Raiponce et Le Vilain Petit Canard : des contes interdits sanglants
En ces temps plus que troublés, nous avons besoin de joie, d’espoir et d’une bonne bouffée d’air frais. Eh bien ça tombe très bien, car ce n’est pas du tout de ça dont il sera question ici ! Que voulez-vous, confinement ou non, on ne se refait pas… Déso pas déso.
Il y a quelques temps de cela, à l’époque où mettre un pied à l’extérieur ne risquait pas de nous envoyer à l’hosto (ce temps vous paraît lointain, je sais. Courage les gars, il nous reste juste un mois à tenir, ça va passer crème), je suis tombée sur toute une série de bouquins : Les Contes Interdits des éditions AdA. Le nom était cool, les couvertures claquaient et le concept se présentait comme simple et efficace : un ensemble d’auteurs qui revisitent les plus grands contes en version pour adultes bien trash. Ça s’annonçait donc déjà plutôt bien, mais c’est finalement la mention « pour un public averti » inscrite sur la couverture qui m’a fait dire « Banco ! Ces livres sont faits pour moi ». Oui je sais, je suis une vraie rebelle de la vie.
La collection étant composée de quinze livres, j’en ai sélectionné deux parmi ceux proposés chez mon libraire : Raiponce et Le Vilain Petit Canard. C’est donc assez fébrile que je me suis emparée du premier et me suis bien volontiers laissée happer par l’histoire.
Raiponce de L.P Sicard : du sang, du sang et de l’effroi
« Raiponce, Raiponce laisse tomber tes cheveux »
Et OOOOOH MON DIEU ! Naïve que j’étais et même si cette fameuse mention avait orienté mon choix, je l’avais plutôt prise à la légère en me disant que comme d’habitude, il devait y avoir un peu de sang par-ci par-là mais que j’en « avais vu d’autres hein ». Et bien à ma grande surprise, j’ai réellement eu tort.
J’ai commencé ma lecture dans le train et j’avoue m’être sentie coupable rien qu’en lisant le début de cette histoire. Je me suis d’ailleurs surprise à prier pour que personne n’ait l’idée de lire par-dessus mon épaule (au passage, arrêtez de faire ça les gens, c’est comme si vous regardiez par-dessus l’épaule de quelqu’un qui va au petit coin. Si si.).
Dès le début, l’auteur de Raiponce, L.P Sicard annonce clairement le ton : l’histoire prend place dans une époque contemporaine et s’ouvre avec le personnage du chasseur. À travers lui, l’auteur arrive à décrire en quelques paragraphes seulement, toutes les ignominies ou presque dont l’homme peut être capable. Et vraiment, je n’exagère pas. J’ai même hésité à continuer ma lecture tellement j’en avais l’estomac retourné (non, je n’en dirais pas plus, lisez-le, NA !), mais finalement, n’était-ce pas ce que j’étais venue chercher ?
J’ai donc continué ma lecture en faisant un peu moins la fière, je l’avoue. La suite reste plus « soft », utilisant surtout des scènes gores pour captiver le lecteur et le maintenir en haleine. Gores mais dans l’ensemble assez justifiées car le lecteur prend part à l’enlèvement d’une jeune fille, retenue captive par une femme monstrueuse qualifiée de sorcière qui est, disons-le clairement, complètement tarée. Excuse parfaite, donc, pour décrire des scènes sanglantes comme on les aime, avec tout plein de détails pour être bien certain que le lecteur ne loupe rien. Ah ben ça c’est réussi, il ne loupe rien ! Futur lecteur, te voilà prévenu, aucun élément ne te sera épargné. Aucun.
Côté suspense, on est également très bien servi. L.P. Sicard n’offre pas une seule seconde de répit à ses personnages, ce qui permet au lecteur d’être aisément plongé dans une angoisse constante, comme s’il était finalement à son tour poursuivi par la sorcière. En somme, une très bonne expérience de lecture.
J’ai cependant été déçue par la plume de l’auteur à laquelle je n’ai malheureusement pas accroché. J’ai trouvé son vocabulaire assez redondant. Les termes descriptifs sont souvent clichés, les comparaisons répétitives et l’écriture en général manque de fluidité, comme si l’auteur peinait à trouver ses mots, ce qui a pour inévitable conséquence de sortir à maintes reprises le lecteur du rythme effréné de l’histoire. Le récit reste malgré tout très bien mené et jusqu’au bout, le lecteur sera maintenu en haleine quant au sort final qui sera réservé à l’héroïne.
En ce qui concerne le mode « conte revisité », L.P. Sicard s’en sort vraiment très bien. On retrouve tous les fondamentaux du conte des frères Grimm : la mère rendue follement dépendante de la consommation d’une fleur, la jeune fille aux cheveux longs séquestrée par une méchante (très méchante) dame et l’homme qui cherche à sortir la captive de sa tour.
L’histoire de Raiponce telle que nous la connaissons est donc bien là, mais ne vous y méprenez pas : celle-ci n’a absolument rien du conte de fée !
