Hors sujet #1 : l’interview polar et jeux vidéos de Noir Kaolin
Trois trolls du Cri ont pris part à une interview par mail pour le magasine limougeaud Noir Kaolin spécialisé dans le polar. Alors nous nous sommes lancés avec grand plaisir dans cette aventure et avec notre tendance naturelle aux réponses courtes, concises et rapides, nous nous sommes attaqués aux questions.
Quid du polar dans le jeu vidéo ? Voilà la question de départ de cette interview qui s’intéressera aussi au pont entre cinéma et jeux vidéo.
Ce méfait a été commis par le frétillant Lazylumps, l’honorable Bolchegeek, et le sublimissime Nemarth.
[Noir Kaolin] Qu’est-ce qui permettrait de qualifier un jeu vidéo de « polar » ; simplement « jeu d’enquête » ou autre ? et donc : quelle forme le polar peut-il prendre dans ce média ? À quoi peut tenir la qualité d’un jeu vidéo-polar ? Le polar se définit comme un genre de littérature pour adultes : quid du jeu vidéo ? Quels sont vos jeux préférés dans la catégorie Polar ?
[Bolchegeek] Il faut d’abord comprendre que le « genre » dans le jeu vidéo est plus défini par le gameplay (plateforme, combat, tir, énigme, etc.) que par les traits narratifs. Il n’existe ainsi pas vraiment un genre « polar » ou « noir » dans le jeu vidéo. En revanche, ils peuvent avoir ces « ambiances » dans des genres différents : peut être « polar » un jeu d’enquête (comme certains « point & clic », genre basé sur la collecte d’indices, les dialogues et la résolution d’énigmes), tout comme peut l’être un jeu uniquement d’action.
L’écriture d’un personnage peut être très « noire », indépendamment de l’ambiance. C’est le cas des héros de la firme Rockstar (les célèbres GTA, Red Dead Redemption qui est un western, L.A. Noire ou le dernier Max Payne) qui sont toujours des anti-héros marginaux cherchant à ne pas prendre parti mais toujours rattrapés par la société (les jeux Rockstar sont réputés pour leurs satires sociales).
[Lazylumps] En ce qui concerne les jeux Rockstar, ils cristallisent à eux seuls ce que pourrait être un « jeu polar ». Même jusque dans la narration : l’histoire se déroule comme on tournerait des pages de livres. L’ambiance se pose avec l’enchaînement des dialogues entre les personnages (tous plus hauts en couleurs les uns que les autres), et les actions s’enchaînent, menant le joueur vers une conclusion inévitable, à grand renfort de twists et de chutes qui le laissent baba.
Certains personnages de GTA sont aussi très proches des personnages à la Jim Thompson ou Lansdale. Rien que sur le dernier jeu en date (GTA 5), l’un des trois personnages principaux, Trevor Philips, un quarantenaire désaxé et toxicomane qui vit reclus dans le désert, entre dans la catégorie des figures emblématiques du polar moderne : un oublié white trash, un hors normes, qui évolue dans une société qu’il ne comprend pas et qui ne le comprend pas. Bolchegeek a aussi cité Red Dead Redemption… comme certains westerns actuels qui tendent vers une atmosphère polar, roman noir (je pense par exemple ici au roman Le tireur de Glendon Swarthout) Red Dead Redemption incarne cette recherche d’une narration violente qui visite les tréfonds de l’âme humaine… Les scénaristes de Rockstar tentent perpétuellement d’appréhender les vices et les failles d’une société et des personnages qui perdent leur aura de héros. Rien n’est gratuit avec Rockstar, rien n’est facile. Les jeux Rockstar sont tous marqués par une irrévérence qui dénonce, qui égratigne le rêve américain, qui le désacralise… ils montrent une autres réalité, une réalité d' »en bas », violente, fourbe, crasse. Comme un bon polar ! C’est pour cela que pour moi, ce sont les meilleurs.
[Bolchegeek] Je citerais comme mon favori dans l’ambiance totalement « polar hardboiled » les jeux Max Payne qui, même si le gameplay n’est tourné que vers l’action, comporte tous les ingrédients du genre : anti-héros torturé, narration et thématiques adultes, vision désenchantée de l’humain et de la société, une grande violence, etc. Difficile de passer à côté de L.A. Noire (en français dans le texte), qui annonce la couleur dans le titre. Il s’agit d’un jeu d’enquête et d’action dans la Los Angeles d’après-guerre qui enchaîne les histoires inspirées de polars noirs (notamment de James Ellroy).
