Les Utopiales : Premier Contact (jour 1)
Tels les quatre cavaliers de l’Apocalypse, après un périple dantesque, les Trolls s’élancent à l’assaut du festival des Utopiales de Nantes.
Au programme, de multiples conférences tout au long des différentes journées. Elles traitent de sujets en lien avec le thème de cette édition 2017 : le Temps. Les sciences et la fiction sont convoquées à parts égales, certaines tables rondes nécessitant franchement de bonnes connaissances en physique théorique (pauvre Flavius) tandis que d’autres sont plus pépères. Quoi qu’il en soit, nous avons voulu vous donner un aperçu de ce que nous avons découvert dans les allées du festival de SF nantais, en sélectionnant chaque jour les éléments que nous avons le plus appréciés. Parmi les trucs biens qui ne serons pas évoqués dans ces lignes : une chouette rencontre avec J-C. Mézières, l’un des créateurs de Valérian et Laureline, ou encore un débat intitulé « Le Futur, pourquoi y aller? » à l’issue duquel nous n’étions plus vraiment certains de vouloir prendre connaissance de ce qui se passera dans 20, 50 ou 100 ans. L’ignorance a ses vertus.
Rencontre avec Fibre Tigre, le créateur d’Out There
Avec Fibre Tigre
Par Lazylumps
À la vue du programme pléthorique des Utopiales j’étais tel un enfant à Noël. Et voilà t-y pas que le jour de notre arrivée s’illustrait Fibre Tigre, le créateur et scénariste du jeu Out There, pour une conférence autour de l’univers de son jeu qui depuis trois ans, a pété les charts avec plus de 750.000 ventes. En plus de ça, le studio Mi-Clos proposait aussi une exposition des artworks de leurs graphistes et artistes, en plus d’un accès à leur dernière création, Out There Chronicles Ep. 2. Une belle plongée dans l’univers de Out There avant de rentrer dans les détails avec Fibre Tigre. Petit récap du bouzin avec un vieux Let’s Play de qualitaaaaay du Cri :
Durant une heure le scénariste nous proposera une « Behind the Scene » sur la création de l’univers de Out There et sur sa narration. Sa volonté première était de proposer un voyage à la Star Trek ou le joueur ferait fi des gros guns et des explosions pour se laisser transporter par « l’émerveillement de la découverte » où « Découvrir, Survivre et Comprendre » auraient été les maîtres mots. Inspiré par le mythe d’Ulysse, Fibre Tigre voulait amener le joueur dans un univers où la destination importait moins que le voyage. Avec ses 350 « aventures » ou « événements » jouables, le joueur se devait donc de survivre en apprenant de l’univers.
Pari réussi pour le Out There de Mi-Clos studio et pour Fibre Tigre, qui, aujourd’hui, fait partie des créateurs les plus prometteurs de l’hexagone.
En plus de nous expliquer les méandres de la création, Fibre Tigre nous lançait aussi des indications sur ses futures créations qu’il annonce comme des « expérimentations qui transcenderaient le gameplay » : Sigma Theory, et Antioch : Scarlet Bay un jeu d’enquête à deux joueurs qui devrait sortir très bientôt.
En bref, on retiendra plus de cette conférence l’exploration des rouages d’Out There, un jeu pertinent et définitivement innovant, que la révolution espérée, discutable et discutée des projets à venir de ce cher Fibre Tigre. Nous lui souhaitons en tout cas de réussir dans son entreprise qui a le mérite de tenter le coup, et de proposer une approche bien trop rare dans le jeu vidéo contemporain : vivre et faire vivre le « jouer ensemble » autour de projets fédérateurs et ambitieux. Une chose est sûre, nous suivrons avec beaucoup de curiosité les évolutions de ce créateur français.
Prédire le droit ou quand Minority Report éclaire les évolutions du droit pénal
Avec Ugo Bellagamba et Bertrand Bonnet
Par Graour
Ce papier n’évoque qu’un des thèmes évoqués dans la conférence et ne prétend nullement être un compte rendu exhaustif.
Minority Report (2002) n’est pas le moins intelligent des films de l’immense Steven Spielberg. Se déroulant à Washington dans un futur point si lointain, l’adaptation cinématographique de l’œuvre éponyme de K. Dick (encore lui) se base sur une hypothèse simple mais lumineuse : en 2054, il sera possible de prédire les crimes à venir. Les précogs, sortes d’humains mutants, sont en capacité de fournir les informations nécessaires aux enquêteurs afin que ceux-ci empêchent toute infraction d’être accomplie. Ainsi, outre la jolie frimousse (hmmm…) de Tom Cruise, le travail de Spielberg a l’avantage d’offrir une vision intéressante de ce que pourrait être la sécurité dans quelques décennies.
