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Kieli : si t’as pas d’amis prends un esprit !

Fantômes et autres mignonneries fantastiques, voilà le genre de thèmes de nombreuses fois exploités plus ou moins avec succès. Un plus, assaisonné de visions d’outre-tombe, que reflète la petite pépite qu’est Kieli : les morts reposent sur les terres sauvages, un shojo paru en 2009 en deux tomes. Le manga est l’adaptation du premier tome éponyme d’une série de neuf romans, réalisé par Yukako Kabei entre 2006 et 2013. Des romans qui malgré leur succès au Japon n’ont jamais, ô tristesse, connu d’édition en français. Alors, amateurs de surnaturel, ouvrez votre esprit et rappelez vos amis imaginaires : bienvenue dans le monde merveilleusement déroutant de Kieli !

 

Quatre-vingts ans après une grande guerre sur une planète inconnue, l’histoire est centrée autour de Kieli, une jeune adolescente de quatorze ans, ayant la capacité de voir les esprits. Son quotidien monotone se voit bouleversé après avoir fait la connaissance d’Harvey, qui peut lui aussi voir les spectres, et du Caporal, dont l’âme est coincée dans une radio.
Après plusieurs événements, on apprend qu’Harvey est un Immortel, ces soldats dont le cadavre a été recyclé dans le but qu’il s’auto-régénère à « l’infini « . C’est à la fin du conflit que l’Église en fait des boucs émissaires en se lançant dans une véritable campagne d’extermination. Et c’est dans le plus grand des calmes que Kieli rejoint les deux compères dans leur voyage les menant sur la tombe du Caporal. On suit alors les aventures de ces trois amis, ponctuées d’esprits, du passé d’Harvey et de chasseurs d’Immortels !

Est-ce que ce monde est sérieux ?

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L’histoire nous transporte dans un monde post guerre apocalyptique, reconstruit et géré par l’Église, univers donc imaginaire mais pas tant que ça. En effet, on peut facilement faire le parallèle avec notre monde et notre Histoire : les guerres mondiales, la place de la religion, l’aliénation, le totalitarisme, la surexploitation des ressources, etc. 

Au-delà de ces thèmes sérieux et profonds, le manga dégage une réelle sensibilité dans l’approche des émotions, de la violence et de l’action. Les premières pages du tome I nous plongent dans un flash-back en deux temps : durant la guerre, en mettant en scène une tuerie entre soldats.
Puis des décennies plus tard avec Kieli, sept ans, qui livre ses réflexions sur l’absence de Dieu à sa grand-mère avant d’assister à l’exécution rapide et brutale d’un Immortel sous ses yeux. 

Une mise en bouche qui fait vite comprendre qu’on ne va pas parler de magicals girls un peu niaises, tout droit sortie d’un royaume merveilleux afin de sauver le monde. Non, non. La violence est maîtrisée non pas comme une intervention gratuite à grands coups de massue, mais comme le résultat d’une action ou appelant à la réflexion.

On a cette sensation agréable pendant la lecture, sans doute dû au fait qu’il n’y a que deux tomes, d’être dans un moment en suspens, dans une bulle.  Ainsi, l’histoire nous tient en haleine avec une série de péripéties qui nourrissent l’intrigue principale et apportent des révélations sur les personnages. Des révélations qui sont souvent d’un goût doux-amer, qui nous font percevoir le manga tout en nuance sans rentrer dans le manichéisme Bien VS Mal. Même si on comprends vite que l’Eglise et ses sbires, en particulier le grand blond dérangé du tome II, sont pas là pour boire une binouze avec notre trio. 

Un petit mot sur la place du surnaturel : car le surnaturel c’est bien, sauf quand il débarque dans une explosion de fioritures abracadabrantes à couper au couteau. Dans le manga, il apparaît de différentes manières : à la façon SF, à l’exemple des Immortels créés à partir d’une technologie humaine, et fantastique avec l’intervention des esprits. Le mélange est subtil et bien dosé, le don de la jeune Kieli ne prend pas le pas sur l’histoire mais aide à la faire avancer. 

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Charisme, clopes et rébellion

C’est fort agréable de constater qu’avec une histoire plutôt bien ficelée, l’auteure a su créer des personnages aux personnalités travaillées et complexes. Kieli, orpheline et marginalisée à l’école, se révèle être une adolescente forte et sensible à laquelle on peut s’identifier. Bon, même si elle a la fâcheuse tendance de suivre des inconnus avec une facilité déconcertante, comme un jeune centenaire avec une radio possédée par exemple…
Ni une jeune fille en détresse, ni une machine de guerre, on la voit pourtant secourir ses amis en se surpassant avec courage. Des opérations de sauvetages qui se déroulent souvent à bord d’un train d’ailleurs. Alors peut-être que l’auteure a une sidérodromophobie poussée, mais dès que l’ombre d’une de ces machines sur rails apparaît, soyez sûr que ça part en cacahuète. Donc le train, c’est le mal.