Un jeu comme Heavy Rain, qui est plutôt un film interactif et tient beaucoup du thriller psychologique, emprunte beaucoup de thématiques et de « clichés » au polar (serial killer, ancien flic détective privé, la journaliste casse-cou et indépendante, le fédéral sorti de l’école de police en duo avec un flic borderline, etc.) Quant à l’aspect « adulte », il est forcé par les ambiances polars, même si on trouve des jeux d’enquête pour plus jeunes (exemple : Professeur Layton).
[Nemarth] N’ayant pas lu beaucoup de polars, je vais faire une réponse un peu bidon, mais je pense que pour faire la différence entre un jeu polar ou juste un jeu d’enquête… comme le dit Bolchegeek, c’est l’ambiance qui compte. Mes jeux préférés dans cette catégorie seraient GTA 4 et The Darkness… pas des jeux d’enquête, mais des jeux d’action dont les personnages principaux sont des antihéros qui cherchent pour tous les moyens à revenir dans la lumière, à ressembler à des gens normaux, sauf que ce qu’ils font pour y parvenir est totalement contre-productif et les enfonce davantage dans cette fuite en avant, cette dépression.
Le ton du jeu doit être sombre, on doit pouvoir avoir accès aux pensées de notre personnage principal qui doit posséder une vraie personnalité (ce n’est pas le cas de tous les personnages de jeux vidéo, par exemple qui pourrait dire si Mario est heureux au quotidien, ou ce qu’il pense de la condition des plombiers sous la monarchie de la princesse Peach ?)
En ce qui concerne la forme que le polar doit prendre, je dois avouer qu’il est assez libre: il peut être un jeu d’enquête où le joueur avance d’indice en indice et est très dirigé par les développeurs (comme Heavy Rain) ou il peut être un jeu très ouvert où le joueur est libre de faire ce qu’il veut mais où le ton du jeu et l’histoire nous rappelle toujours qu’on est dans un polar (exemple: GTA) ou encore un jeu de tir à la première personne comme dans The Darkness. Comme je l’ai déjà dit, c’est l’ambiance et l’histoire qui en font un jeu vidéo « polar » du coup la forme est très libre ! (Dans certaines limites tout de même je vois assez mal un jeu de course polar !)
[Noir Kaolin] Les jeux vidéo sont-ils centrés exclusivement sur l’énigme, l’action ou une part est-elle faite aussi à la psychologie des personnages, à leur histoire et surtout (comme dans les bons polars) au contexte social ?
[Bolchegeek] Il faut comprendre que le développement d’une narration a été longtemps très difficile du fait des limitations techniques. Mais avec les progrès permettant des jeux plus longs, avec des dialogues ou des cinématiques, les développeurs ont pu scénariser leurs jeux (il y a même maintenant des scénaristes de jeux). Certains jeux vidéos apportent un soin particulier à la psychologie de leurs personnages et à développer des thématiques (sociales, économiques, etc.). Ils ont même tendance à être extrêmement scénarisés, avec des ambiances travaillées. Certains « jeux » (plus proches de films interactifs) basés uniquement sur l’histoire et les choix (comme ceux des firmes Telltale ou Quantic Dream), rencontrent d’ailleurs un grand succès.
[Lazylumps] Pour rebondir sur ce que dit Bolchegeek, effectivement il y a maintenant des scénaristes de jeux vidéos, mais encore plus intéressant : des écrivains commencent à scénariser des jeux vidéos. C’est le cas d’Alain Damasio par exemple, un auteur multi-récompensé et très connu pour ses romans philosophico-fantasy…
[Nemarth] En fait on ne peut répondre à cette question par une généralité : il y a des jeux qui ne font que des énigmes genre Myst, que de l’action (Street Fighter) ou que du psychologique comme dans Heavy Rain. Après c’est le dosage de ces trois facteurs qui change selon les jeux. Mais les jeux que je qualifie de « noirs » prennent vraiment le temps de s’attarder sur la psychologie de leurs personnages parfois même aux dépends du jeu lui même (par exemple Heavy Rain va trop loin et n’est, en fait, pas très agréable à jouer).
[Noir Kaolin] Dans un polar, c’est l’auteur qui mène le lecteur en bateau : comment concilier ça avec le fait que le joueur est censé être maître du jeu-vidéo ? Par quels mécanismes ?
