Better Call Saul, c’est l’histoire d’un mec…
Difficile de chroniquer une série attendue à la fois avec crainte et fébrilité par une horde de fans encore babas des aventures de Walter White. Difficile également, sur le Cri du Troll, de passer à côté et de faire comme si de rien n’était. Autant le dire d’emblée, oui Better Call Saul vaut le coup d’être regardée et appréciée… mais la comparer en terme de qualité à Breaking Bad est en revanche plus ardu, au moins pour le moment.
« Ils [les réalisateurs de la série, ndlr] veulent que Better Call Saul existe indépendamment de Breaking Bad » disait Bob Odenkirk lors d’une interview accordée à Télérama (oui bon, on fait ce qu’on peut…). Mais est-ce réellement important? Qui se plaindra de reprendre une dose de ce mélange si particulier qu’était parvenu à nous concocter Vince Gilligan? Certainement pas moi, et c’est justement pour cela que je ne peux que faire l’éloge de Better Call Saul, ce à tous égards. C’est, à mon sens, moins par un renouveau vis-à-vis de Breaking Bad que par une certaine (tout est dans le mot) continuité avec l’une des plus grandes séries de la télévision que Better Call Saul risque de nous scotcher à notre écran durant les semaines à venir. Explications.
Un air de réchauffé logique…
Par définition, un spin-off se traduit par la reprise d’un nombre plus ou moins grand d’éléments de la série mère dont il dérive. N’en déplaise à ce cher Bob, il est compliqué, surtout lorsque ce sont les mêmes individus qui sont aux commandes, de proposer un véritable renouveau. Même univers, même idée d’un mélange entre comique et tragique (bien que le dosage est susceptible de varier, ce que nous verrons par la suite), même genre d’histoire concentrée sur le basculement d’un type au bout du rouleau vers le côté obscur de la force.
Dans Better Call Saul, nous suivons l’histoire de Jimmy Mcgill ( alias Saul Goodman ), un avocat misérable, pitoyable même dans son costume laid et mal taillé, qui essaie désespérément de joindre les deux bouts. La précarité de la profession, les désillusions répétées, et la solitude vont peu à peu le pousser à se tourner vers des activités peu louables… jusqu’à devenir un véritable escroc au bagou légendaire. La ressemblance des ressorts scénaristiques initiaux est frappante : Walter White est poussé à devenir dealer par l’issue fatale de son cancer, tandis que Jimmy Mcgill est mis dos au mur par la maladie de son frère. Par ailleurs, Walter White comme Chuck (le frère de Jimmy) ont autrefois occupé des postes de responsabilité dans de grandes entreprises qu’ils ont du/choisi de quitter. Chose qui rendra amer aussi bien Walter que Jimmy et explique en partie un sentiment d’injustice qui les poussera à de sombres extrémités. Alors je veux bien qu’on me dise que Better Call Saul est indépendante, m’enfin jusqu’à un certain point…
… Qui n’enlève rien à la série
Comme le disait ma vieille grand-mère « c’t’avec les vieilles recettes qu’on fait les meilleurs plats » et, au fond, Better Call saul ne déroge pas à cette règle ancestrale. On replonge avec jouissance dans cette Amérique de l’envers, cette Amérique des minorités pauvres, des drogués, des délaissés, des épuisés et épuisée elle-même par le soleil qui brûle le béton de ses banlieues anonymes. Vince Gilligan nous ressort encore une fois ces États-Unis démythifiés qui parlent vrai. L’univers, plus qu’une simple toile de fond, agit au travers de ses décors et de ses personnages secondaires, d’autant que Jimmy est initialement un avocat commis d’office et doit donc défendre tout ce que la région comporte de déglingués. Mais ce n’est certes pas le seul élément conservant toute sa pertinence et son acuité après Breaking Bad.
L’histoire de Jimmy, si elle ressemble à celle de Walter, n’en garde pas moins sa saveur. Vince Gilligan développe avec maestria cet art de « l’effondrement » qu’il possède si bien. Il est amusant de noter, au passage, que le personnage principal de La Chute (A. Camus) est à l’origine lui aussi un avocat… Véritable chirurgien des esprits, le réalisateur nous rend immoral et même amoral. Tout comme nous avons souhaité voir Walter White s’en sortir alors même qu’il devenait proprement monstrueux, nous voulons que Jimmy en finisse avec sa misère. Better Call Saul parvient à susciter une profonde empathie en nous jusqu’à que ce que nous ne sachions plus guère distinguer le bien du mal. Ou du moins que nous considérions la morale comme une question de point de vue, ceci étant largement facilité par le comique qui caractérise la série.
