personnage se vide, ce qu’elle incarne s’affadit et elle est prête à se revêtir des oripeaux de l’adolescente innocente et cependant vaguement badass, typique des productions actuelles… Et de fait la romance avec Hugo, qui représentait pour ce dernier, l’ultime fil le maintenant dans le droit chemin, se transforme en amourette coconne, fondée sur le physique (sic)… Le film se payant même le luxe de trahir la fin de cette relation dans un final d’une rare platitude.
‘Muricaaaaaaaa
Vous l’aurez compris, je ne suis pas très content, parce que j’aime ce manga, c’est un fait, mais aussi parce que j’aime le tragique et les drames, mais je n’aime pas chevroter des larmichettes devant des œuvres aux enjeux microscopiques. Or si l’esprit de Gunnm a disparu et qu’on y a mis du teen movie à la place, il faut se pencher sur l’intrusion de valeurs finalement très américaines dans le matériau de base. Je vous entends encore râler : « mais enfin c’est normal de s’approprier une œuvre pour l’adapter ! Ce n’est pas un crime d’y mettre ce que l’on est ! Au contraire cela fait vivre l’œuvre d’une dimension supplémentaire et universelle ! » Ok, [se retrousse les manches, fait craquer ses cervicales] le problème mes bons amis, c’est que cela est également à l’origine de l’autre souci homérique du film : vouloir traiter TROP de tomes.
En effet Alita : Battle Angel, qui aurait dû modestement se contenter d’aborder seulement deux tomes (grosso-modo) du manga d’origine, se paie le luxe de vouloir adapter à l’écran le fameux Motor Ball, le roller mécanique du futur où il faut et attraper une balle et péter la gueule à ses adversaires… Et pourquoi ça mes braves amis ? Et bien parce que cela fait appel à l’imaginaire collectif américain des grands-messes, du nascar aux monster-truck ; il est certain que le public étasunien a dû être sensible à cela, et sans conteste Rodriguez s’est fait plaisir, parce que c’est bien foutu. Mais bordel, cela massacre complètement la trame narrative ; pour faire entrer son morceau de fun, il a fallu y aller au chausse-pied version 45 jeune-fille. Les enjeux du Motor Ball sont très vagues et ce n’est pas en répétant dans des phases de dialogue que c’est très très important, que ça y change quelque chose. On n’y croit pas, on n’en comprend pas les logiques sous-jacentes et cela fait une autre ligne d’intrigue à faire avancer dans un scénario beaucoup trop foisonnant pour être lisible. Cameron aurait vraiment dû s’en tenir à ses pratiques de « sujet-verbe-complément » habituelles ; la complexité ne lui va pas. On a donc l’arc autour de Makaku, celui avec Hugo et le Motor Ball à narrer de concert et à articuler… autant vous dire que tout cela est traité à la serpe, laminé de tout ce qui en faisait l’essence, pour pouvoir tenir dans les deux heures du film, là où Cameron en avait prévu trois. Le traitement à la Rodriguez a dû être de la dernière brutalité, ne conservant de Gunnm qu’une coquille vide, un verni sans saveur et parfumé à l’américaine. Une pensée pour le pauvre Jasugun, l’empereur du Motor Ball, condamné, sur son terrain fétiche, à ne faire qu’un médiocre caméo aux accents pathétiques.
Consensus mou
Et pourtant il y a des bonnes choses là-dedans, à commencer par Gally elle-même (je vous l’ai dit, je ne l’appellerai pas Alita). La motion capture est de qualité et, effectivement, le personnage est sans contestation possible le plus expressif du film. On ressent à merveille ses émotions et on imagine que, dans un autre contexte, elle aurait vraiment pu incarner l’héroïne torturée qu’est l’ange de la mort de Zalem. Cependant, ici maintenue dans le rôle d’une adolescentes, elle perd en épaisseur, d’autant que l’aura de mystère qui entoure son passé, est ici déchiré par quelques flashbacks qui en disent beaucoup trop, en montrent beaucoup trop. Le passé de Gally, c’est le mystère fondateur que l’auteur s’attache à distiller au compte-gouttes tout au long du manga, avant d’en arriver aujourd’hui à raconter l’origine de l’héroïne. Là, cela rajoute simplement de nouvelles lignes narratives, de nouveaux enjeux rushés, qui rendent seulement le film un peu plus abscons. Et je ne parle même pas du fait qu’il y a des entorses bien solides à l’origine de l’apocalypse dans le manga ainsi qu’à la construction de Zalem.
