[Utopiales 2018] On fait l’bilan, calmement en se remémorant chaque instant [Partie 1]
Festival de science-fiction présidé par Roland Lehoucq depuis 2012, Les Utopiales se donne pour objectif de faire découvrir à un large public les enjeux associés à l’évolution des technologies. À la Cité des congrès de Nantes, tout au long des six jours que dure cet évènement, scientifiques et artistes sont amenés à échanger autour d’un sujet prédéfini. Pour cette édition 2018, le thème retenu était « le corps » et toutes ses problématiques dans un futur immédiat et lointain. Comment penser le corps pour les années à venir ? Comment imaginer l’avenir de l’humain et de sa structure même ? Qu’est ce que le corps futuriste ? Le transhumanisme ?… Par ce fourmillement de questions, Les Utopiales participent à bâtir un pont entre les penseurs et le public, le temps d’un festival. Une aventure humaine et cognitive riche en apprentissages et en découvertes.
Un incontournable pour les curieux, les fans de SF, et pour les trolls que nous sommes !
Jeudi donc, arrivée des éclaireurs. Des retrouvailles avec les glorieuses et affables « dames de l’accueil ». Une blessure par verre brisé pour Flavius au bout d’une heure. Lazylumps frappe un enfant. Heureux d’être là, comme un sentiment de retour à la maison. Lazylumps a cru bon d’apporter du rôti à l’ail ; maintenant quand on ouvre la porte du frigo c’est comme avoir Narfi qui nous rote à la gueule son pâté périgourdin. On chauffe nos neurones, la véritable aventure commence demain avec l’arrivée de Narfi et Graour ! Une aventure qui durera trois jours, et ou les trolls ressortiront forcément plus intelligents (partant de très bas fatalement…). Après ce chouette événement nous avons décidé de faire un petit bilan en deux parties dont voici la première. Un bilan ou nous avons privilégié nos véritables coups de coeur plutôt que de faire une analyse de toutes nos découvertes sachant que nombre de conférences sont consultables en ligne (nous vous invitons donc à aller voir de vous même) et qu’il y en aurait beaucoup trop à en dire.
La conférence « Soigner par les jeux »
Lazylumps
Je tiens tout particulièrement à revenir sur cette conférence qui a été pour moi un de mes immenses coups de cœur du festival. Le principe était simple : disserter autour de l’apport des jeux sur les dispositifs de soin. Avec plusieurs invités qui, dans leurs domaines et à leur échelle, incorporaient le jeu comme un véritable outil pour patients et professionnels. J’ai tout particulièrement accroché au discours de Jérémy Guilbon.
Jérémy est un infirmier psychiatrique qui a utilisé le jeu de rôle comme un moyen d’amener les patients atteint de pathologie mentale (psychoses, schizophrénie, psychotiques) à s’émanciper par le jeu en s’incarnant dans une image projetée, un corps imaginé, un personnage avatar d’eux même. En réutilisant Donjons et Dragons à des fins thérapeutiques il s’est rendu compte que c’était tout d’abord tout à fait faisable et que les patients réagissaient bien à cette transposition d’eux même, permettant même de verbaliser leur propre condition en prenant du recul sur leur situation. Évidemment, en temps qu’infirmier psychiatrique et Maitre du jeu, il était au courant des pathologies et des dossiers cliniques de ses patients, ce qui lui a permis en somme de « gérer » ses groupes de patients. Mais nous nous intéresserons plus à son projet dans les semaines à venir, car votre serviteur à été captivé par ce projet !
Il était accompagné de Sandra Bruel qui a repensé le jeu de rôle pour les personnes mal ou non-voyantes. Une prouesse qui permet de rattacher des publics handicapés autour d’un élément ludique, incorporant et stimulant. Coup de chapeau à Sandra, qui apporte une réponse concrète à l’inclusion par le jeu. Pierre Jannin est, lui, directeur de recherche de l’insern et à travaillé sur la VR (réalité virtuelle) et son utilisation par des professionnels de la santé. Il partait d’un questionnement simple : comment faire pour que les neurochirurgiens puissent s’entrainer sur un matériaux concret ? La réalité virtuelle est donc une réponse adaptée et qui a vocation à se démocratiser. Enfin, Karim Si-Tayeb, chercheur à Nantes (il s’intéresse à l’utilisation des cellules souches pluripotentes induites humaines (hiPS) pour comprendre le développement du foie et les maladies métaboliques) proposait son regard de scientifique sur ce débat de haut vol ou chacun apportait une pierre à l’édifice et faisait part de ses travaux à un public captivé par les projets de ces invités. Le tout était modéré par une main de maître par Romain Mckilleron qui a travaillé en tant que créateur sur un jeu de rôle virtuel : le programme ExperienceJDR.
