Where the Water Tastes like Wine : Hobo goût d’Amérique
Where the Water Tastes like Wine, c’est un jeu qui nous a tapé dans l’œil avec ses différentes annonces. Promettant une narration atypique, celle d’un conteur collectionnant les histoires, WTWTLW (appelons le ainsi pour plus de commodité) se déroule au sein des États-Unis de la Grande Dépression, ce pays qui a vu les hobos parcourir ses terres à la recherche d’une vie meilleure.
Le jeu de Dim Bulb Games parvient-il à tenir ses promesses narratives ? Sting a-t-il la voix la plus classe du monde ? Where the Water Tastes like Wine pouvait-il nous épargner un titre aussi long ?
Par ici pour les réponses.
The less I have the more I am a happy man
Vous entrez dans une sombre masure. Des ombres s’affairent à jouer aux cartes. Une chaise est libre, et vous vous asseyez, tentant de percevoir à travers les reflets nébuleux les formes et les visages de vos adversaires. Mais rien. Aucun trait ne semble percer les ténèbres. Seuls leurs yeux brillent d’une lueur plus mystique qu’inquiétante. Rapidement, vous éliminez une à une les silhouettes présentes à la table. N’en reste plus qu’une. Vous avez une quinte flush royale. La victoire est certaine. Votre adversaire vous propose d’augmenter la mise en vous demandant de lui rendre un service si jamais vous veniez à perdre (l’inconscient, comme si son bluff maladroit allait marcher !). Vous acceptez.
Et abattez vos cartes.
Votre quinte flush a disparue. Ne restent que des cartes de Tarot, inutiles pour une partie de Poker. On vous a roulé. Et on, c’est la silhouette évanescente face à vous, qui semble soudain se solidifier. Ne reste qu’une tête de loup juchée sur un corps de gentleman. Un loup à la voix suave et charmeuse, et à l’accent anglais prononcé.
Le loup va alors vous confier une tâche apparemment simple mais finalement bien plus compliquée qu’il n’y paraît : il souhaite que vous lui racontiez des histoires. Des histoires vraies, des histoires incroyables, des histoires d’Amérique.
WTWTLW nous met dès lors aux commandes d’un vagabond squelettique, qui va, au fil de ses errements, découvrir les petites histoires qui tissent la toile d’une Amérique en pleine évolution. Perdu en plein milieu des États-Unis, il ne vous reste qu’à marcher longuement, et à explorer leurs moindres recoins pour vivre des aventures, ou rencontrer d’autres errants comme vous, auprès desquels vous échangerez histoires et bons mots autour d’un feu de bois. C’est même le principal but du jeu, puisque ces personnes, qui vous parleront petit à petit de leur histoire au fur et à mesure que vous leur déroulez les contes appris sur la route, sont en vérité les objectifs du jeu. C’est en effet leur vie que M. Loup souhaite que vous lui narriez.
Hobos Arts
WTWTLW étant un jeu de conteur, la narration se devait donc d’être particulièrement réussie. C’est heureusement le cas.
Chaque petite aventure que vous expérimenterez sur la route se verra enregistrée par votre protagoniste conteur, qui rencontrera au cours de son périple, pêle-mêle : mafieux, travailleurs, communistes, fantômes, Indiens, ou encore un cavalier hessien. Les histoires des States prennent vie sous nos yeux, les légendes urbaines aussi, et alors que l’on traverse certains villages, on s’aperçoit avec plaisir que ces scènes que l’on a vécues ou constatées ont été amplifiées par d’autres. L’homme à cheval quelque peu étrange que l’on avait croisé sur la côte Est, est devenue un cavalier sans tête dans la bouche des habitants d’Indianapolis. Et nous voilà avec une nouvelle histoire plus prenante et plus folle à échanger avec nos partenaires de soirée.
Cet amour de l’oralité se retrouve également lors de nos discussions nocturnes. Alors que vous parcourrez les États-Unis, vous apercevrez parfois des feux de camp. En vous reposant auprès de ceux-ci, vous vous arrêterez pour la nuit et engagerez la conversation avec un vagabond comme vous. Qu’il soit un pasteur, un ancien de 14-18, un mineur, qu’elle soit indienne, mexicaine ou une joueuse invétérée, ces personnes vous demanderont de leur raconter des histoires, celles-là même que vous avez glanées sur la route. S’engage alors un échange, vos récits contre des bribes de la leur.