[Nemarth] Le joueur n’est en fait jamais maître du jeu, si un jeu possède une quête ou une histoire, alors exactement comme dans un livre, les scénaristes vont montrer des indices progressivement, ou nous tromper sur la gentillesse ou la méchanceté d’un personnage. Ce sont des éléments sur lesquels le joueur n’a et ne peut avoir la moindre influence. Les développeurs peuvent les insérer pendant des cinématiques (des vidéos qui interrompent le jeu pour nous exposer de nouveaux éléments scénaristiques) ou pour des indices en fermant toutes les autres possibilités évitant ainsi que le joueur le rate (par exemple un couloir de chambre d’hôtel où toutes les chambres seraient fermées sauf une, celle où se trouve l’indice)
[Bolchegeek] C’est une vaste question très complexe. Les développeurs sont-ils les auteurs ou est-ce que le joueur n’est pas auteur de son expérience de jeu ? Il y a par définition une plus grande interactivité dans le jeu vidéo. Mais cette liberté peut être bridée par la narration (on peut demander à un joueur d’accomplir certaines tâches sans pour autant que cela change la direction de l’histoire) ou par des mécaniques de jeu : après tout, le joueur n’est libre que dans un cadre défini par le système de règles et les événements, comme dans un jeu de rôle. Il y a une infinité de possibilités pour « manipuler » un joueur, dont les créateurs ne se privent pas.
Je prends un exemple : dans Bioshock, le joueur est guidé par un inconnu (qui lui explique globalement ce qu’il doit faire, ce qui est courant dans les jeux). Il a une illusion de contrôle mais finalement n’a pas tellement le choix de désobéir, sous peine de ne pouvoir progresser. Plus tard, cet élément se cristallise dans une scène où cet inconnu exige du joueur qu’il le tue. Le joueur perd alors le contrôle des commandes, devenant témoin de son avatar qui obéit, lui signifiant qu’il n’avait jamais eu le contrôle de ses actes.
Récemment, un jeu indépendant est basé sur cette mécanique, The Stanley Parable, où une voix off décrit ce que le personnage est sensé faire. Mais le joueur peut désobéir, provoquant des réactions du narrateur (qui a les plein pouvoirs sur l’environnement). Le jeu entier n’est qu’une interaction entre ce narrateur quasi-omnipotent et le joueur (seul élément qu’il ne contrôle pas directement).
[Noir Kaolin] Dans les jeux vidéo, les joueurs doivent-ils plus souvent jouer le rôle du “gentil” ou du “méchant” ?
[Bolchegeek] La figure du gentil ou au moins du héros est privilégiée. Cependant, depuis quelques années, les frontières se brouillent un peu en proposant de jouer des anti-héros à la morale plus douteuse (des assassins, des flics aux méthodes expéditives, des « gentils » gangsters ou voleurs, etc.), voir même des méchants (par exemple jouer le Côté Obscur dans un jeu Star Wars).
[Nemarth] Ils ont poussé le vice jusqu’à nous permettre ce choix dans un jeu vidéo Spiderman ! Pourtant un des super-héros les plus gentils qui soient !
[Bolchegeek] Il y a surtout une mode récente de jeux à « choix », c’est-à-dire où le joueur peut décider plus librement de ses actions selon ses envies ou sa propre morale. Les adaptations de jeux de rôles sont les précurseurs puisqu’on crée soi-même son personnage, on choisit ses répliques dans des boîtes de dialogues et ce qu’on va faire (on peut ainsi être un total méchant ou un personnage à la morale plus floue). Certains autres genres ont repris cette idée, en laissant par exemple la possibilité d’être, dans une logique plus manichéenne, un gentil ou un méchant (comme le jeu de super-héros Infamous). D’autres s’évertuent plutôt à « tester » la moralité du joueur en le plaçant devant des choix cornéliens où aucune solution n’est vraiment « bonne » ou « mauvaise ».
Pour la petite anecdote, dans le célèbre jeu Donkey Kong, premier où l’on incarne Mario, Kong n’est pas sensé être un méchant mais un incompris brutalisé par le « héros » (un peu comme dans King Kong dont il s’inspire), même si le personnage a été perçu comme ça. Mais ce genre de subtilité est difficile à faire passer avec autant de limitations techniques.
[Lazylumps] Tout comme le polar a évolué, passant des Detective Stories au polar contemporain, ou plus simplement « roman noir », le jeu vidéo mue petit à petit en rompant avec ses codes d’origine (souvent manichéens). Certes l’axe du gentil héros contre le méchant reste prépondérant, mais de nombreux jeux floutent ces caractéristiques jusqu’à même perdre le joueur dans sa conception du bien et du mal.
L’exemple d’un jeu comme Mass Effect qui peut passer pour un jeu de « science fiction » (proche du roman noir dans sa plongée dans l’âme humaine) met très en avant ceci… Les choix du joueur vis à vis des décisions à un instant T peuvent avoir des conséquences dramatiques, voir amorales, choquantes, inattendues…
Et c’est tout le sel de ce renouveau du jeu vidéo.