Chapeau bas à ces créateurs qui œuvrent au jour le jour pour améliorer le quotidien de personnes trop souvent oubliées.
La nouveauté des Utopiales 2018 : l’Université éphémère
Graour
L’année passée, Roland Lehoucq (président des utopiales) nous informait de sa volonté de faire du festival « une sorte d’université temporaire où l’on réfléchit sur le futur« . Cette édition 2018 aura permis de concrétiser cette noble intention de façon convaincante. Durant toute la durée de l’évènement, le Lieu Unique a accueilli une série de conférences plus exigeantes et plus pointues que les traditionnelles « tables rondes ». Intitulée « Université éphémère », ce cycle amené à se perpétuer est l’occasion de défricher un sujet en présence d’un spécialiste, ou de découvrir les travaux d’un auteur dans un cadre privilégié.
Le choix d’un autre endroit que la Cité des congrès pour son déroulement fut une très bonne idée. Profiter au mieux d’une information relativement dense nécessite de bonnes conditions d’écoute ; à cet égard, il est profitable de s’éloigner de la foule et de son brouhaha pour une ou deux heures. La salle elle-même, de taille moyenne, permet de conserver un « format humain » et une relation de proximité avec l’intervenant, ce qui fut appréciable lors des séances de questions-réponses. Compte tenu de la programmation chargée du festival, votre serviteur n’a pu assister qu’à deux « séances », ce qui le chagrine quelque peu rétrospectivement : celles-ci ont été réellement passionnantes. Lors de la première, N. Jarrassé, chargé de recherche au CNRS, a exposé à une audience attentive l’écart persistant entre le fantasme de l’Homme augmenté, et les possibilités offertes par les dernières générations de prothèses et/ou exosquelettes. Vision presque pessimiste mais instructive d’un progrès scientifique encore titubant, cet exposé visait à battre en brèche le mythe de l’avènement prochain d’un « homme-machine ». Il faudra encore bien des efforts pour que la réalité rejoigne la fiction, et que l’on puisse manipuler son bras bionique à la façon d’un Edward Elric dans Fullmetal Alchemist… Pour l’heure, « réparer » l’humain, accompagner le handicap, semblent déjà des objectifs fort ambitieux.
Par la suite, c’est en compagnie de Denis Bajram (Universal War One), que nous avons exploré le rapport entretenu par le Neuvième Art à la rigueur scientifique. Grand habitué des Utopiales, artiste génial, puits de culture, l’auteur nous aura fait voguer d’Hergé à ses propres planches pour illustrer toutes les difficultés des créateurs à façonner des visuels et des histoires « scientifiquement crédibles ». Une superbe leçon sur les spécificités de la bande-dessinée.
Pour les plus curieux, sachez qu’ActuSF a enregistré une grande partie des conférences, gratuitement disponibles sur son site.
Des conférenciers animés, un public captivé, des sujets diversifiés, voilà qui devrait plaire à tous et participer à faire des Utopiales un haut lieu d’effervescence intellectuel. L’ « Université éphémère » est une excellente nouveauté qui témoigne de l’ambition et de la vitalité d’un évènement aspirant à être plus qu’un traditionnel festival de science-fiction !
La conférence Jurassic Park, un remède à la grande extinction ?
Flavius
Parmi la multitude bigarrée des conférences proposées en cette édition 2018 des Utopiales j’ai choisi, fort étonnamment, de vous causer de celle traitant de Jurassic Park, un de mes films préférés devant L’Éternel. Il faut dire que les intervenants fleuraient bon la qualité ; François Moutou, vétérinaire retraité, épidémiologiste et spécialiste de la faune, Adrian Tchaikovsky, non pas le compositeurs bandes de moules défoncées à la colle, mais l’auteur de SF multi-primé et Jean-Sébastien Steyer, paléontologue. L’essence du débat s’est rapidement portée autour du rapport alarmant de l’ONG WWF qui indiquait il y a peu que la Terre avait perdu autour de 60% de ses populations de vertébrés entre 1970 et 2014 ; la fiesta donc.