Pour ce qui est du cadre, on est encore davantage dans l’édulcoré ; je l’ai dit Gunnm prend place dans un monde post-apocalyptique ravagé et désertique. Une partie de l’humanité vit dans Zalem, la cité céleste, le reste survit en bas, principalement dans la Décharge, Kuzutetsu, la ville sous Zalem, et qui se nourrit de ses déchets. Le reste n’est qu’un terrible désert couvert de ruines de l’ancienne civilisation. Or dans le film Hugo amène Gally dans une forêt riante et luxuriante… Mais… Mais… Imaginez la même chose dans Mad Max Fury road ?! D’ailleurs, vous voulez voir Gunnm au cinéma ? Regardez Mad Max, c’est une meilleure adaptation, d’autant que l’auteur, Yukito Kishiro a indiqué qu’il s’agissait d’une de ses influences. Mais que voulez-vous, dans un teen movie, cela aurait été sans doute mal venu d’expliquer que la Terre était ravagée. Même chose pour Kuzutetsu, dans le manga, c’est un cloaque abject, un coupe gorge peuplé d’une humanité cybernétique dans laquelle les humains de chair sont rares. Dans le film, c’est une ville d’un pays du Sud peuplée d’humains dont certains ont quelques prothèses… L’environnement est coloré et on y devine des touristes étasuniens en short. Alors bien entendu, dans plusieurs lignes de dialogue on répète que c’est très très dangereux, sauf que c’est en contradiction complète avec ce que l’on voit à longueur de plans. Il fait beau, l’air n’est pas vicié par la production industrielle dégueulasse de la ville, et de fait, on se demande bien ce qui pousse certains protagonistes, dont Hugo à vouloir aller sur Zalem. Parce qu’il faut bien avoir en tête que ce qui se joue avec Zalem n’est rien de moins que l’enfer pyramidal d’une lutte des classes matérialisée ; une humanité supérieure retranchée dans le luxe, au-dessus du reste vivant dans la misère.
C’est en fait ce que Neill Blomkamp avait réalisé (un peu maladroitement) avec Elysium. On cherche bien dans la caractérisation de Kuzutetsu le même esprit d’injustice, d’enfer de l’exploitation et de l’inégalité liminaire qui structurent l’œuvre originelle. De fait, ceux qui veulent à toute force se rendre sur Zalem, ne sont plus des gens qui rejettent un ordre social abominable, mais des gens un peu égoïstes, attisés par la curiosité ; plus le rêve de gosse de sortir de la pauvreté absolue, juste l’envie de voir ce qui se passe là-haut. La force du consensus sans doute, il ne faudrait pas passer pour un communiste quand même ; c’est la Motion Picture Alliance for the Preservation of American Ideals qui doit être contente à quelques décennies de distance.
Bon aller je vais m’arrêter là, je n’ai pas l’envie ou le besoin d’être exhaustif. Vous serez peut être scandalisé par un tel point de vue, je me console en me disant qu’il fait écho à un peu trop de critiques lénifiantes qui se vautrent dans le relativisme, par souci d’éviter d’être traité de réac qui refuse par pureté d’esprit les adaptations. Or il existe un véritable débat sur leur pertinence dans le contexte actuel et le modèle économique en cours. Alita : Battle Angel n’est qu’une des nombreuses productions aseptisées jusqu’au trognon, qui perd irrémédiablement tout ce qui fait la saveur du matériau d’origine et on ne me forcera pas à aimer cela parce que les auteurs avaient envie de faire du fun et de mettre à l’honneur le chef-d’œuvre original. Alors oui, la seule chose positive que je vois dans ce film est qu’il fera peut être découvrir le manga à un public plus large. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il n’avait nullement besoin de ça.
Ce que je vous recommande, c’est d’éviter le film qui est à la fois une mauvaise adaptation et un mauvais film. Trop condensé, trop édulcoré, traversé d’un trop grand nombre d’intrigues, il est pénible et illogique. Trop cucul, il perd également la dureté des enjeux qui sous-tendent l’œuvre originale. Alita : Battle Angel est simplement un autre produit calibré, visant à le faire rentrer dans ses frais. Si vous aimez passionnément le cinéma à grand spectacle actuel et que vous en excusez les dérives, vous devriez cependant passer un moment correct. Moi, c’est pas ma came.