AI The Somnium Files : AI AI OUILLE
Les fans l’attendaient, le voilà enfin : le nouveau visual novel de l’ami Kotarô Uchikoshi est là. Attendu de pied ferme par tous les amateurs d’histoires complexes peuplées de personnages attachants, autant que par les fans de retournements de situation extrêmes, AI The Somnium Files est sorti en nos contrées sur PS4, Switch et PC le 20 Septembre 2019, tout en anglais. Une nouvelle licence complètement détachée et très différente de la trilogie Zero Escape qui a permis à Uchikoshi de se faire connaitre, puisque on quitte le huis-clos oppressif et les escape-room sadiques pour un thriller plus dirigiste. En plus de tout ça, AI c’est aussi la collaboration finale du créateur avec Spike Chunsoft, encore une fois au développement et à l’édition. Beaucoup de choses qui font que cette nouvelle aventure nous fait de l’œil. Mais nous-y tape-t-elle, dans l’œil, hein ?
Date Fol Œil
Le jeu nous met aux commandes de Kaname Date, inspecteur amnésique (comme tout bon héros de jeu vidéo) et borgne, travaillant au sein de la brigade A.B.I.S. de la police de Tokyo. Date n’a aucun souvenir antérieur à 6 ans, ce qui semble comprendre l’accident qui l’a rendu borgne. Mais qu’à cela ne tienne, puisque A.B.I.S. lui a construit un œil cybernétique doté d’une intelligence artificielle, baptisé AI-ball. Renommée Aiba pour plus de convenance, cette intelligence artificielle de genre féminin sera votre partenaire et votre meilleure alliée tout au long de votre investigation.
AI The Sominum Files commence en effet in media res, alors que Date est venu enquêter sur un meurtre ayant pris place aux confins de la ville de Tokyo, au sein d’une fête foraine maintenant désaffectée et abandonnée par la population. La victime se trouve être attachée au cheval de bois d’un carrousel, et rien ne semble trahir les circonstances de sa mort, si ce n’est son œil gauche, manquant. Ajoutez à ce crime glauque le fait que la victime est une connaissance de Date, et vous comprenez rapidement que toute la narration du jeu va s’articuler autour de l’enquête pour élucider ce meurtre macabre, ce qui passera inévitablement par la découverte du passé de Date.
Et entre un meurtrier élusif, un protagoniste au passé torturé, la parascience, et des personnages au character design inspirés qui semblent tous cacher quelque chose, on se retrouve en terrain connu pour tous ceux qui apprécient les histoires d’Uchikoshi. Alors certes les twists ne sont pas aussi présents, ni aussi ahurissant qu’ils pouvaient l’être dans la trilogie Zero, et les longs babillages scientifiques, autre marque du scénariste, sont également plus légers. Mais bien heureusement, les échanges savoureux entre personnages sont toujours là, y compris ces petites chamailleries amicales qui donnent tout leur sel aux différentes relations, et que l’on retrouve particulièrement entre Date et Aiba. L’humour est d’ailleurs très présent, avec beaucoup d’absurde et de situations assez ridicules, et si tout n’est pas parfait, le jeu devrait quand même vous arracher quelques sourires en coin.
La larme à l’œil
Lorsque vous enquêtez, AI s’apparente à un point & click très orienté vers les dialogues. On clique sur les personnages, on leur pose des questions, on analyse quelques objets dans la pièce, et on change de lieux pour recommencer et faire avancer l’investigation. Ces phases extrêmement dirigistes seront quand même l’occasion d’utiliser les capacités d’Aiba, par exemple une vision thermique, pour déterminer si un interlocuteur nous ment ou une vision à rayon X qui permet de voir à travers les murs. Malheureusement, vous n’aurez que rarement le choix dans l’utilisation de ses gadgets, qui seront utilisés automatiquement lorsque la situation le demande. Pas de choix dans les dialogues non plus, ou si peu. Même dans les rares cas où le jeu vous pose une question vis-à-vis de la marche à suivre pour progresser, les mauvaises réponses ne sont jamais pénalisées, ce qui empêche la construction du moindre enjeu. On est donc lors des phases d’enquête, dans un visual-novel des plus classiques : on n’interagit que peu, et on lit beaucoup. Et ce ne sont pas les quelques phases d’action assez mollassonnes à base de QTE ou les rares interrogatoires qui viendront perturber ce système de jeu.