Mais passé le constat, les intervenants en sont venus à discuter l’affaiblissement des populations d’animaux sauvages à l’aune de la science et de ses potentialités avant-gardistes, au premier chef desquelles le fameux clonage dont il est question dans le film de Spielberg. Si assez souvent des effets d’annonce dans les médias déclarent de façon fracassante que l’on va recréer le mammouth laineux ou le dodo mauricien, les intervenants ont largement battu en brèche ces volontés pour se concentrer d’une part sur les apports de la génétiques dans la recherche (phylogénie moléculaire) et d’autre part sur la sauvegarde des écosystèmes qui tiennent encore à peu près debout. D’autant plus que la recréation d’espèce n’induit pas recréer leurs environnements, qui ont parfois tout simplement disparu, et surtout, leurs comportements sociaux. Ici aussi le travail de Crichton et Spielberg a été remis sur le devant de la scène puisque les dinosaures créés en laboratoire sont plusieurs fois présentés non comme de véritables dinosaures, mais comme des créatures recréées, composites d’une point de vue de l’ADN et, dans les bouquins, comme complètement aux fraises avec l’organisation sociale. En cela la SF possède permet de porter dans le grand public ce débat complexe. Il se tient même directement dans le premier Jurassic Park, autour d’un repas entre les protagonistes principaux et dans lequel Spielberg a en quelque sorte restitué les points de vue débattus.
Le débat s’est déroulé dans une ambiance très agréable, ponctuée par l’humour des trois intervenants ce qui est toujours utile quand on traite d’un sujet aussi tragique.
Des Courts-Métrages pour tous les goûts
Narfi
N’étant arrivé à Nantes que tard dans la soirée de vendredi, je n’ai pu profiter du festival qu’en la journée de samedi. Heureusement, alors que quasiment toutes les conférences sur le jeu-vidéo étaient déjà passées, il me restait encore une occasion de me remplir la panse avec une programmation qui me plait : les courts-métrages ! En tout cas, une partie de la sélection en compétition au festival, puisque, forcément, arrivant tardivement, j’ai raté les premiers qui étaient diffusés les jours précédents. Forcément.
Mais qu’importe ! Ni une ni deux, avec mon Lazylumps favori sous le bras, je partais à l’assaut d’une salle obscure pour me faire plaisir avec des courts-métrages abordant la question du Corps.
Et le corps sous toutes ses coutures, puisque la séance, composée de 7 courts différents, commençait par un film d’animation Canadien (« Ils sont quand même moins bons que nous en animation… » glissais-je chauvinement à Lazylumps), Papilloplastie. Ce dernier nous transportait dans un monde où la chirurgie plastique est la norme, où les sourires colgates et les peaux dégoulinantes de collagène sont le maitre-étalon. Dérangeant (intentionnellement) dans ses visuels, parfois drôle, parfois cheap, ce court ne nous aura pas marqué, si ce n’est par ces visages déformés et grossiers, venant nous rappeler que les canons de beauté évoluent, et que je serai sans doute considéré comme canon en l’an 2432.
Le court qui a suivi, appelé L’Auxiliaire, a immédiatement attiré l’attention de mon compère. Alors que résonnaient les premiers mots du métrage, Lazylumps se tournaient vers moi, ses yeux écarquillés remplis du désespoir de celui qui voit sa fin arriver. « Oh putain… » souffla-t-il « C’est français !… ». Horreur et damnation ! Le bougre avait raison. Une femme, un miroir, et un long monologue qui nous envoie de la poésie pas bien marquante dans la gueule. Bon, le décor du court était superbe (je parierais sur une centrale désaffectée, mais je n’aurai sans doute jamais la réponse), mais c’est bien tout ce qui, visuellement, m’a capté l’œil. Entre monologue d’exposition à n’en plus finir et des visuels qui ne soulignent en rien l’action ou les sentiments des personnages, j’avoue avoir eu un poil de mal avec le métrage. Qui faisait bien prétentieux pour pas grand chose. Après 9 minutes un peu longuette, je me tournais vers mon comparse : « J’aurais vu ça au théâtre, j’aurais sans doute trouvé ça excellent, mais là, niveau montage ou représentation y a rien… Puis merci le twist final qui réhausse pas vraiment le niveau… C’est balot ! »
Suivait un court très court de 4 minutes, Occupant, qui voyait un père de famille vivre une expérience bizarre. Bon c’était pas vraiment marquant. Si le scénario était sympa, la réal ne proposait pas vraiment d’originalité extrême (alors que merde, en 4 minutes il faut envoyer les idées là !), si ce n’est une resucée du Prince des Ténèbres de Carpenter sur la fin. Et en prime, une scène finale en guise d’ouverture qui ne rime à rien et désamorce complètement le final. Dafuck ?
