The Expanse : la guerre froide des étoiles
Dans le vaste paysage des créateurs, et producteurs de séries de qualité, tout le monde connaît HBO pour ses séries dark fantasy et ses boobs (GoT), AMC (Breaking Bad), BBC Two (Peaky Blinders), ou encore FX (Fargo)… Mais il est vrai que c’est bien la première fois que nous, trolls, nous laissons happer par une production de la modeste chaîne dédiée au fantastique : Syfy. D’ordinaire malheureusement connue pour pondre des séries moyennes, voire nanardisantes par moment, force est de constater que la chaîne a décidé de passer la vitesse supérieure et de tenter un pari, un investissement.
Adaptée des bouquins éponymes du duo d’écrivain Daniel Abraham et Ty Franck sous le pseudo James S. A. Corey, The Expanse est un space opéra profond où les complots et la science fiction cohabitent à merveille.
Syfy lance une OPA sur l’espace
L’histoire prend place 200 ans dans le futur. L’Homme a définitivement décidé d’aller conquérir les étoiles, faute de places et de ressources sur Terre. Conséquence : le système solaire est entièrement colonisé. Les nations terriennes sont régies par les Nations Unies toutes puissantes. Mars est une République indépendante, qui commence à faire entendre les tambours de guerre à force d’être ralentie dans son processus de terraformation par la Terre (la belle bleue grelotte de trouille quant à une éventuelle guerre ouverte, toute effrayée qu’elle est du développement militaire de cette ancienne colonie éloignée et hors de contrôle). Enfin, entre ces deux puissances planétaires se trouvent les Ceinturiens (Belters en anglais) : une colonie d’ouvriers exploitant une ceinture d’astéroïdes gorgée d’eau solide : ressource indispensable, et à la Terre, et à Mars, qui ne se privent pas pour exploiter gentiment les travailleurs (SALAUDS !). De cet esclavage futuriste et des cendres des répressions sanglantes de mineurs grévistes est née une faction anarchiste l’APE (OPA en anglais, pour Outer Planets Alliance, tmtc le jeu de mot du titre OLOL) qui milite, disons… activement, pour les droits des Ceinturiens, à coups de sabotages et d’attentats.
La trame commence quand l’équipe du raffineur d’eau le Canterbury reçoit, en revenant d’une mission d’extraction, un signal de détresse d’un vaisseau à la dérive : le Scopuli. Jim Holden, alors officier en second décide malgré les avis contraires de sa hiérarchie de porter secours en montant une équipe de sauvetage. C’est le début des emmerdes. Sur la ceinture d’astéroïdes, à Cérès (énorme astéroïde colonisé et principal centre économique de la Ceinture), on suit parallèlement l’investigation du détective Josephus Miller de la police privée Star Hélix, qui est missionné pour retrouver une héritière de riches industriels : l’activiste Juliette Mao. Ses investigations vont petit à petit se croiser avec la destinée de l’équipage de secours et les emmener vers un point de non retour et une destinée sans pareille. Je n’en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher les surprises !
Voilà pour le background. Vous l’aurez compris, c’est dense. Et c’est dense dès les premiers instants. Alors surtout attachez votre ceinture, et tenez bon, je vous assure que le flot d’infos que l’on se bouffe les trois premiers épisodes fait aussi partie du charme de la série. Eh oui, là au moins, on nous immerge franco de porc dans un univers. Le tout sans nous prendre pour des demeurés de l’intrigue qui paniqueraient quand il y a plus de six lignes de fond pour poser un scénario concret.
Un hardboiled des astres
La première saison de The Expanse entremêle les genres avec beaucoup de finesse. Quand on suit l’équipage de secours du Scopuli, on verse dans le film spatial, avec son chef d’équipage charismatique (un Jon Snow d’occasion nous dirait Narfi), sa belle et son camarade/homme de main/brutasse qu’elle seule maîtrise, son navigateur surdoué… Bref les poncifs sont respectés et aussi bien le rythme que l’enquête spatiale tiennent en haleine le spectateur. D’autant que l’on comprend très vite qu’il se passe quelque chose d’énorme qui dépassera très vite les protagonistes eux-mêmes.