Bien heureusement et comme dit plus haut, les personnages comme les dialogues, bien écrits, se suffisent à eux-mêmes. Et les conversations qu’elles soient avec Ota le jeune otaku, Iris l’idol ou avec Mizuki la jeune colocataire de notre héros, sonnent toujours juste. Elles réussissent à émouvoir, souvent à faire sourire, parfois les deux à la fois. Et c’est par elles qu’Iris, Boss, ou Aiba, surtout Aiba, garderont une petite place dans notre cœur une fois le jeu terminé. Ajoutez à ces dialogues qui savent jouer sur la fibre sentimentale, bon nombre d’indices sur le dénouement de l’aventure, un bon paquet de fausses pistes également, et vous ne tarderez pas à tout le temps théoriser l’identité du coupable et les origines de Date. Entre émotion et réflexion froide, AI nous balade dans sa narration, et face à un voyage fortement balisé certes, mais formidable lorsqu’il parvient à nous toucher au cœur ou au cortex, on pardonne facilement.
Au pays des rêveurs, le borgne est roi
Mais si l’interactivité est quelque peu absente lorsqu’on est au contrôle de Date, le véritable gameplay se trouve de toute manière ailleurs, lors des investigations au cœur des rêves. Car oui, la brigade spéciale A.B.I.S. a pour mission d’enquêter au sein des rêves des différents suspects de la police. Date peut ainsi se glisser dans les rêves d’un sujet, et percer les secrets de son subconscient, lors de ce que le jeu appelle la psync. Tous les personnages importants que Date croisera auront droit à pareil traitement.
Toutefois, ne pouvant se matérialiser lui-même dans la psyché de ses suspects, Date laissera ici la place à Aiba, qui prendra la forme d’une jeune femme. À elle, sur les ordres de Date, de déambuler dans le rêve et d’interagir avec les différents éléments qui s’y trouvent afin de provoquer une réaction chez le rêveur, réaction qui mènera au déverrouillage de ses différent verrous psychiques et, finalement, à la révélation de ses secrets. Seul souci, l’inspection onirique est limitée dans le temps à un maximum de six minutes toutes rondes. Rester immobile fait que le temps s’écoule au ralenti, mais vous rapprocher d’un objet avec lequel interagir fera s’écouler la montre. Et bien évidemment, chaque interaction avec un objet mènera à la consommation de précieuses secondes.
Si les premières épreuves de ce genre seront assez faciles à compléter, les dernières se révéleront vite être des casse-tête ou l’économie de secondes et la gestion de son temps sont un véritable défi. Qui plus est, ces phases sont un moment où la narration environnementale est la plus prégnante. Si bon nombre d’éléments ne servent pas à remplir formellement votre objectif du moment, et donc à débloquer les verrous psychiques, ils ont en revanche une utilité dans la compréhension du personnage avec lequel vous êtes connecté, et permettent parfois de compléter votre vision de celui-ci.
Tu te mets le choix dans l’œil
Enfin, c’est lors des psync que vous pourrez prendre les décisions qui influeront sur votre aventure. Certains choix peuvent en effet faire bifurquer votre progression du tout au tout. Dans AI, ces choix qui influeront sur le déroulement de votre aventure ne peuvent être pris que dans les rêves de vos suspects, comme pour souligner l’importance que peuvent avoir sur la réalité les fantaisies de notre psyché. Pas de quoi vous inquiéter si vous avez peur de rater un bout du scénario néanmoins, puisque pour atteindre la fin du jeu, il est de toute façon nécessaire d’emprunter toutes les voies possibles, et donc de revenir parfois au sein d’un même rêve pour dévier, et découvrir un nouveau pan du scénario, avec son lot de révélations et de fausses pistes.
Ce n’est qu’une fois toutes les possibilités explorées que le final du jeu se révélera à vos yeux. Ce qui fait qu’on a affaire, malgré ces décisions qui permettent d’influer sur le déroulement des évènements, à un jeu linéaire, dans le fond si ce n’est dans la forme. Reste toujours une belle illusion de choix, et surtout, un suspense qui se construit avec minutie, une histoire complexe qui ne se révèle qu’au compte-goutte. En somme, une véritable leçon de la part d’un maitre du thriller.
AI The Somnium Files est un visual-novel d’excellente facture, dirigé de main de maitre par un Uchikoshi libéré des huis-clos oppressifs de sa précédente trilogie. L’humour est plus présent, pour le meilleur comme pour le pire, et on a du mal à trouver des défauts à cette histoire de police des rêves. Tant l’humanité des personnages que les dialogues savoureux font que l’on déguste ce polar avec délectation. Mais là où AI The Somnium Files pèche, c’est dans son manque d’implication du joueur lors de ses principales phases d’investigation. Entre dérouler des kilomètres de texte, des choix sans importance, et des séquences d’action tristes à base de QTE, c’est véritablement ici que AI se perd. Pour mieux se retrouver au pays des rêves, où interactions et narration environnementale prennent une place prépondérante. En tous les cas, AI est un jeu qui vaut le coup d’œil (promis j’arrête) pour peu que vous aimiez les bonnes histoires, et que vous parliez anglais.