A ce stade, si une différence doit être soulignée avec Breaking Bad, c’est justement sans doute au niveau de l’humour qu’elle se situe. Non pas réellement dans l’utilisation qui est en fait, puisque le rire, dans les deux séries, renforce le tragique et la violence par contraste en même temps qu’il amène une réelle légèreté. Très simplement, il semble que Better Call Saul soit plus encline à nous faire rire que ne l’était Breaking Bad (Il faut toutefois noter que les premiers épisodes de Breaking bad étaient beaucoup plus légers que la fin, sort qui attend peut-être son spin-off), voire que le ton soit franchement plus léger. Ainsi, la rencontre avec Tuco est placée sous le signe du burlesque : Jimmy parvient à le faire changer d’avis lors d’une scène assez rocambolesque où le criminel s’apprête à tuer deux jeunes ayant eu le malheur de croiser sa route. Dans Breaking bad, inutile de vous rappeler que Tuco était en permanence totalement flippant et qu’ il n’y avait guère de place pour le comique lorsqu’il entrait en scène.
Un Bob Odenkirk magistral
Et particulièrement modeste avec ça : « Je ne me vois pas comme une tête d’affiche. Je suis un acteur de genre, mais, avec Better Call Saul, j’ai juste beaucoup plus de dialogues que d’habitude », souligne-t-il dans l’interview précédemment citée. Ah mon vieux Bob, force est de constater que tu es présentement beaucoup plus.
Certes, dans Fargo, tu incarnais un personnage fort sympathique au demeurant mais limité ( à tous les niveaux…), cependant ce n’est plus le cas. L’immense avantage et intérêt de Better Call Saull (partagé avec Breaking Bad) est que le personnage principal incarné par B. Odenkirk (Jimmy) est particulièrement élastique tout comme l’est le ton de la série. Comme je l’ai souligné, cette dernière passe du tragique au comique en un rebondissement, fait sourire nos yeux alors même que nos lèvres sont figées par la tension.
Bob Odenkirk épouse parfaitement cette atmosphère tragi-comique. Il est à la fois Jimmy la grande gueule, Jimmy le blagueur, mais montre aussi un côté beaucoup plus sombre. Surtout, il parvient à faire en sorte que son jeu comique n’annule pas les côtés tragiques du personnage et donne à voir, au fond, un être profondément humain et attachant. C’est ce qui fait que la performance de M. Odenkirk est, pour le moment, excellente. Il est servi, en ce sens, par une réalisation aux petits oignons qui ne laisse rien au hasard. Les scènes au tribunal sont particulièrement réussies, rythmées comme il se doit et permettent à Jimmy de développer toute la verve qu’on lui connait.
A ce stade, difficile, inutile et présomptueux de vouloir se prononcer définitivement sur la série. Il suffit de souligner une dernière fois que le spectacle proposé est pour le moment d’une grande qualité à tous égards. Je vous propose donc un verdict un peu particulier, centré sur mes espérances à propos de la série.
Ce que j’attends : Une série qui s’affirme autant que possible dans ce ton affleurant plus humoristique que celui de Breaking Bad, et qui ne cherche pas à dramatiser à outrance. Si Better Call Saul doit se distinguer de son illustre prédécesseur, ce serait bien sur ce point, car la série a un potentiel comique plus marqué.
Ce que je ne veux pas voir : Certes, c’est avec les vieilles recettes qu’on fait les meilleurs plats, mais mieux vaut racheter des ingrédients entre temps… (enfin, à part pour le vin peut-être). Je souhaiterai donc que ne se multiplient pas les passages où l’on serait susceptible de croiser les personnages de Breaking Bad. C’est toujours risqué, surtout si le ton de la série diffère… Mieux vaut ne pas en rajouter dans les références.
Ce que les autres trolls en ont pensé :
Lazylumps : « It’s All good Man ! »… Par cette maxime, le petit avocat Jimmy Mcgill deviendra Saul Goodman, le sauveur des criminels traînés devant les tribunaux. Saul, sacré Saul, tu m’avais bien fait marrer avec ton énergie et ta verve de mec sous ecsta dans Breaking Bad. Ah sûr que t’étais un pourri de première, un véreux salaud qui ne vivait que pour la street credibility et la monnaie. Mais voilà, avec Better Call Saul, on te découvre un peu mieux, on t’appréhende… Et le chemin que tu as parcouru pour devenir un enculé nous est conté avec le talent de Vince Gilligan et son pote Peter Gould, les ténors de Breaking bad, les génies de ces scénars qui ont perforé la toile des séries Télé. Alors oui, je recommande Better Call Saul, car c’est bon, très bon de se retrouver dans cet univers, cet Albuquerque cramé, dans ces USA là.
Oui tu as raison ! … Honnêtement, je ne suis pas un spécialiste de la question, mais il y a une patte qui est là c’est sûr. Cela dit, il y aussi également des changements subtils. B. Odenkirk soulignait qu’il y avait notamment une bien plus grande utilisation du zoom dans Better Call Saul….Je dois avouer que je n’ai pas comparé les deux séries sur ce point ! Il n’est pas impossible que je complète l’article ultérieurement pour évoquer des aspects un peu trop rapidement brossés tel que la réalisation justement.
Ne pas oublier les nombreuses références à Breaking Bad au niveau de la réalisation ! Et ca ca fait drolement du bien aussi !