[Noir Kaolin] Existe-t-il des jeux qui s’inspirent de livres, de films, de séries (ne serait-ce qu’en mettant en scène des personnages connus ) ?
[Bolchegeek] Le jeu vidéo est à mon sens un mauvais médium d’adaptation, dans la mesure où il est difficile de trouver dans un livre ou un film un intérêt à « jouer » pendant des heures. La narration vidéo ludique est interactive et très diluée dans le jeu pur (qui reste la raison d’être du jeu). Il existe des adaptations de films en jeu mais elles sont très rarement réussies en-dehors de l’aspect promotionnel. Pour le reste, on pioche énormément dans la littérature (tous genres confondus) et le cinéma, pour des ingrédients plus que des adaptations littérales (c’est pour cela qu’on va retrouver beaucoup de James Ellroy dans L.A. Noire ou de Stephen King dans Alan Wake, sans que l’adaptation soit explicitée). Un jeu doit énormément se détacher pour offrir une expérience satisfaisante au niveau ludique. Par exemple, le jeu Dante’s Inferno est, comme son nom l’indique, une « adaptation » de la Divine Comédie. Il en reprend l’idée d’aller en Enfer chercher sa bien-aimée et la description des différents cercles. Cependant, le personnage n’a rien à voir : il s’agit d’un croisé fanatique et extrêmement violent. Le jeu consiste alors à progresser dans les enfers en affrontant des hordes d’ennemis (ce qu’on appelle un « beat them all »), ce qui est le centre de sa dimension « ludique ».
[Nemarth] A l’instar du cinéma, le jeu vidéo va là où il peut trouver inspiration ou beaucoup d’argent donc oui il est sorti pour le meilleur et pour le pire des jeux s’inspirant de livre ou de film : il existe des jeux Sherlock Holmes (dont le dernier sorti est d’ailleurs très bien d’après les critiques), des jeux Walking Dead ou Game of Thrones. Le jeu que j’ai déjà évoqué The Darkness est d’ailleurs l’adaptation d’un comics du même nom !
[Lazylumps] Certains jeux sont adaptés de livres, je ne vais vous parler que du meilleur à mon goût : The Witcher du roman polonais Le Sorceleur d’Andrzej Sapkowski, de la dark fantasy proche de Conan mais en plus torturée et plus structurée. Ici les développeurs ont travaillé main dans la main avec Andrzej Sapkowski et ont prolongé son histoire. Ils en ont livré un jeu formidable au scénario léché, à la profondeur inouïe et à l’ambiance décoiffante. On est en face d’un vrai travail de collaboration entre plusieurs médias, plusieurs talents. Et le résultat est étonnant. Je suis certains que si je mettais mon père qui ne comprend rien aux jeux vidéos mais qui est fou de dark fantasy (l’équivalent du roman noir fantastique) devant l’écran pendant que je joue, il serait complètement captivé.
[Noir Kaolin] Voyez-vous des liens entre films et jeux vidéo ? si oui, lesquels ?
[Bolchegeek] Par nature, le jeu vidéo est très différent puisqu’il s’agit d’une forme ludique et interactive. Un jeu peut avoir sans problème une narration proche de zéro (la narration de Pong se limite à « deux joueurs et une balle »). Mais le développement des cinématiques et de la technique a poussé à mettre en scène des histoires. Le cinéma, référence en art séquentiel audiovisuel, est forcément le « papa » de ces narrations. Cependant, les jeux vidéo bénéficient de leurs propres mécaniques de narration que sont les mécaniques de jeux. Les meilleurs créateurs racontent l’histoire via l’interactivité, plus que par des « inserts » de séquences cinéma ou textuelles.
[Lazylumps] Des jeux comme L.A Noire, ou Heavy Rain, dont on parle dans cet entretien, empruntent beaucoup au cinéma et notamment aux thrillers. Je pense ici à David Fincher, que l’on pourrait croire aux manettes d’Heavy Rain, tant certains passages, dialogues, et même « angles de caméra » sont proche de son style cinématographique.
