Zootopie, un Disney brillant
Disney, cette usine à rêve bien connue de tous, vient de nous surprendre. Aussi incroyable que cela puisse paraître venant d’une compagnie tout de même spécialisée dans le consensuel et le grand public, en sortant de ses studios le magnifique Zootopie, la firme à la souris nous a tous pris de court. Aussi belle qu’intelligente, aussi drôle qu’inattendue l’histoire de Judy la lapine-flic n’est pas près d’être oubliée !
Avant de commencer, il faut être prévenu : cet article contiendra des spoils assez énormes sur l’intrigue du film donc si vous n’avez pas vu le film barricadez-vous, fermez les yeux, quittez cette page, attachez votre ceinture, éteignez vos portables, les issues de secours sont situées à l’avant au milieu et à l’arrière de l’appareil et n’hésitez pas à demander de l’aide à une hôtesse pour tout renseignement supplémentaire.
C’est l’histoire d’une lapine…
Les premiers moments du métrage nous présentent notre héroïne Judy, qui, à 9 ans, explique à ses parents ainsi qu’à toute son école que son rêve c’est de devenir policière, ce qui ne manque pas d’attirer l’hilarité chez les spectateurs de la scène ainsi que la terreur chez ses parents. En effet personne n’a encore jamais vu de lapin flic. Ce job est réservé aux gros animaux : éléphants, rhinocéros, ours polaires…
Ah oui… je n’ai pas précisé, dans le monde de Zootopie, les humains n’existent pas, les singes non plus d’ailleurs. (C’est un détail très appréciable qui renforce vraiment l’immersion dans cet univers zoologique, on sait d’emblée que les hommes n’y apparaîtront jamais et à l’instar des cartoons le réalisme est tout de suite mis de côté. L’ensemble est donc plus crédible et permet de créer bien plus de situations comiques.) Ce sont donc les autres mammifères qui ont conquis la planète et qui se comportent comme des humains : ils s’habillent, conduisent des voitures, paient des impôts et ont construit des villes, une en particulier, Zootopie (Zootropolis en version originale), qui sera le centre de l’intrigue du film.
Suite à cette introduction, nous suivons ce petit lapin dans des aventures chères à Disney depuis que John Lasseter est arrivé à la direction des studios d’animation : une petite aventurière bourrée d’idéaux qui va surmonter toutes les épreuves grâce à sa volonté infaillible pour finalement réaliser son rêve. Et en passant on en profite pour faire passer un message féministe super cool, où on la voit péter la tronche d’un rhino bien macho qui fait environ 1000 fois son poids, arriver première à l’académie de police etc… Histoire de bien faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on est une femme ou petit ou un lapin qu’on ne peut pas réussir ou qu’on ne peut faire que moins bien qu’un homme (rhino/ours blanc/lion..) grand et fort. C’est donc forte de cet espoir et de cette conviction que la voilà mutée au commissariat central de Zootopie, la ville où tout est possible.
Cette ville, c’est l’occasion pour Disney de nous en mettre plein la vue, avec sa zone polaire, sa zone aride, tropicale.. Où tout est à l’échelle des usagers (des minis immeubles pour souris avec des minis voitures ou à l’inverse des voitures gigantesques pour girafes.) Le spectateur est en extase face à cette démonstration technique de haut vol mais contrairement à ce qu’on disait à propos des Nouveaux Héros, cette fois Disney n’a pas privilégié la forme au fond. Chaque détail renforce également le côté fables de La Fontaine où chaque animal symbolise vraiment des archétypes humains et les adaptations de la ville à chaque espèce n’est pas seulement un moyen de faire rire le public mais aussi de marquer réellement les différences entre les individus qu’on croise dans la ville. Et oui cette fois on insiste sur les différences entre les gens tout en montrant une sorte d’harmonie, laissant subtilement comprendre qu’on peut bâtir une cité avec des personnes de tous horizons sans que pourtant ce soit le chaos.
L’arrivée dans la ville est de même l’occasion de véritablement commencer l’intrigue du film, car en effet le métrage n’est pas juste la success story d’une lapine-flic c’est aussi une enquête qui va changer la vie de Judy et le regard du spectateur. Cette investigation concerne la disparition de 14 mammifères, tous prédateurs. Le dossier que va récupérer notre héroïne après une scène où Disney s’auto-référence de la meilleure manière se consacre plus particulièrement à Mr Otterton, une loutre fleuriste qui fait partie des disparus…
C’est aussi l’histoire d’un renard…
L’enquête va pousser Judy à se tourner vers Nick Wild, un renard escroc qu’elle a croisé un peu plus tôt dans le film car celui-ci prétend connaître tout le monde. Le spectateur blasé y voit tout de suite la combine, deux personnages que tout oppose vont devoir s’allier pour réussir et à la fin ils sont potes. Le pitch classique du buddy movie. Si c’est effectivement plus ou moins ce qu’il va se passer, l’arrivée de Nick dans le film est un gigantesque coup de pied dans la fourmilière du consensualisme et du classicisme dans lequel était en train de s’enferrer l’intrigue. Car cet escroc est un renard, et les renards… on les aime pas.. surtout quand on est un lapin.