Venait ensuite The Replacement, un court de 16 minutes. Le film raconte l’histoire d’un concierge qui voit son clone devenir président. Dans cette société, les clones sont ultras-répandus, et bon nombres d’entre eux ont remplacé les Originaux, leur laissant des postes pas bien efficace pour satisfaire l’égo et le désir de reconnaissance qui habite chacun d’entre nous. A partir de là, on explore la société, ses évolutions, on voit le désespoir de bon nombres d’originaux, et on profites d’effets de synthèses assez cool, d’une ville cyberpunk crédible, et de pleins de détails franchement réussis. On rigole, on réfléchit, on passe un bon moment. The Replacement est venu comme une grande bouffée d’air frais après des courts chelous où on avait toujours quelque chose à redire.
Suivait Space Flower, un court métrage mignon et naïf, qui nous présentait l’amour entre une femme isolé et un robot. C’était très con, mais aussi mignon, feel-good, et y a un passage en flash-back qui m’a fait dire « Jack !… » en souriant niaisement. Faut dire aussi que la réalisation faussement niaise et super-cheap marche du tonnerre ! Lazylumps et moi avons passé un bon moment, à se bidonner comme des bossus devant ce fabliau sur l’amour entre une femme du futur et un robot tout pété.
Et là, alors qu’on sortait tout heureux de Space Flower, le moral au plus haut pour la suite… BAM ! Film expérimental muet chelou fait avec des collages et des abeilles géantes qui vivent dans une ruche sur la tête d’une femme !!! Edge of Alchemy, le court muet qui nous prit de court, nous emmenait dans un monde étrange où la science donnait naissance à une créature femme à la chevelure faite d’alvéoles, et où les abeilles meurent en libérant un liquide rouge rubis dans un monde noir et blanc. Dire que c’était étrange serait un euphémisme. Du coup Lazylumps a détesté et a mangé son sandwich pour passer le temps en ponctuant de « OSKOUR » sa mastication outrancière. Personnellement, si le film était bizarre au point de me désarçonner, j’ai surtout eu du mal à percevoir la pertinence de la démarche artistique hors du fameux « art pour l’art ». Mais le film invitait à penser à pas mal de thèmes, l’opposition entre science et nature, la collaboration possible entre les deux, la mort des abeilles, le fait que la nature finira par nous abandonner. Bref, si le bizarre le disputait à l’arty, sur des thématiques qui nous sont peut-être passés au dessus de la tête, le film avait au moins le mérite de proposer une expérimentation qui menait à la réflexion. Si vous preniez le temps de décoller les yeux de votre sandwich, en tout cas.
Et finalement, dans la dernière ligne droite, est arrivé notre chouchou incontesté. Un film letton. Laura & Vineta.
Un agriculteur de pomme de terre se retrouve privé de ses champs et de ses précieuses patates après qu’une météorite se soit écrasée dans son champ. De là, notre valeureux fermier et ses amis bas du front vont tout faire pour récupérer et s’occuper des plants de patates, isolés du reste du monde par l’armée lettone qui a mis le champs en quarantaine. Et bordel, que ce film est drôle. Les moyens ne doivent pas dépasser 2 bouts de ficelles (littéralement, l’usage des ficelles est flagrant dans la scène finale du métrage) et pourtant, le film est rempli d’humanité, de gentillesse, et de naiveté touchante. Sans oublier une morale toute simple, fourni par le sourire final de notre agriculteur letton, l’air de dire « Il faut cultiver notre jardin ! » Que ce film fait du bien aux zygomatiques et à l’âme. Fauché, avec un côté cheap bien prononcé, Laura & Vineta reste un film rempli d’espoir sur la nature humaine, et ça fait du bien au milieu de la SF anxiogène ou alarmiste. À voir absolument si vous en avez l’occasion !
Le bilan partie 2 : http://www.cridutroll.fr/utopiales-2018-la-soif-de-decouvertes-partie-2/