Pour le cas d’Harvey, on évite le stéréotype du beau garçon mystérieux et arrogant. Au premier abord grognon, blasé et impulsif, le « jeune homme » révèle toute sa profondeur et sa complexité au fil des pages. Le passage de l’hôpital met en lumière une partie du passé d’Harvey, et on le perçoit comme un personnage blessé, en quête d’apaisement face à la crainte du temps qui passe sans qu’il ne vieillisse.
Quant au Caporal, il prend les traits d’un papa poule protecteur, fan de bon vieux rock et avec le sens aiguë des responsabilités.  Le genre de grand gaillard à la barbe naissante, sur qui on peut toujours compter en cas de problèmes, danger de morts, pneus crevés etc.

On prend en affection ces personnages atypiques, écorchés par la vie. Ils sont aussi touchants dans la gestion de leurs sentiments, parfois un peu instable, certains passages expriment la violence de leurs émotions que l’on reçoit comme une explosion, un cri qui prend les tripes. Des moments forts qui les rendent d’autant plus proche de nous par leur humanité.

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Un pour tous, tous pour un comme dirait l’autre !

La peur d’être seul : c’est au fond ce qui unit ces personnages, surtout pour Harvey et Kieli, avec le besoin de trouver des personnes qui nous comprennent et qui ne nous jugent pas. Les liens qui se tissent entre eux sont touchants, ainsi on les voit évoluer grâce aux uns et aux autres le long de l’histoire. Vous savez, le genre de personnes qui prennent votre cadavre imbibé de substances alcoolisées  pour le mettre au chaud à côté des toilettes. Ou ceux avec qui vous partagez ces fameuses toilettes. Des amis.

Mettre l’histoire en dessin

La mangaka Shiori Teshirogi est la dessinatrice des deux tomes, elle a illustré notamment Saint Seiya : The lost Canvas, Delivery ou l’adaptation manga de High Speed ! (Free ! en animé, ça parle de natation et de mecs en maillots moulants). Les dessins sont fluides, épurés et agréables, on note avec un certain étonnement la quasi inexistence de plan large. L’importance est donnée aux personnages et à l’action qui sont mis en valeur, même si on retrouve quelques morceaux d’architecture inspiration XIXe/début XXe siècle fins et réalistes. Un choix de représentation qui, je pense, a été fait volontairement par l’auteure et la mangaka. Afin de captiver le lecteur dans un flot d’images rythmées sans pour autant rendre le tout lourd et surchargé, ce qui montre le talent de Shiori Teshirogi. 

Réalisme que l’on retrouve dans le traitement des personnages puisque l’on peut facilement leur donner un âge, une identité. Kieli est présenté comme une jeune adolescente, le visage encore un peu rond et pas hyper sexualisé. Harvey, dans la vingtaine et la clope au bec, est celui qui m’a le plus marqué dans le traitement de son visage à travers différentes émotions subtilement représentées.

Petit point historique parce qu’on aime bien : après recherche, l’uniforme des anciens soldats semble faire référence à celui de l’armée de terre japonaise du milieu du XXe siècle, en particulier avec l’utilisation de fusil baïonnette et on apprécie de voir que la dessinatrice, sans doute avec l’aide de l’auteure, ait fait quelques recherches et adaptations historiques l’air de rien.

 

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« Un peu gluant, mais appétissant ! »

Enfin, la mort et la violence sont présentes de nombreuses fois, pourtant on ne tombe pas dans du gore, mais plutôt dans quelque chose d’esthétisé. On retrouve parfois des descriptions avec des images sous-entendues à l’exemple d’une scène de corps en décomposition représentée seulement par des insectes, notre imagination faisant le reste… 

 

Verdict

Kieli, plus qu’un simple coup de pub pour un roman, il se suffit à lui même. C’est le genre de manga qui vous transporte dans une palette d’émotions. Avec des personnages attachants qui prennent vie sous les dessins de Shiori Teshigori, on aime être absorbé par l’intrigue, le mystère et les actions qui se suivent avec rythme et rapidité. Dans un fond d’ambiance mélancolique, l’œuvre critique la société et malgré ses côtés sombres, elle passe avant tout un message d’espoir et de tolérance. C’est pourquoi au bout de deux tomes et une fin ouverte, on reste sur notre faim. Seul moyen de connaître la suite des aventures de ces joyeux lurons, c’est de lire les romans en anglais. Ou en japonais qui sait !

Tobye

C'est dans les vallées vigneronnes de l'Entre-deux-Mers que se trouve l'antre de Tobye, jeune trolle du Cri. Entourée de mangas et autres vieux bouquins, elle aime se perdre dans les méandres de l'internet à la recherche de pépites à se mettre sous la dent. Un godet de pinard à la main, évidement.

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