Tandis que lorsqu’on suit Miller, c’est directement dans une sorte de polar hardboiled des étoiles que The Expanse nous envoie avec justesse. On y retrouve la figure archétypale du flic désabusé qui poursuit une belle évanouie dans la nature au sein même d’une société qu’il ne comprend plus et qui ne le comprend pas lui-même. Accompagné par un bleu Terrien qui va plus servir de faire valoir et de miroir, on se rend très vite compte que Miller est entre deux mondes et vit une double absence (deux fois que je convoque la sociologie en deux articles, je me ressource aux racines ! Abdelmalek Sayad si tu m’entends). Jamais complètement détective au service de l’ordre, jamais complètement Ceinturien : il incarne à la fois l’idéal de la justice de Star Helix tout en étant le symbole, l’emblème vivant d’une société terrienne profondément rejeté par la population de la ceinture. D’un autre côté il reste aussi une sorte de laissé pour compte au royaume des paumés qui ont la haine. Lui-même Natif, il se doit d’endosser l’uniforme de l’ordre établi tout en reniant sa propre peau. Car Miller, à la différence de son co-équipier formaté, connaît les Ceinturiens, vit ici, fait partie de la ceinture aussi bien que ceux qu’il côtoie tous les jours.
Embarqué dans une mission qui va lui donner les codes et les clés pour mieux comprendre son monde et les ficelles qui se jouent en coulisse, on va petit à petit suivre sa transformation morale. SPOIL Une transformation qui se fera aussi ressentir sur son propre physique : lorsque sa « terre » est mourante, contaminée par une molécule inconnue qui tue toute la population, il se retrouve irradié et souffre avec elle. Quand il renie définitivement sa fonction de détective et assume ses valeurs, il se coupe les cheveux dans une scène lourde de sens : il devient la rage, il endosse un nouveau costume : celui de la révolte ! SPOIL
Jusqu’à l’usage du chapeau, brillante idée pour marquer la dualité du bonhomme. Miller porte en permanence un chapeau Terrien, qui le rattache immédiatement à la Terre par l’appartenance tout en marquant par le symbole son rôle à jouer ici.
Il est « LE détective » et cet objet rappelle immédiatement les personnages types du hardboiled pulp dans la pop culture (Coucou Humphrey Bogart !). Le chapeau est aussi définitivement une entrave que Miller s’oblige à porter toujours dans cette logique de recherche identitaire. Nombre de Belters lui font d’ailleurs remarquer ce détail qui leur saute aux yeux et qui n’a pas sa place dans la ceinture. On comprend donc aisément le potentiel narratif d’un tel personnage qui, rien que pour la prestation de son acteur et par la subtilité de l’écriture du personnage, mérite que l’on s’intéresse à The Expanse. Mais ce n’est pas tout, oooh non ce n’est pas tout mon petit bonhomme !
Une série bien plus profonde qu’il n’y parait
Là où The Expanse tape aussi juste c’est sur le développement intrinsèque des différentes cultures et de leurs différences qui sont subtilement et ingénieusement distillées à l’écran. Martiens, Terriens ou Ceinturiens, tous sont aisément reconnaissables dans leurs spécificités sans pour autant qu’un élément du scénario pointe le doigt dessus.
Le langage : Oi Pampaw !
Les accents à couper au couteau des Ceinturiens mettent en valeur la multiplicité des profils des habitants de la ceinture. Composés de plusieurs « tribus », les astéroïdes sont le symbole du melting pot et du multiculturalisme qui font à la fois la force et la faiblesse géopolitique des Ceinturiens. Ils sont ensemble dans leurs différences, ils ont conquis les étoiles ensemble, faisant fi de leur nationalité terrienne, mais leur harmonie reste précaire. On comprend très vite qu’ils ont développé leurs propres coutumes au fil du temps et que la langue évolue avec eux et les générations de natifs qui émergent. En anglais on parle même du « Belter Creole », une langue qui s’est développée en même temps que l’expansion sans frontière de l’humain dans le système solaire.