Entre souvenirs du passé, récits pleins d’espoir, et histoires abominables, le type de contes que vous raconterez influera sur les réponses que vous fourniront ces pauvres hères. L’écriture est excellente, toujours avec une pointe de mysticisme, et les thèmes abordés sont variés. Mais on sent bien que Dim Bulb Games a en particulier voulu mettre en avant des cultures et des personnes que l’Amérique a peu à peu oubliée, voire parfois même effacée.
Tous ces récits sont de plus enchâssés dans un jeu à l’esthétique soignée, avec une direction artistique inspirée, et des musique à vous faire fondre les cages à miel. Les tonalités Blues vous accompagnent dans le Sud, tandis que la Country vous collera à la peau au sein des États du Midwest. Chaque personnage est attaché à un thème musical propre, en plus de tous posséder des voix connues des gamers, appartenant à d’excellents comédiens de doublages livrant une partition sans fausse note. Et autant vous dire que le voyage frappe par son ambiance très réussie, tant visuellement que musicalement.
Malheureusement, le jeu n’est pas dépourvu de défauts qui viennent saborder l’expérience, pourtant très plaisante et enchanteresse.
Where the Wine Tastes like Villageoise
Parce que des défauts, le jeu en a, et malheureusement pas que des gentillets qui ne posent pas trop de problèmes.
Dans cette catégorie, on trouve la technique dépassée du titre. Avec sa carte du monde dégueulasse, WTWTLW parvient tout de même à faire ramer régulièrement, et à provoquer des mini freeze sur une bécane qui fait tourner des jeux autrement plus soignés et gourmands. Bon ça c’est chiant et rageant, mais pas de quoi vous pourrir une expérience de jeu outre mesure.
Non, le vrai problème se situe ailleurs : dans la vitesse de déplacement de votre personnage. Extrêmement lent, déambulant dans une ‘Murica immense, notre squelette possède néanmoins un moyen d’accélérer (légèrement) la cadence de ses déplacements. Siffler. Ce qui donne lieu à un petit jeu de rythme sans difficulté et sans enjeu, mais ce n’est pas là le plus gênant. Le problème survient lorsque votre personnage se met à siffloter un air qui n’a rien à voir avec la délicieuse musique passant en arrière plan. Vous voyez le moyen idiot de saborder une atmosphère pourtant excellente ?
Ne reste alors que deux possibilités, soit se traîner lentement comme une larve en profitant de l’ambiance mais en pestant contre la lenteur de ce foutu squelette ; soit se magner un peu plus le trognon, en sacrifiant ses tympans sur l’autel des sifflements irritants et arythmiques de notre personnage.
J’élimine ici bien sûr de l’équation les autres moyens de transports, puisqu’il ne vous permettent pas de sortir des sentiers battus, dans le monde sauvage où se trouvent justement la plupart des contes à récolter. En un mot comme en cent : les déplacements sur la carte du monde, qui devraient vous permettre de vous imprégner du voyage et de profiter de l’ambiance, sont in fine d’un ennui mortel.
Enfin, concluons sur un défaut inhérent au design même du jeu. Tant dans vos actions, dans vos déplacements, que dans les mécaniques trop simplistes qui rythment vos interactions au coin du feu, WTWTLW se caractérise par une répétitivité très prononcée, qui arrive parfois à faire passer les phases de jeu les plus intéressantes pour des corvées. Un véritable comble.
Bien heureusement, tous les dialogues sont écrits avec finesse et avec âme, faisant bien souvent oublier ce gameplay boiteux au profit de la poésie d’un vagabond étranger en son propre pays.
Grande errance à travers les États-Unis, WTWTLW nous donne à explorer les histoires d’un pays en mutation, des histoires bien souvent oubliées, celles de minorités et de réprouvés. Poétique dans sa narration et dans son amour des traditions orales, génial dans sa direction artistique ou dans ses musiques folk, country et blues, WTWTLW se perd malheureusement dans ses systèmes de jeu et dans certains choix de design malheureux.
À déconseiller à ceux qui cherchent un jeu au gameplay ciselé donc, mais à ne pas fuir pour autant si la répétitivité des tâches et la lenteur du voyage ne vous effraie pas. Car s’il est parfois décevant là où il devrait proposer un appel au voyage, le jeu de Dim Bulb Games nous emmène néanmoins dans une traversée des States à nulle autre pareille, où les oubliés d’hier content leurs histoires et leurs vies.
À vous de les garder précieusement, et de les transmettre à d’autres.