Black Science : la réalité n’est plus ce qu’elle était
Vous vous souvenez de Sliders ? Les plus jeunes sans doute pas, vu que la série a surtout été diffusée à la fin des années 90, mais bon. Sliders suivait quatre protagonistes qui se retrouvaient perdus dans des versions alternatives de notre réalité et qui n’arrivaient pas à rentrer chez eux. Hé bien, imaginez ça en plus dark, plus désespéré, avec des personnages tout sauf sympathiques et plus adultes et se retrouvant dans des univers partant dans tous les sens. Vous aurez une petite idée de ce qu’est Black Science !
SCIENCE SANS CONSCIENCE…
On va donc suivre dans un premier temps le personnage de Grant McKay, fondateur de la Ligue Anarchiste Scientifique. Bon déjà le titre pète mais en plus il veut dire ce qu’il veut dire : de la Science avec un grand S absolument sans aucun contrôle ni limite. Son seul but : percer les secrets de l’univers. Et on peut dire que Grant a réussi. Avec son équipe, il a ainsi défini que l’univers ou plutôt l’Infinivers est constitué tel un oignon. Une infinité de couches provenant de chaque décision et chaque choix possible. Et au centre de l’oignon : sans doute le moment où la première décision de l’Histoire fut prise. Pour explorer ces dimensions, Grant s’est plongé dans les sciences noires (Black Science du coup) et a mis au point le Pilier.
Sauf que, bien sûr, le premier test ne se passe pas comme prévu. L’appareil est saboté et envoie l’équipe de Grant dans l’Infinivers avec un espoir de retour assez faible. En plus Grant a eu la bonne idée d’amener ses enfants lors de la démonstration du Pilier. Ces derniers se retrouvent également embarqués dans l’aventure au péril de leurs vies (c’est un peu le point Jurassic Park). Le récit va dès lors s’articuler sur le désir de Grant de ramener ses enfants chez eux sains et saufs mais aussi sur un lot de personnages, secondaires au premier regard, mais qui participeront à la complexification du récit.
Bon là je vous fais la version condensée des premiers éléments de l’histoire mais il faut savoir que les explications le sont beaucoup moins dans le comics. Tel les personnages, on se retrouve projeté dans un vortex de merdier, digne illustration de la Loi de Murphy. Le début est donc un peu difficile à prendre en main, jonglant entre fuites effrénées dans des univers what the fuck et multiples flashbacks. On se demande pendant un moment où est ce qu’on est tombé et vers où on va (ce qui est sans doute voulu pour accentuer le chaos dans lequel se retrouvent les personnages du récit). Mais passé ce moment de flottement initial, une fois qu’on a fait un peu plus connaissance avec les personnages et les relations qui les lient, le comic devient vite très prenant et on est impatient de voir s’ils vont s’en sortir ou plutôt si la situation peut devenir pire que ce qu’elle est déjà.
L’ODYSSÉE VERSION SF
Publié chez Image Comics (et édité chez Urban en France), Black Science est donc un pur récit de SF écrit par Rick Remender, scénariste et dessinateur de comics reconnu auquel on doit notamment ces dernières années chez Marvel les excellents Uncanny X-Force (si vous devez lire une série X-Men de ces 10 dernières années c’est assurément celle là), Secret et Uncanny Avengers ou encore un run intéressant sur Captain America. Il a également sorti il y a quelques années Fear Agent chez Image puis chez Dark Horse, autre série de SF rendant hommage aux pulps et vieilles séries de SF de l’après-guerre (je n’ai pas encore eu le temps de le lire mais c’est sur ma to-do list).
On retrouve en tout cas dans Black Science des thèmes et une approche semblables à ce que Remender avait déjà exploité dans ses dernières séries chez Marvel. Des protagonistes (je suis pas sûr qu’on puisse vraiment parler de héros ici) plongés aux cœur de mondes étranges et/ou dans des dimensions au-delà du concevable, mélange tordu de sciences corrompues lorgnant vers la fantasy. C’était le cas pour le retour à l’ère d’Apocalypse et la secte Akkaba dans Uncanny X-force ou la dimension Z dans laquelle se retrouve piégé Captain America. Ici l’Infiniverse donne un espace de jeu sans fin à l’imagination de Remender. Bien que le thème des réalités parallèles ne soit pas quelque chose de nouveau dans la SF, Remender donne tellement l’impression de se lâcher à fond tout en distillant plein de petits détails reliant les univers entre eux que le récit ne perd jamais de son intérêt et au contraire gagne en complexité et en profondeur au fur et à mesure que les protagonistes passent d’un univers à l’autre. On se retrouve également devant un récit qui pourrait s’apparenter à l’Odyssée d’Homère : un homme porté par ses convictions profondes qui se retrouve embarqué loin de chez lui avec ses compagnons d’infortune et dont le voyage de retour, dont on comprend vite qu’il va prendre beaucoup de temps, va être l’occasion de rencontrer un tas de personnages/créatures plus ou moins amicales qui constitueront à leur manière un parcours initiatique.
Et pour donner vie à toute cette fantasmagorie, Remender a travaillé de concert avec Matteo Scalera (au dessin) et Dean White (à l’encrage). Et putain que c’est beau ! Là aussi on sent que les mecs se sont lâchés. Un truc qui peut perturber à la première lecture c’est le côté what the fuck complet de chaque dimension. Il faut bien dire qu’on n’a que peu d’éléments auxquels se raccrocher et que ça part dans tout les sens. Rien que dans le premier tome on a pêle-mêle des marais peuplés de grenouilles et de poissons anthropomorphes, une version de la guerre 14-18 opposant les Européens et des Indiens d’Amérique armés de tomahawks lasers, un monde post-apo croisement entre Mad Max et Mos Eisley et un monde glacé version Planète des Singes. Et malgré ça les dessins arrivent à rendre le tout vivant, riche de dizaines de détails et, le plus important de tout, crédible. C’est juste trop sale, suintant la crasse et trop dramatique pour que ça soit purement un rêve. On touche là à un élément important de l’œuvre pour moi. Le travail de dessin de Scalera et White permet d’ancrer le récit dans le réel et dans son côté scientifique et SF tout en l’empêchant de tomber dans la fantasy ou le récit onirique ce qui contribue à accentuer la portée dramatique des évènements.
Bien qu’un peu difficile à aborder dans un premier temps, Black Science se révèle au fil des pages pour devenir très prenant. Histoire sombre et complexe, le récit est ancré dans la grande tradition de la SF jouant sur les réalités parallèles. Si vous avez déjà lu du Rick Remender (notamment chez Marvel), vous ne serez pas perdu. Si ce n’est pas le cas, ça vaut le coup de se laisser séduire. Visuellement magnifique, chaque nouvelle réalité est l’occasion pour Matteo Scalera et Dean White de produire de véritables tableaux. Par ailleurs, Urban a décidé de publier la série en France dans de jolis albums cartonnés avec quelques bonus (illustrations, covers…) à un prix totalement honnête pour la quantité à lire (environ 15 euros pour un tome de plus de 170 pages). Vous aussi plongez dans les tréfonds de la réalité à la suite de la Ligue Anarchiste Scientifique.