L’apparence
Les Belters sont des keupons tatoués, entre teufeurs et hippies-tribaux ; ils portent sur eux leur appartenance aux différentes factions/tribus de la Ceinture. Ils se démarquent aussi par leurs métiers. Ils sont nombreux en tenue de travail, en bons prolétaires spatiaux. Ils sont aussi marqués physiquement : du fait de la gravité zéro sur la ceinture, les natifs sont beaucoup plus grands que les Terriens ou les Martiens. Pour ces derniers, on peut noter que tous ceux que nous croisons (pour l’instant) dans la série sont en uniforme suivant la logique quasi martiale de leur planète. Tandis que les Terriens sont assez classiques. A noter tout de même le personnage de Chrisjen Avasarala, la sous-secrétaire adjoint pour les Nations Unies qui est très « hindouisée »… En effet selon les livres, elle devrait être tout simplement Indienne (ce que l’on peut aisément imaginer : l’Inde étant le sous-continent le plus peuplé à l’heure actuelle, il semble clair que dans 200 ans, le profil type du Terrien subisse un lifting du sud est). Shohreh Aghdashloo est, certes, efficace dans son rôle, mais dommage que le casting ne suive pas dans la série. Une actrice indienne aurait été du meilleur effet !
En plus de ces détails d’ambiance bienvenus, c’est bien le scénario qui embarque le spectateur. Celui-ci, loin d’être manichéen, est bien plus intense et profond que ce qu’il n’y parait dans les premiers épisodes : on se retrouve dans un space-opéra intelligent et crédible. D’autant plus quand la série prend un tournant carrément assumé dans la science-fiction pure, à la fin de la première saison, et que les intrigues géopolitiques s’y entremêlent très bien dans la deuxième saison. Au fil des épisodes, ce scénario est sublimé par des acteurs terriblement justes et concernés par leur rôle. Mention spéciale évidente au sous-estimé Thomas Jane (que l’on a pu voir dans The Mist et Punisher) qui trouve ici un rôle de détective désabusé taillé pour lui ainsi qu’à Jared Harris (vu dans Mad Men, Sherlock Holmes 2) et l’accent incroyable de son personnage Anderson Dawes, le chef de gang extrémiste de l’APE qui se verrait bien leader de la rébellion. Un petit bémol peut tout de même être formulé à l’encontre de certains personnages plus ou moins secondaires que l’on oublie vite et ne servent pas à grand-chose.
D’autre part, je me suis un temps questionné sur la pertinence de « Bobbie » (joué par Frankie Adams), le sergent Martien de la saison deux. Tout d’abord surjouant à mourir son rôle de petit soldat mais qui, petit à petit craquelle son vernis militaire au fur et à mesure que l’intrigue avance, révélant sa personnalité plus profonde qu’aux premiers abords… On est là face à un personnage tout d’abord fade comme un lundi de reprise de travail, mais qui prend une réelle importance au fur et à mesure que l’on avance dans la saison 2. Ouf !
The Expanse se paye aussi le luxe d’exploser la rétine à chaque plan spatial. C’est beau, très très beau et c’est bien filmé. Quelques images sont même sacrément bien trouvées ; entre subtilité et élan inspiré des réals, on en prend plein les mirettes. La saison deux confirme d’autant plus cette remarque avec le temps passé dans l’espace !
Digne héritier de Battlestar Galactica ; teinté de l’ambiance à la Blade Runner ; on se trouve ici face à un excellent space opéra qui pourrait toucher le « culte » s’il reste sur cette lancée. Vous l’aurez compris, l’estampille coup d’cœur me brûle les doigts (« comme d’hab » me diront de sales trolls collègues) mais j’attendrai de voir sur la durée ce que peut devenir The Expanse. Loin de révolutionner le genre, la série a le mérite de proposer un scénario de très bonne facture tout en emportant le spectateur dans les intrigues spatiales qui prennent aux tripes. Je recommande plus que chaudement.
un chef d’œuvre!! merci Amazon d’avoir sauver la série pour une saison 4!!