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La bête, elle est presque humaine

La bande-dessinée franco-belge s’inscrit dans une vénérable tradition qui a vu s’amonceler les personnages cultes et les auteurs géniaux pendant des décennies. Or ce panthéon, s’il ne devait rester qu’un antique musée de la BD, finirait par perdre de son aura intemporelle. Justement, on a vu récemment plusieurs relectures d’anciennes et mythiques séries dans des registres narratifs différents. Cela a été le cas deux fois pour Lucky Luke par exemple avec L’Homme qui tua Lucky Luke de Matthieu Bonhomme et Jolly Jumper ne répond plus de Guillaume Bouzard. Deux œuvres radicalement différentes et toutes les deux procédant à une refonte du héros, créant à la fois une nouvelle ambiance pour les histoires et une sorte de réactualisation très intéressante. C’est précisément ce dont il est question avec le bouquin qui nous occupe aujourd’hui : La bête de Zidrou et Frank Pé. Les deux auteurs se sont attaqués à un monument des éditions Dupuis, le Marsupilami créé par André Franquin en 1952, un sacré défi en perspective qu’on va tenter de décortiquer.

Source : page Facebook de Frank Pé

Relire au passé

Source : France Inter

Refonte oblige, les auteurs ont opté pour une intrigue se plaçant dans les années 50 en Belgique, là où tout a commencé si je puis dire, un cadre idéal pour cimenter un nouveau récit du Marsu. Et dès les premières pages le ton est donné ; Zidrou a décidé d’ancrer son histoire dans une atmosphère davantage réaliste, sombre même. Le ciel est bas, l’orage gronde et la pluie enveloppe le port d’Anvers dans un carcan lugubre. On s’approche d’un cargo dans lequel on suit d’inquiétants protagonistes qu’on devine être des trafiquants d’animaux exotiques. Un incident a retardé le navire, la cargaison animale a été décimée au grand dam du commanditaire ventripotent. Mais dans une cage remplie de primates morts il semble qu’une bête aie survécu, une bête agressive et sauvage qui bientôt s’échappe et se retrouve dans un pays inconnu. L’intrigue nous amène ensuite vers l’autre protagoniste central, François, un jeune garçon passionné par les animaux et qui ramène à la maison toutes les bestioles éclopées qu’il a pu rencontrer. Cependant, il est persécuté par certains de ses camarades d’école et, alors qu’il s’enfuit, il découvre sous un pont une mystérieuse créature agonisante qu’il décide de sauver… Je n’en dirais pas plus pour l’histoire.

Animalisation du Marsu

Comme je l’ai dit, ce qui frappe avant tout c’est l’ambiance toute particulière conférée au récit par les deux auteurs. Zidrou confesse avoir voulu donner une patte très cinématographique à l’ensemble, ce qu’il a parfaitement réussi à imprimer, surtout dans cette scène d’ouverture. Le dessin de Frank Pé, et surtout son découpage, accentuent encore cette impression. Si le trait, par des représentations caricaturales des personnages, fait très franco-belge à l’ancienne, ce qui permet d’établir la connexion avec le travail original de Franquin, le traitement des environnements est lui beaucoup plus réaliste, ce qu’accentue la mise en couleur à l’aquarelle et ses tons à dominante plutôt terne.
Frank Pé dessine beaucoup d’animaux, il a acquis une fantastique capacité à les rendre vivants par un souci méticuleux du respect de l’anatomie. De fait, son Marsupilami pourrait être une créature réelle ; il a une démarche et une anatomie très simiesques avec cependant une tête proche de celle de certains lémuriens. Effectivement, c’est une bête, il en a les caractéristiques et le comportement. Il est craintif, cherche à se dissimuler dans cet environnement perturbant qui n’est pas le sien et ne fait montre d’agressivité que dès lors qu’on le maltraite. De même, comme tout animal, il est également mû par les ordres impérieux de son ventre. De fait l’attachante boule de poils de l’œuvre originale a subi une refonte importante qui ne la rend pas pour autant moins intéressante. Le Marsu a délaissé sa bonne humeur désordonnée pour adopter une nouvelle identité qui cadre parfaitement avec les intentions du récit.

Source : Dupuis.com

Souvenirs de guerre

Le récit d’ailleurs s’attaque à des thématiques très sensibles pour l’époque considérée. En s’inscrivant dans les années 50, les échos de l’occupation et de la guerre ne pouvaient être bien loin et, de fait, à plusieurs reprises Zidrou fait surgir dans son intrigue des choses qui rappellent les douleurs de l’après-guerre, ses injustices surtout, qui ont durement frappé certains protagonistes. C’est, je trouve, une façon élégante d’introduire la complexité de l’époque pour les plus jeunes, d’autant que l’ouvrage a été réalisé pour s’adresser à un large public, sans le truffer de références ni trop corser le contenu. C’est sombre, parfois un peu dur, mais jamais à l’excès. Un peu de légèreté vient toujours désamorcer un peu le tragique et, ce faisant, l’histoire sonne juste et vivante.

Source : BFMTV

L’école à l’ancienne

Si François, le jeune héros, connaît parfois un sort peu enviable, il reste un personnage attachant par son enthousiasme et son engagement pour ses compagnons à poils ou à plumes. Il s’inscrit sans mal dans la galerie des enfants de cette génération des années d’après-guerre, popularisée par des films ou des bandes-dessinées. Son quotidien, rythmé par l’école, permet d’introduire une autre figure importante, celle de l’instituteur. Il s’agit ici de monsieur Boniface, un maître encore jeune et qui pratique une pédagogie  alternative à une époque où la fermeté pédagogique était pour le moins la norme. Il n’est pas insensible au charme de la maman de François, une vendeuse de moules au caractère bien trempé.
Un directeur d’école à l’ancienne, une gouvernante prévenante, des forces de l’ordre aux cheveux ras et bien d’autres complètent cette galerie de personnages qui n’est pas sans rappeler les vieilles BD de l’âge d’or franco-belges. La bête est donc bien à la croisée des chemins entre l’hommage et la relecture réaliste. Les ingrédients sont savamment dosés pour que jamais on ait la désagréable impression de suivre une longue suite de clins d’œil appuyés ou d’une inspiration lointaine et finalement sans rapport.

La bête est une belle BD qui a décidé de nous faire relire à sa sauce le Marsupilami de Franquin avec un angle d’attaque à la fois réaliste et cependant subtilement relié aux anciennes bandes-dessinées. Les anciens lecteurs devraient y trouver suffisamment de références pour rester dans le confort d’une terre connue, les nouveaux, eux, peuvent sans problème la lire sans risquer de s’y perdre.
Le récit est dynamique, les compositions des cases assez virtuoses, les deux auteurs, Zidrou et Frank Pé ont fait un sacré travail dans ce gros volume de 155 pages. On attend avec impatience la suite !

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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