Arte, parler de l’art en manga
En ce début d’année scolaire (oui c’est le début, le fait que je sois à la bourre dans la rédaction de l’article n’y change rien, tu veux un coup de boule ?!) je suis allé parcourir les étals bien garnis de mon libraire préféré et j’en suis reparti les bras chargés de petites choses fort sympathiques qui brillaient avant tout pour leur diversité. Entre celles-ci, un petit manga à la couverture singulière, décorée d’une jeune fille peignant en robe d’époque, attirait alors maints questionnements, notamment est-ce que je ne vais pas me lire un drôle de shojo dégoulinant de sucre et d’arc en ciel déféqué par une licorne à la pâte d’amande ? J’avais entre mes mains vibrantes de Limousin grisonnant, Arte, un manga de Kei Ohkubo sorti cette année aux éditions Komikku.
La Renaissance par le manga
Comme la couverture le laissait subtilement entendre avec la présence du dôme de la cathédrale de Florence, Santa Maria del Fiore, l’histoire se déroule dans la cité Toscane en pleine Renaissance italienne, dans cette période d’intense bouillonnement artistique et intellectuel. Une époque étonnante à plus d’un titre mais surtout par sa volonté féroce de rompre avec ce qu’elle nommait elle-même le Moyen Âge, l’âge moyen littéralement, avec son art gothique, art de Goths, donc de barbares… Avec de telles représentations à l’esprit, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils avaient quelques envies de rupture, et même de reconstituer un nouvel Âge d’Or. Or si c’est un cadre relativement « habituel » dans les œuvres occidentales, il l’est nettement moins du coté du Japon. Néanmoins précisons d’emblée que les œuvres culturelles japonaises se sont souvent distinguées par leurs rapports intimes et scrupuleux à l’Histoire, que ce soit du Japon mais aussi d’autres contrées. Le soin qui est apporté à la restitution du cadre, souvent très fin, plus que dans un Braveheart par exemple, si vous voyez ce que je veux dire. Nous pouvons ici citer quelques exemples intéressants de mangas développant leur intrigue en Occident comme Vinland Saga ou Thermae Romae. Respect des costumes, des mœurs, des paysages, tout cela se retrouve dans Arte, ce qui participe grandement à l’immersion.
L’esprit du temps
Le but n’est pas de teinter une histoire aux enjeux modernes d’un verni à l’ancienne, mais bien d’utiliser les normes, les valeurs, les lois… d’un monde ancien, devenu exotique, afin d’y faire évoluer un personnage, et pourquoi pas, dans un second temps, de questionner notre temps à l’aune de cet exemple historique. Arte évolue totalement dans cet esprit. L’intrigue met en effet en scène une jeune fille aspirant à la vie de peintre. Or elle vivait dans un âge où cela ne se faisait pas, où les sexes étaient nettement distingués. D’autant qu’elle appartenait à une famille de la petite noblesse florentine, ce qui rajoute à la lourdeur des règles de vie. D’ailleurs, si on aime les œuvre d’art en ce temps, il est rare que l’on considère comme honorable le métier de peintre… Comme le suggère de façon légèrement redondante la mère de l’héroïne, la destinée d’une jeune fille de bonne famille n’est rien d’autre que le mariage, avec un homme d’une belle dignité si possible.
Ce n’est pas là qu’une fixette de vieille acariâtre monomaniaque mais bien ce qui était normal à l’époque. Et c’est en rupture avec cette convention qu’Arte bouleverse l’univers tracé pour elle et vient se heurter de plein fouet, elle qui vivait jusque là dans un monde d’insouciance, à l’esprit de son siècle. Rejetée de tous les ateliers, ce n’est que grâce à sa pugnacité qu’elle parvient finalement à se faire employer dans un atelier.
Ainsi débute son « rêve » qu’elle va appréhender dans sa réalité concrète. En la suivant dans les péripéties, on reçoit sans vraiment s’en rendre compte un petit cours d’Histoire, bien ficelé, dans lequel on apprend à préparer une toile, à faire la lessive en ce temps ou à pénétrer les mentalités de la Renaissance… Je pose ici un petit spoil que vous pouvez éviter en sautant au paragraphe suivant (fuyez pauvres fous !). Quand Arte et son maître pénètrent dans la salle clandestine de dissection on se retrouve confronté à une problématique fondamentale du temps : l’Église interdisait ce genre de pratiques ce qui ne s’harmonisait pas très bien avec la curiosité, notamment des artistes, sur l’architecture du corps de l’homme.
Alors dans l’obscurité occulte de quelques salles plus ou moins tolérées, des hommes se groupaient pour en apprendre davantage. Il n’est qu’à voir les dessins anatomiques de Léonard de Vinci pour se convaincre de la nécessité à l’époque de telles dissection. Le ton très shonen, avec les gimmicks du genre, rendent la lecture plaisante et accessible par les plus jeunes, même pour une scène aussi « dure ».
Biopic allégorique (ça fait tellement mode cette formulation)
Plan monument dans ta face !
Pour pénétrer dans l’univers et le temps, le point de vue de la mangaka suit justement un cheminement intéressant de questionnement de notre temps en le comparant avec le passé. Elle-même a dû faire sa place dans un univers plutôt masculin, vivre la condition de l’apprenti dans l’atelier, servir de petite-main, jusqu’à, enfin, pouvoir créer sous son propre nom. Arte est sa première œuvre. Elle sort, par ce manga, de l’anonymat, tout en faisant une sorte de fiction autobiographique presque allégorique. Du coup, nombre de questionnements tombent, comme la place de la femme dans l’art du manga, le sort des auteurs de l’ombre vendant leur force de travail à un auteur reconnu… Mais cela sans misérabilisme, plutôt selon l’esprit très volontaire que l’on retrouve dans nombre de manga et dont One Piece représente peut être l’image la plus complète.
De façon plus factuelle, le dessin est beau, propre, net sans confusion même lors d’attroupements. De belles cases soulignent le cadre historique avec très souvent le petit « plan-monument » (pour toi Fossoyeur de Films) mettant à l’honneur presque à chaque fois la cathédrale de Florence. Pour un premier travail en solo en tout cas cela laisse présager du meilleur pour ce nouvel auteur.
Arte est un manga très sympathique. A la fois drôle, militant et historique, il utilise les codes du shonen pour retranscrire une trajectoire de vie, une époque, des combats. Il est aussi une apologie de la passion de la création, une œuvre qui serait intouchée sur ce point du rappel au réel qu’a pu être Le vent se lève du maître Miyazaki. En clair, vis tes rêves, jusqu’au bout, qu’importe les difficultés…
Illustrations : © 2013 by KEI OHKUBO /NSP Approved Number ZCW-41F
Intriguant ! Je crois que je vais me laisser tenter du coup, merci pour la découverte ;)