[Nemarth] Oui, il y a des liens entre jeux vidéo et cinéma, il y en a beaucoup. Déjà parce que le jeu vidéo raconte souvent une histoire et comme celle-ci est visuelle autant que sonore, les développeurs de jeux se sont très vite penchés sur ce qui se faisait au cinéma pour mieux raconter leurs histoires. Avant l’arrivée de la 3D, lorsque les technologies l’ont permis, les studios de développement ont commencé par engager des acteurs pour jouer les rôles principaux ce qui donnait de très jolies cinématiques mais des phases de jeu immondes où on déplaçait un tas de pixel affreux qui ressemblait vaguement à l’acteur qu’on venait de voir dans la cinématique précédente. L’arrivée de la 3D a fort heureusement mis fin à ces pratiques. Là les développeurs avaient enfin la liberté de déplacer la caméra autour de leurs personnages et c’est là que le pont entre jeu vidéo et cinéma s’est vraiment ouvert. J’évoquais plus haut Hideo Kojima qui reprend dans tous ses jeux des codes du cinéma d’action pour réellement mettre en scène ses personnages. Plans ciselés, gros plans, travellings, tout y passe pour transformer chaque cinématique en une véritable scène mémorable. De même un jeu comme GTA4 ne serait pas possible si les développeurs n’avaient pas été fortement inspirés par le genre du film noir…
Mais j’ai bien parlé d’un pont, car l’influence s’est faite dans les deux sens, le cinéma de Zack Snyder en est l’exemple parfait, il utilise une esthétique très marquée, très virtuelle, privilégiant la beauté et le gigantisme de ses personnages avant leur côté plus humain. De même on peut voir dans les films des Wachowsky comme Matrix ou Speed Racer l’utilisation de codes du jeu vidéo comme éléments narratifs supplémentaires. Par exemple dans Matrix, les supers pouvoirs de Neo sont en fait des « cheatcodes » (codes de triche) qu’utilise Néo pour reprogrammer la matrice à sa volonté. De même dans Speed Racer de nombreux codes du jeu de course sont utilisés : les voitures sont armées de gadget et missiles faisant tous un effet différent qui fait furieusement penser à Mario Kart ou l’utilisation du « fantôme »: un élément de jeu qui permet dans un jeu de course de voir sur le circuit « le fantôme » du meilleur joueur sur le circuit que l’on peut tenter ainsi de suivre ou de dépasser même en l’absence de ce joueur (on peut ainsi s’en servir pour battre son propre record !) Le fantôme dans Speed Racer est le souvenir de son grand frère largement meilleur coureur que lui et qu’il suit dans sa tête chaque fois qu’il s’entraîne. Les exemples s’accumulent et plus les années passent et plus fort est le lien entre jeu vidéo et cinéma, est-ce une bonne chose, est-ce un mal ? L’avenir nous le dira!
[Noir Kaolin] Le polar a difficilement gagné ses galons d’œuvre d’art : les jeux vidéos peuvent-ils prétendre à ce statut ?
[Bolchegeek] : C’est une problématique très actuelle du jeu vidéo, qui suit exactement la même progression que le polar avant lui : de sous-culture populaire à la reconnaissance par les élites. La question est plus complexe dans le jeu vidéo, parce qu’il est aussi une forme ludique, et pas uniquement une œuvre. Mais il commence à bénéficier de cette reconnaissance au travers de créateurs considérés comme des artistes, de travaux universitaires et d’une communauté qui réfléchit sur son médium, ou encore de problématiques sur le contenu (la polémique soulevée par exemple par Jean-Luc Mélenchon sur le dernier Assassin’s Creed montre que le jeu vidéo commence à être traité au même niveau que d’autres productions culturelles).
[Nemarth] : Les jeux vidéos traversent le même désert que les polars ont traversés, sauf qu’au lieu d’être catégorisés « roman de gare », les jeux vidéo ont longtemps été qualifiés de « médias abrutissants qui rendent dépendant et violent ». Cependant, des auteurs, des game designers, commencent à concevoir des jeux que l’on n’achète pas seulement parce qu’ils nous intéressent mais aussi parce qu’ils s’inscrivent dans la démarche artistique de leur créateur. Par exemple Hideo Kojima dont on achète les jeux en sachant pertinemment qu’ils contiendront énormément de contenu cinématographique ou Fumito Ueda, qui, par le biais d’un scénario et de dialogues minimalistes va créer une œuvre hautement symbolique à portée universelle qui marque toute personne qui y a joué.
[Lazylumps] Le jour ou l’on donnera le Goncourt à un polar n’est plus très loin (Pierre Lemaître…) on peut donc aussi espérer qu’avec les talents phénoménaux mobilisés par les jeux vidéos, tant en terme de graphisme pur et simple (qui souvent frôlent la peinture en mouvement) qu’en terme de scénarios originaux, bientôt ce média sera considéré comme un art à part entière.
Il le mérite tellement.
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