The Terror : en arctique personne ne vous entendra crier
The Terror est à la base un roman de Dan Simmons, le grand Simmons, responsable du culte Hyperion. Et ces 1200 pages nous sont donc parvenues sur petit écran par le biais d’AMC, une chaîne qui flaire souvent les bons coups et qui a le mérite de tenter des expériences en donnant la parole à des créateurs et à des passionnés. Après leur début d’incursion dans le fantastique avec Walking Dead (qui n’était pas vraiment… FANTASTIQUE LOL, vous l’avez ? non ?), on n’en attendait pas moins de la poursuite de leur exploration.
Après les avoir longtemps remerciés pour Breaking Bad, la pluie de louanges va-t-elle reprendre avec leur nouveau poulain ?
Démons, folie et merveilles
L’histoire prend place en 1847, alors que deux équipages se lancent à la conquête du passage du Nord-Ouest qui permettrait à la Grande Bretagne d’ouvrir de nouvelles voies navigables vers la Chine. Disposés à affronter les frimas de l’hiver sans fin du pôle, les hommes sont à bord de deux machines qui ont déjà fait leurs preuves : Le HMS Erebus commandé par le décoré et arrogant capitaine John Franklin, leader de cette expédition et vétéran des glaces cruelles de l’arctique, et le HMS Terror dirigé par le capitaine Crozier, un homme qui semble usé par la vie. Après avoir tenté le diable par excès de zèle, les deux navires se retrouvent bloqués, emprisonnés par l’hiver qui va les immobiliser pendant plusieurs années sur ces terres de glaces arides. Tout au long des épisodes, nous serons autant auprès des hommes, qui luttent pour leur survie, qu’auprès des commandants qui ne savent que trop bien que leur survie dépend du hasard de la météo et de choix cruciaux.
Les hommes scrutent un horizon blanc, gelé, éclaté et infini. Les volutes de leur souffle chaud s’étiolent dans les bourrasques mordantes du pôle. Ils sont cent trente cinq. Cent trente cinq explorateurs, pionniers et aventuriers, cent trente cinq matelots, capitaines, calfats et autres à avoir vu dans ce voyage une opportunité. De gloire, de fuite, d’argent, de merveilles ? Chacun dispose de sa propre obsession, de sa propre quête, perdu dans le désert blanc. Ils sont cent trente cinq, mais ne vont pas le rester longtemps. Tout au long de ces 10 épisodes, on va suivre avec une tension croissante les peurs des hommes, les conflits naissants, les frictions et les délires.
En plus de la faim qui commence à gronder dans les estomacs, la solitude et la maladie vont casser petit à petit l’harmonie disciplinaire de tout ce beau monde, qui se retrouve piégé pour des années sur ce territoire hostile. Mais… car oui il y a bien un mais… dans le blizzard, le froid ne se révèle pas être le seul ennemi.
Petit spoil incoming : une créature, que les inuits nomment le Tuunbaq, va s’en prendre à ces hommes blancs bien trop éloignés de chez eux et qui se sont abîmés dans son royaume. Harcelé par ce démon des banquises, incarnation animale du pays des glaces et protecteur du territoire des Inuits, le moral des hommes va s’effondrer, déjà mis à mal par les mois de froid qui s’enchainent sur cette partie du monde. Ceux-ci vont petit à petit devenir les proies de cet animal fantasmagorique, qui va les traquer sur la glace et les attaquer jusqu’à les tuer un par un Fin du petit spoil
« Glacent mon cœur d’une langueur monotone… »
C’est donc le 26 mars sur AMC que l’Erebus et le Terror se retrouvèrent pris dans les glaces. Casting cinq étoiles, producteur bourré de fric (Ridley Scott), sujet vaste et renseigné, inspiré d’une histoire vraie et adapté du récit horrifique de Dan Simmons : l’aventure commençait bien pour la série. Et effectivement, le succès fut au rendez-vous. À mi-chemin entre le huis clos, la série d’horreur, de survie, d’exploration et d’aventure, The Terror a su capter tous les enjeux et la folie des expéditions d’alors : pour partir à la conquête de territoires mortels à bord de bateaux en bois, fallait avoir les balls. On se retrouve donc au plus près des hommes, véritables acteurs de leur propre gloire et de leur propre fin, on grelotte avec eux dans la peur de l’inconnu, enveloppé du froid glacial d’un environnement qui titille l’imagination de par son inaccessibilité et son immensité blanche, figée dans l’espace et le temps.
Toujours justes, vrais et avec un jeu d’acteur viscéral, les hommes vont s’embourber dans un hiver sans fin. La plongée dans la folie sera diffuse, pernicieuse et palpable, mais toujours présente et discrète sans jamais devenir putassière. D’autant que la série se retrouve avec des acteurs au zénith, parfaits dans leurs interprétations respectives : Jared Harris campe ici le Capitaine Francis Crozier, un alcoolique brisé par la vie qui se retrouve au commandement et va donc devoir endosser la responsabilité de la survie des hommes ; l’immense et touchant Tobias Menzies dans son rôle du Capitaine James Fitzjames ; le très juste Paul Ready qui joue un Docteur Henry Goodsir brillant et désespéré, un des seuls à comprendre réellement ce qui se passe avant tout le monde ; le méconnu Adam Nagaitis qui incarne le terrifiant Cornelius Hickey, malandrin qui a sombré dans la folie pure et qui emmène dans son délire une partie des hommes ; et enfin Ciarán Hinds que l’on connaît pour son rôle de César dans Rome et qui incarne le grand Capitaine Sir John Franklin, bouffi d’orgueil et d’assurance, responsable du fiasco.
On va frissonner avec eux, on va paniquer, flipper carrément, le tout dans une ambiance poisseuse et magistralement mise en scène (on aura rarement filmé et vu une banquise pareille au cinéma) qui nous permettra de nous immerger complètement dans cette aventure humaine à la lisière de la folie et où la mort sera leur plus fidèle compagne.
Assurément une immense réussite, The Terror sublime le genre de la série d’aventure, en tentant le pari d’un huis clos survivaliste et fantastique dans un environnement plus qu’hostile : la banquise. En une saison anthologique (terminée en dix épisodes), la série propose une magistrale mise en scène où le fantastique se diffuse dans le désespoir, principal sujet abordé dans cette petite merveille du petit écran. Portée par des acteurs en état de grâce, The Terror saura vous laisser accroché à votre fauteuil, grelottant et paniqué pour la vie de ces hommes perdus dans un enfer gelé pour un rêve de gloire et de conquête, et pourchassés par leurs démons intérieurs… et les hurlements du Tuunbaq !