C’est à partir de ce moment là que l’apparente perfection de la ville commence à se craqueler, qu’un côté sombre commence à émerger. On découvre Zootopie du point de vue d’un prédateur et un qui a, en plus, mauvaise réputation et on s’aperçoit qu’une méfiance sous-jacente demeure, que l’harmonie n’est plus si réelle. Bref Disney est en train d’apprendre à nos enfants le racisme ordinaire, celui de tous les jours, celui qu’on ne voit plus ou qu’on ignore volontairement. Et lorsqu’au bout de plusieurs péripéties on découvre que les animaux disparus sont tous devenus sauvages (c’est à dire qu’ils ont retrouvé leurs instincts de prédation, ce qui fait d’eux de très dangereux individus) et que cette sauvagerie serait peut-être due au fait que ce sont des carnivores et qu’ils sont programmés génétiquement pour être dangereux c’est là que le film acquiert son statut de chef d’œuvre.
Il ose ce qu’aucun Disney n’avait fait avant lui, même ceux qui traitaient déjà du sujet du racisme : Il fait de Judy notre héroïne parfaite une horrible raciste de première. Alors qu’elle se targuait d’être ouverte d’esprit et prête à aider tout le monde, mise au pied du mur c’est sa propre peur qui prend le dessus et plus ou moins sans faire exprès elle déclenche une vague de terreur au sein de la population de Zootopie en appelant à la plus grande prudence contre les prédateurs, ces bombes à retardement prêtes à exploser à n’importe quel moment ! Et dire que deux scènes avant, après que Nick se soit confié à elle en expliquant qu’en tentant de s’intégrer il avait fini muselé (littéralement) et jeté à la rue par des « proies », elle lui avait affirmé qu’il ferait un super flic…
La séparation entre les deux compères est brutale, déchirante et tellement inattendue. Quelle prise de position de la part de Disney de faire de son héroïne une personne détestable mais en même temps normale, d’expliquer aux enfants que le racisme c’est pas juste les méchants dans les films, ça peut être aussi eux et que pour changer les mentalités et « rendre le monde meilleur » comme l’affirmait Judy du haut de ses 9 ans, eh bien, il faut commencer par soi-même ! Oui Disney nous a surpris, je dirais même plus, ils nous ont scotchés !
Et ils insistent en plus ! Les scènes d’après, la lapine consciente d’avoir fait une terrible erreur quitte la police, abandonne son rêve et devient comme ses parents le souhaitait cultivatrice de carottes. Nick quand à lui, reprend ses activités illicites sauf que l’ambiance de la ville est très très différente, la méfiance autrefois sous-entendue est maintenant affirmée haut et fort, et on voit à quelle vitesse une société en apparence idyllique peut s’effondrer lorsque la peur de l’autre triomphe. (Tous parallèles avec la situation actuelle de notre monde ne sont bien sûr que coïncidences, et le timing parfait de sortie du film en pleine période électorale aux USA est purement fortuit !)
Il est intéressant d’ailleurs de regarder les bonus qui accompagnent le film, on y découvre que Disney voulait aller beaucoup plus loin dans la dénonciation du racisme en faisant de Zootopie, une dystopie où des caméras de sécurité et des colliers surveillaient en permanence les prédateurs qui étaient fiers d’arborer ces colliers car ceux ci étaient les garants de leur insertion dans la société. On y suivait les aventures de Nick qui allait s’affranchir de tout ça pour retrouver sa liberté. Cependant (et pour une fois je suis totalement d’accord avec ce choix) Disney a décidé que cette dystopie était bien trop sombre et que justement, le racisme trop affirmé des proies empêchait les spectateurs de s’intéresser à ce monde jugé bien trop oppressant. En basculant sur le point de vue de Judy Disney a fait le choix de la subtilité et a rendu son métrage bien plus intelligent ce à quoi on ne peut dire que : « Chapeau ! »
La fin du film est une véritable bouffée d’air frais, en effet Judy, aidée en plus par un autre renard, va découvrir l’origine de la sauvagerie des prédateurs, une drogue à base de plantes fabriquée par deux moutons, Walter et Jesse, et l’auteur de ce terrible complot qui visait à détruire pour toujours la confiance qui régnait entre prédateurs et proies de Zootopie. Elle fait un magnifique mea culpa à Nick en s’insultant, se traitant d’idiote etc.. (évidemment j’ai pleuré pendant toute la scène…) et le film se conclut par le tube de Gazelle, une gazelle, doublée par Shakira en personne, accompagnée par des danseurs tigres les plus gays de l’existence (ils sont trop adorables!)
Sans conteste le film d’animation le plus intelligent sorti par Disney, absolument hilarant en plus (la scène des paresseux est peut-être la scène d’un dessin animé la plus drôle de ces cinq dernières années) Zootopie est un chef d’œuvre absolu à ne manquer sous aucun prétexte. Montrez-le à vos enfants, mais n’hésitez pas une seconde à vous asseoir aussi sur le canap’ pour le regarder avec eux. En fait, montrez-le à tout le monde, ce film fait tellement du bien qu’il pourrait être prescrit en pharmacie !
Je serai tenté de dire qu’avec le personnage de Judy Disney nous fait également une sorte de mea culpa, qu’ils se sont aperçus que de faire des films sur les gentils rêves des gentils qui se réalisent à la fin ce n’était plus suffisant et j’espère qu’ils continueront sur cette lancée à faire ces films qui ne se contentent plus d’être beaux et drôles mais aussi intelligents et éducatifs, en un mot : Brillants !
C’est en effet une belle perle sur la forme comme le fond !
Belle analyse :p