Le vilain petit canard de Christian Boivin : un conte vampiresque du XXIe siècle
« Il songeait combien il avait été honni et pourchassé, maintenant il entendait dire qu’il était le plus charmant des charmants oiseaux ! »
Suite à ma lecture de Raiponce, j’ai voulu voir comment s’en sortait le deuxième auteur. Je me suis donc lancée dans le conte du Vilain Petit Canard de Christian Boivin. Contrairement à Raiponce, l’entrée en matière est un peu plus douce et j’ai été plus facilement conquise par la plume de l’auteur, très fluide grâce à l’emploi d’un vocabulaire moins répétitif.
Christian Boivin prend le temps de nous présenter son protagoniste, un informaticien geek et asocial qui ne parvient pas à trouver sa place dans notre société où faire partie intégrante d’un groupe semble primordial. Il est donc évidemment assez facile pour le lecteur de s’identifier rapidement à ce personnage. Sauf si vous étiez du genre extra-populaire au lycée, et dans ce cas-là, je ne peux plus rien pour vous !
Là où l’auteur de Raiponce avait choisi de ne pas intégrer de fantastique et de décrire des horreurs effectuées par de simples humains, Christian Boivin a choisi, lui, de faire appel au surnaturel. L’auteur amène ainsi subtilement le lecteur vers le bizarre, ce qui lui permet de faire facilement basculer l’histoire dans une sorte d’univers parallèle à partir du moment où le personnage principal se retrouve contre son gré transformé en… vampire.
Alors oui, je te vois râler d’ici : « encore des vampires, c’est bon, c’est un sujet déjà vu et revu bla bla bla ». Bon, je ne vais pas totalement te contredire hein, en tant qu’auteur, choisir les vampires comme thème est devenu un peu casse-gueule tellement tout le monde a essayé de s’emparer du sujet, mais pas nécessairement avec succès . Je remercie donc chaleureusement M. Boivin de nous avoir épargné le coup malheureusement devenu classique du vampire qui devient soudainement sexy, qui s’évapore (ou pire BRILLE) au soleil ou qui s’exprime comme s’il venait tout droit de l’époque victorienne.
Sois donc rassuré, à la place l’auteur nous dépeint un prédateur sanguinaire, excessivement violent et complètement dénué de sens moral. Un vrai vampire quoi, un monstre qui veut juste vider les humains de leur sang et de leurs boyaux parce que c’est rigolo. Inutile donc de vous préciser que ce n’est pas bien beau, car encore une fois les détails sont bien au rendez-vous et c’est trop cool, parce que je le répète, un vampire c’est grave MÉ-CHANT ! Donnez-moi du saaaaaaaang.
Une fois encore, j’ai eu le droit à ma scène spéciale retournement d’estomac qui justifie aisément la mention « pour un public averti ». Elle peut sembler un peu gratuite mais avec le recul, elle démontre tout simplement l’inhumanité du clan des vampires. Et quoi de mieux pour cela qu’une petite session d’horreur, hum ?
Le lecteur est donc face à une histoire de vampire très bien menée, avec quelques rebondissements assez inattendus qui nous évitent cette impression de j’ai-déjà-lu-ça-quelque-part. Mention spéciale pour la scène ultra-glauque qui mène le protagoniste dans les sous-sols d’un club, où Christian Boivin décrit à la perfection des actions archi-malaisantes et l’effroi ressenti par ce pauvre personnage qui ne bénéficie d’aucune issue. Le suspense et le malaise qui s’en dégagent forment un duo détonnant pour une excellente expérience de lecture.
Bon alors tout ça c’est très bien, mais qu’en est-il du mode conte revisité ? Et bien c’est justement là où le roman pèche un peu à mon humble avis. J’ai eu beaucoup de mal à trouver un lien direct avec le conte du Vilain Petit Canard. Alors oui c’est vrai, le personnage principal qui apparaît au début comme chétif, solitaire et bouc-émissaire de ses collègues devient un prédateur puissant redouté de tous qui trouve enfin sa place dans un groupe qui l’accepte. Mais je trouve que le parallèle est assez vite fait et pourrait surtout s’appliquer à n’importe quel personnage un peu loser devenant puissant à la fin d’une histoire. Même si en relisant le conte du Vilain Petit Canard on arrive à trouver des éléments pouvant concorder avec la version de Christian Boivin, pour moi ce roman reste une bonne histoire de vampire à laquelle on a donné le titre de Vilain Petit Canard.
Grosse déception à ce niveau-là donc, même si ce roman reste très sympathique à lire.
Cette série des contes interdits est une excellente découverte et saura ravir les amateurs de sensations fortes. Le concept de réécrire des contes connus offre des possibilités de scénario intéressants et originaux avec une bonne grosse dose d’hémoglobine. Le fait que ces romans soient réalisés par plusieurs auteurs permet au lecteur de plonger dans des univers radicalement différents tout en gardant le principe d’une lecture extrême. Attention cependant, ne sous-estimez pas la fameuse mention « pour un public averti » car ces romans ne sont clairement pas faits pour les âmes sensibles !
D’ailleurs, les deux derniers de la collection sont sortis le 20 mars au Canada et devraient bientôt arriver chez nous. En voilà une bonne nouvelle !
Du coup, si toi qui me lis du fond de ton canapé, tu as déjà fait quinze fois le ménage, maté toutes les séries Netflix et n’en peux plus de Facebook avec ses conseils pour t’aider à « survivre au confinement », pourquoi ne pas t’essayer à ton tour à réécrire un conte connu ? Voilà qui pourrait bien te défouler !