À première vue, le lien entre la thématique de la conférence, à savoir « prédire le droit » et Minority Report parait relativement ténue. En réalité, ce type d’œuvre offre une perspective très actuelle sur la façon dont la science-fiction met en lumière les évolutions juridiques en cours.
Soulignons tout d’abord que la prédiction dans un tel domaine semble être une gageure ; comme le soulignait Ugo Bellamba, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, le droit accompagne souvent les changements sociaux plus qu’il ne les amène. Cet « effet retard » rend complexe toute spéculation. Cependant, face aux transformations rapides de nos modes de vie, face au progrès technique et scientifique, l’inertie des normes est de plus en plus intenable. La demande sociale tend à exercer une pression forte pour que la loi anticipe les évolutions les plus profondes, par exemple en matière de bioéthique.
En ce qui concerne la sécurité des individus, cette attente est encore plus prégnante ; pourquoi en effet ne pas exploiter les dernières innovations afin d’assurer une protection maximale des uns et des autres grâce à un droit « scientifisé » et donc plus efficace ? Cette « scientifisation », selon la dénomination d’Ugo Bellamba est ainsi au cœur du droit pénal et des règles qui cherchent à éviter la récidive. Depuis Beccaria, le droit pénal est fondé sur un tryptique culpabilité/peine/responsabilité qui consacre une certaine vision de l’individu en donnant toute sa place à l’idée de libre arbitre. En des termes plus profanes, je suis condamné parce que j’ai commis une infraction, infraction que l’on peut m’imputer en tant que sujet doté d’une liberté au sens métaphysique. En revanche, à partir du moment où l’on cherche à prévenir l’occurrence des crimes et délits, c’est une toute autre conception du droit pénal qui s’impose. Pour ce faire, on a tendance à s’appuyer sur les progrès des sciences humaines, comme la psychologie ; c’est en ce sens que l’on peut parler de « scientifisation du droit ».
Tout comme dans Minority Report, l’enjeu n’est plus d’enfermer les criminels le plus rapidement possible, mais bien d’éviter que ceux-ci ne commettent leur forfait, à plus forte raison lorsqu’ils sont récidivistes. Ce changement de paradigme tend à transformer de très fortes probabilités (il est probable à 90 % que M. X passe à l’acte dans les deux ans) en certitude (cette probabilité est tellement élevée qu’il vaut mieux ne pas remettre en liberté un tel individu) qui questionne la vision humaniste que nous avons de tout un chacun. Devrions-nous sacrifier la possibilité, même infime, qu’un récidiviste choisisse de ne pas sombrer une nouvelle fois sur l’autel de la sécurité individuelle et collective ?… Nos sociétés tendent de plus en plus à estimer que la réponse à cette interrogation doit être positive. C’est du moins ce dont les évolutions législatives récentes attestent (voir par exemple la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté) comme le souligne Mireille Delmas-Marty. Le débat reste quoi qu’il en soit ouvert et l’intérêt d’une œuvre comme Minority Report (en plus d’être un bon film) est de nous y initier. Cette conférence aura ainsi permis de témoigner de l’importance de la science-fiction pour penser les évolutions plus ou moins visibles de la matière juridique, en les saturant, les auscultant dans des univers imaginaires loin d’être déconnectés de toute réalité.
Anniversaire de la révolution d’octobre
Avec Yann Olivier, Patrice Lajoye, Denis Bajram, Aymeric Seassau, Xavier Mauméjan
Par Flavius
Arrivé un peu en retard je n’ai pas saisi le début des interventions et il m’a donc fallu quelques longues minutes pour prendre le train en marche. Néanmoins le titre m’avait intrigué en cette période d’anniversaire de la fameuse révolution russe de 1917. Il fut question dans un premier temps de la place de la politique dans la bande-dessinée française. Les intervenants ont abordé le cas emblématique du magazine Pif dans le contexte de l’entente entre communistes et catholiques dans la lutte contre l’arrivée des Comics Book américains sur le territoire. Du coup cela semble avoir entériné un retrait partiel du politique dans la BD.
Mais de façon plus générale la question des idéologies dans le 9ème Art n’est pas resté lettre morte. Hors du territoire, la science-fiction russe a énormément discuté son rapport au domaine des idées quant à savoir si elle devait seulement représenter l’idéal de l’avenir radieux communiste ou alors le processus tendant vers cet avenir, en assumant le fait qu’il peut mener à l’échec. L’œuvre des frères Strougatski a été longuement abordée et en particulier Il est difficile d’être un dieu, livre de science-fiction racontant l’établissement sur une planète lointaine d’un régime totalitaire dans une ambiance médiévale. Des humains de la Terre constatent sans pouvoir intervenir la montée de l’oppression qui est un décalque de la montée des milices nazies en Allemagne et également une critique à peine voilée du régime bureaucratique soviétique. Or, la fin de l’URSS et de l’exaltation utopique qu’elle a entretenue paraît avoir provoqué la montée des dystopies, comme réaction cynique à un monde désenchanté.
