First Man : le sacrifice des étoiles
Un film de Damien Chazelle, c’est pour moi toujours un petit cadeau. Le genre de truc que tu attends, les yeux qui pétillent, que tu anticipes. Je t’ai déjà parlé de LaLaLand, comédie musicale ambitieuse et réussite critique, auréolée d’un succès sans équivoque. Et voilà que ce cher Damien revient l’air de ne pas y toucher, et met une fois de plus tout le monde à terre. En parlant de l’espace. Déjà qu’on savait que le gars était un virtuose en ayant vu ses deux précédents films, alors après avoir vu celui là, le verdict est sans appel. Chazelle a décidé de mettre tous ses collègues réalisateurs au chômage. Et vu son petit dernier, il pourrait y arriver. Si tu n’as pas compris, je vais te parler de First Man, biopic sur la vie de l’iconique Neil Armstrong. Que tu t’intéresses ou non à la conquête spatiale, ce nom t’est forcément familier. Mais si tu sais, le premier ‘djo qui a mis le pied sur la lune. Et qui a sorti une punchline que tu ressors dès que tu fais un truc pas trop pourri de ta vie.
Un film biographique, c’est toujours un peu casse gueule, dans le sens où c’est quitte ou double. Suffit que tu ne trouves pas l’angle pour accrocher le sujet, pas l’acteur pour incarner pleinement la personne dont tu veux raconter l’histoire, et tu passes rapidement du côté nanar de la force. Si certains films comme la Môme ou encore Ray, choisissent de nous montrer la quasi totalité de la vie de leur protagoniste principal, la majorité des autres préfèrent se concentrer sur une partie de leur vie, généralement celle qui les a rendus célèbre. C’est le cas dans First Man, où Chazelle a décidé de poser sa caméra huit années avant l’alunissage qui fera entrer son personnage principal dans l’histoire. De mec comme les autres, Armstrong est passé à légende, et menteurs sont ceux qui diraient le contraire. En vrai, combien d’astronautes le pékin de base peut citer ? La stature quasi mythologique qu’évoque le nom d’Armstrong et son accomplissement n’est plus à prouver. Mais on n’est pas là pour ça. On est là pour parler de Neil, le mec, pas le héros que l’on voudrait qu’il soit. Un mec pas évident à décrypter mais que ce cher Damien va scrupuleusement analyser pendant deux heures de film.
Quoi ? Non mais oh moi je suis venu pour en prendre plein la face, pas pour voir pendant 1000 plombes la dissection de la psyché d’un type !
T’inquiètes pas, dans tous les cas, tu en auras pour ton blé.
Man on the moon
Dans First Man, l’histoire commence au moment sûrement le plus tragique de la vie de Neil Armstrong. Au décès de sa fille, âgée de quelques années. Ce drame est fondateur dans la compréhension de l’homme complexe qu’il est, tant il est brisé par cette épreuve. Qui ne le serait pas, après tout ?
Et c’est à partir de ce moment là que tu comprends que le film va prendre une toute autre dimension. Là où tu penses te bouffer Gravity dans les dents, tu vois en fait le portrait d’un homme dans ce qu’il a de plus intimiste. De plus fissuré. Un mec qui ne fait pas son deuil, qui n’arrive pas à se dépasser mentalement. Qui a du mal à avancer. Neil Armstrong, décédé en 2012, était un personnage énigmatique. À l’opposé de l’image du héros que l’on pourrait facilement vouloir lui coller au spacesuit. Opiniâtre et taiseux, il a refusé toute sa vie de jouer le jeu des médias et des interviews, ne voyant pas l’intérêt de se faire prendre en photo dans sa cuisine ou de se livrer en pâture à la télévision. Il existe relativement peu d’archives de lui, proportionnellement à sa renommée par exemple.
Là où certains ont vu une petite carotte de la part de Chazelle (cf « Ouais j’ai payé pour voir l’espace moi d’abord »), d’autres considèrent le parti pris du réalisateur bien vu et particulièrement intelligent. Je suis plutôt du deuxième avis, dans le sens où Chazelle arrive là où pas mal se plantent à mêler l’histoire personnelle de Neil et Histoire (avec un grand H tsé). Et notamment, il arrive encore une fois à faire une métaphore magnifique sur le sacrifice et la solitude réservé à ceux qui veulent accéder à leurs rêves.
Parce qu’en vrai, First Man, comme LaLaLand ou Whiplash, les deux premiers films de Damien, parlent de la même chose. De ce que l’on doit sacrifier, ce que l’on doit endurer pour y arriver. Que l’on y perde le goût et le moral, l’amour, ou que le sacrifice soit humain comme dans First Man, chez Chazelle, toute réussite à un prix, et passer à la caisse fait souvent très mal. Ces histoires de transcendance sont chères au réalisateur qui prend un malin plaisir à sublimer les quêtes de succès de ses différents protagonistes. Il y a une beauté tragique dans les personnages qu’il met en scène depuis le début de sa carrière, et First Man n’échappe pas à la règle.
On voit au travers de chaque scène le besoin pour Armstrong d’enfouir sa peine, de cacher son deuil sous une masse de missions, d’ambitions et à fortiori de travail. Neil porte la mort de sa fille comme un lourd tribut tout au long du film. De fait, la mission qui lui est donnée est quasiment poétique si elle n’en était pas aussi tragique dans sa métaphore : aller littéralement dans le ciel. Comme si il cherchait à tout prix un moyen d’être à nouveau avec sa fille, lui qui passe son temps sur terre à mettre une distance entre sa personne et les autres. Car Neil est durant tout le film à côté : à côté de sa femme, de ses enfants, de ses amis. Là, mais absent. Une scène qui met bien en lumière pour moi le décalage entre son ambition et sa vie personnelle est celle où sa femme lui demande d’expliquer à ses deux fils qu’il y a des risques à cet objectif lune. Qu’il risque de ne pas rentrer. Que ces enfants n’auront peut être plus de père dans un mois.
Alors que tout le monde sait que cette mission a été un succès, tu ne peux t’empêcher de te mettre à la place de ces gamins et de te dire que leur père part au casse pipe. Et d’avoir un peu les chocottes comme eux. La mélancolie qui règne autour de Neil, l’ambiance du film ainsi que sa dernière séquence, font que l’on ne peut qu’être triste devant ce mec qui a réussi à conquérir la lune. Paradoxal non ?
Bon, en plus d’être un biopic sans sentimentalisme ou pathos, First Man est aussi un film sur l’espace. Oui. Je t’assure. Mais là où de nombreux films se déroulent sur uniquement le temps d’une mission, celui-ci décortique la conquête spatiale étape par étape. Parce que pour aller sur la lune, il faut bien plus que des idées et des cojones, et pour alunir, il faut un peu plus qu’une boîte de conserve et du fil. Il y a, dans le désordre : l’entraînement des astronautes (avec moult vomis), les différentes étapes et missions qui ont permis à l’homme de poser le pied on the moon (on parle quand même d’un sacré paquet de décollages, de ratés et autres joyeusetés), et les différentes innovations techniques qu’il a fallu inventer et tester afin de rendre la mission possible. Trois fois rien quoi. Moi, en pauvre ignare que je suis, je me doutais bien que les mecs avaient un peu potassé le sujet, mais mon esprit naïf n’avait jamais appréhendé la montagne et les années de travail qu’il avait fallu pour atteindre ce petit coin de ciel.
Damien, Justin, Ryan et tous les autres
Comme je te l’ai dit en introduction de cet article, Damien, il a un peu du mal à rater ses films. Dans First Man, tout est travaillé avec une minutie d’orfèvre. Chazelle, qui ne change pas une équipe qui gagne, s’est encore une fois entouré de ses compères Justin Hurwitz et Linus Grinden, respectivement à la bande originale et à la photographie. On ne peut encore une fois que saluer le talent de ces deux artisans du métier.
L’image un peu graineuse du film, son aspect made in 60’s mais sans être rétro à tout prix apporte une véritable authenticité à l’histoire et à l’œuvre (par exemple, au moment de l’alunissage, les voix qui répondent à Gosling sont en fait l’enregistrement d’époque des mecs de la NASA). Quant à la musique, c’est encore une fois une réussite totale. Hurwitz a utilisé le thérémine, un des instruments préférés d’Armstrong, pour créer une bande son épurée et aérienne mais qui arrive à trouver un souffle épique aux moments clés. Tu noteras que coïncidence, la chanson que Neil Armstrong et sa femme Janet adorait à l’université s’appelle Lunar Rhapsody, tiré d’un album appelé Music from the Moon. Un air de prémonition, non ?
Le travail apporté au son est hallucinant, tant il nous transcende de façon sensorielle. Ici, même en connaissant l’issue, le bruit d’un boulon, de la carlingue, ou d’un bouton qui bipe suffit à te faire paniquer et à entrapercevoir le ridicule de l’être humain face à l’espace. Il suffit de peu pour mourir, et les bruits que font les fusées savent nous le rappeler. Bien joué Chazelle, tu réussis à mettre du suspense là ou cela semblait impossible.
Enfin, deux mots pour conclure et parler des acteurs, notamment les deux principaux : Ryan Gosling et Claire Foy.
Le personnage de Neil Armstrong va comme un gant à Gosling, adepte du jeu minimaliste et de l’intériorisation de ses interprétations. Mais n’en déplaise à ses détracteurs, jouer peu n’est pas jouer mal, et il le prouve encore une fois en nous livrant une prestation pudique mais puissante. En ce qui concerne Claire Foy, révélée au grand public dans la série The Crown, elle est magistrale en femme d’explorateur tout sauf potiche.
Depuis son premier film, on sait que Damien Chazelle est un réalisateur de talent. Toujours puissant dans sa manière de raconter une histoire, il arrive ici à parler de la conquête spatiale tout en proposant une histoire à hauteur d’homme. Avec First Man, il nous prouve une fois de plus que le génie n’attend pas le nombre des années. Récompensé en 2017 pour Lalaland, Chazelle sera certainement un bon favori aux Oscars 2019. En tout cas, First Man en a la carrure. Un coup de cœur ? Un peu mon neveu !