L’univers et après, ou avant ?
Avec Marc Lachièze-Rey, Roland Lehoucq, Gerard Klein, Raphael Granier de Cassagnac.
Par Flavius
La réflexion d’ensemble, très technique, nous a un peu laissés en PLS et je crois que quelques bouts de ma pauvre cervelle sont encore collées sur la moquette de la salle. Effectivement, les intervenants, au moyen de leurs compétences très pointues dans leurs divers domaines ont tenté de cerner un au-delà hypothétique du temps et de l’espace. Par exemple essayer d’admettre un début à l’univers dans un référentiel où le temps et l’espace n’existent tout simplement pas. Comment admettre un instant de création originel quand la notion même d’instant ne peut avoir d’existence ?
Ils ont tenté de figurer la « soupe de particules » originelle qui constituait… Enfin… Qui était… Enfin… Non, c’est pas vraiment cela… Vous voyez, ce qui vient avant l’univers…? Merde… Cela vient avant le temps donc cela peut difficilement être posé en tant qu’antériorité puisque l’espace-temps n’existe pas… Ouille… Claquage cérébral. De la relativité d’Einstein à la physique quantique la plus abstraite ils ont déchaîné leur esprit et j’avoue que moi, pauvre petit troll, je fus emporté par le torrent et j’ai été rejeté sur la rive tremblant, égaré, cherchant le regard torve mais bienveillant de mes camarades. Au loin retentit le cri féroce du Narfi en rut qui hurlait à la face du monde qu’il voulait absolument une affiche de Die Hard. Je me sentis rassuré par ce matérialisme consumériste régressif et ne pus m’empêcher de couvrir mon camarade simple mais rassurant d’un regard compatissant.
En clair ce fut extraordinaire, une expérience de pensée aux limites de nos capacités avec des virtuoses en roue libre.
Mesurer le temps
Avec Sébastien Steyer, Lucile Beck, Roland Lehoucq, Raphael Granier de Cassagnac.
Par Flavius
Après tant d’émotions intellectuelles j’abordais avec fébrilité la conférence suivante.
Chacun y a expliqué les méthodes et les enjeux de la mesure du temps dans sa propre discipline. Raphael Granier de Cassagnac a ouvert le bal en décrivant les mesures de temps en physique des particules. Prime pour lui la vitesse de la lumière comme valeur référence et surtout son temps de déplacement infinitésimal à l’intérieur de câblages. A cette échelle de l’infiniment petit, il s’intéresse à des durées de vie de particules qui, se déplaçant à la vitesse de la lumière, ont de notre point de vue une existence dilatée. C’est ce genre de phénomène qui nous laisse entrevoir l’idée qu’un voyage humain à cette vitesse démentielle ferait que notre temps dans ce référentiel serait aussi dilaté. En faisant une longue boucle dans l’espace nous laisserions le temps terrestre s’écouler plus vite et ainsi, cela nous ouvrirait les portes du voyage, sans retour, vers l’avenir.
Là-dessus Roland Lehoucq nous exposa ses mesures du temps en astrophysique. Bien entendu cela postule de passer à des échelles bien plus considérables, celle des distances dans le système solaire, dans notre galaxie et dans l’univers observable entier. Bien entendu l’unité de mesure des distances est aussi une unité de temps, c’est l’année-lumière, c’est-à-dire la distance parcourue par la lumière en une année. Mais bien vite, cette mesure des distances bascule dans une mesure de durée ; nous percevons en effet les images passées des objets de l’univers en fonction du temps que la lumière a mis pour nous en parvenir, de 500 secondes pour le soleil à des millions voire des milliards d’années. Mais le temps très court est aussi concerné, celui de la durée de fusion de trous noirs par exemple.
Pour Lucile Beck, experte en datation pour l’archéologie, la mesure du temps est celle de la désagrégation de particules radioactives qui permet d’obtenir des mesures relativement précises. C’est le fameux carbone 14 ou encore le potassium 40 qui nous permettent tous deux de remonter dans l’Histoire et dans la préhistoire humaine.
C’est alors que Sebastien Steyer prit la parole pour élargir ces mesures à des échelles de temps plus en accord avec sa profession de paléontologue. À ces échelles bien plus longues c’est la biostratigraphie qui s’applique, utilisant des comparatifs d’espèces bien connues dont les datations ont été faites via des mesures de la désagrégation de matériaux comme le plomb ou l’uranium.
Voici donc un patient inventaire des mesures du temps dans plusieurs sciences, et sur les correspondances qui existent parfois entre elles.
Notre voyage à Nantes fut rendu possible par le soutien financier de nos tippeurs, grâce auxquels nous avons pu payer le voyage, et notre hôtel. Merci à eux !
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