Fight Club 2, chronique d’un naufrage ?
« La première règle du Fight Club est… »
Il était là, en face de moi, il puait le neuf, comme tous ces objets de culture qui nourrissent l’âme et l’esprit, et même parfois le coeur en creux. Ces quelques lettres, ce titre… En un dixième de seconde c’est toute une jeunesse de souvenirs qui me souffle la tronche et m’embarque dans mes années lycée. Avec les potes, les conneries, les éclats de voix politiques, les premières pulsions, les premières indignations, les premières sensations…
Putain Fight Club. Fight Club quoi!
Plus qu’un objet de culture, c’est un état d’esprit qui m’a formé, m’a fait réfléchir par moi-même, pour moi-même. Tout simplement, et en toute honnêteté, Fight Club a été un déclic, une vision, un absolu. Un de ces fragments éternels qui font que je suis la personne que je suis aujourd’hui. En un bouquin et un film, Fight Club a illuminé une jeunesse, distillant une petite dose de chaos dans des cervelles d’une génération qui ne demandait que ça (du moins, j’ose y croire) tout en révélant au grand public un auteur barjot, croisement entre Jack Kerouac, Bukowski et Jim Thompson. Un de ces types qui, par ses mots, te foutait une furieuse envie de mettre le monde à feu et à sang, pour le bien d’un futur qui reviendrait aux bases fondamentales et pour ton propre bien, on va pas se mentir : allez gamin, tape fort, ça te réveillera.
La vague fut tsunami et Fight Club devint cultissime. Et voilà t-y pas que… 20 ans plus tard pour le bouquin, et 17 ans pour le film, Palahniuk remet le couvert, avec comme une envie de boucler la boucle, reprendre son héros fétiche et remettre en scène la marionnette. Pas de film, pas de livre, cette fois il continue le trans-média et l’expérimentation en s’offrant au Comics avec Cameron Stewart aux crayons.
Alors, que vaut ce second round ?
Un départ en cadence, et une ivresse qui vire au bad trip
« l’âge adulte commence le jour où quelqu’un vous demande de l’être davantage. »
Dix ans ont passé et on retrouve un quarantenaire sur la fin, désabusé, qui s’enlise dans une routine morose à base de pilules pour dormir, pilules pour être normal, pilules pour bander, pilules pour vivre, pilules pour tuer Tyler Durden… Tyler est mort, ne reste que le narrateur, dont l’identité réelle nous est révélée dés les premières cases. Sebastian est rentré dans le rang après un lourd séjour en asile psychiatrique, là où on l’avait laissé à la fin du livre, consumé par ses aléas psychiques. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Errant dans cette vie comme un cabot perdu, délaissé par son autre lui-même qui, à défaut de lui pourrir la tête, le faisait au moins ressentir les choses. Il n’est qu’une coquille vide, encore plus baisé par la vie que quand on l’avait rencontré la première fois.
Sebastian s’est même marié avec Marla qui est devenue mère de famille, et ensemble, ils ont eu un petit garçon, Junior. Mais le couple bat de l’aile. Marla étouffe de cet amour plan plan, elle, la désaxée qui a connu la folie main dans la main avec Tyler. Il lui manque une chose essentielle, vitale et nocive à la fois : sa dose de chaos. Comme un phalène va se cramer contre un halogène, elle en redemande. Et la garce en elle en a encore à revendre tant et si bien qu’elle sabote le traitement de son frappé de mari qui recommence à sombrer pour mieux faire ressurgir le démon en lui. Marla le trompe, en cachette, avec lui-même. Mais un beau jour, le petit Junior, lui aussi déjà bien taré, se fait kidnapper. Par qui ? Par Tyler bien sûr ! Et c’est le début d’un grand bordel sans nom où l’on va s’enfoncer avec Sebastian dans la folie la plus totale à la recherche de Tyler, à l’essence même du projet Chaos qui n’a jamais cessé de progresser vers l’apocalypse.
On part donc sur 8 comics regroupés dans une anthologie. Les coups de crayons de Cameron Stewart nous immergent assez bien dans l’histoire et dans les méandres de cette crise de schizophrénie sur plus de 230 pages. Les pilules émaillent le story board, cachant parfois des bulles de dialogues, des visages… Les discours s’entrechoquent, ambiance « incompréhension ». Et c’est d’ailleurs à partir de là que je me retrouve face à un constat assez frustrant : passé le 6ème feuillet, on ne capte vraiment plus rien.
Marque-t-il la vraie fin véritable ? Les deux feuillets restants ne sont ils qu’un grand délire post ending où tout part en vrille ? J’avoue avoir été perdu, puis en colère face à ce grand n’importe quoi scénaristique agaçant : sur certaines pages, c’est bien simple, je ne comprenais strictement rien. Pourtant je ne pense pas être plus con que la moyenne… Mais non, c’était tout bonnement incohérent, presque burlesque.
Voilà bien là la force, et l’énorme faiblesse du Comics : le scénario. Si vous voulez votre tranche de délire, vous y trouverez votre compte. Si par contre vous vous attendiez à une suite roman noir de Fight Club, passez votre chemin. Le propos est toujours nihiliste, pro chaos, mais les situations ne sont plus crédibles. Le mot est lâché : la crédibilité. Fight Club 2 perd ce réalisme qui avait tant ancré l’œuvre originale dans le paysage culturel et dans un réel que tout lecteur pouvait toucher du doigt.
Spoiler alerte Spoiler alerte Spoiler alerte Extraits choisis : On perd Marla, partie on ne sait pas trop pourquoi à l’aventure aux quatre coins du globe sur les zones de conflits avec une armée de « Vieux enfants » avides de violence : des malades dont le corps vieillit vitesse grand V… Tyler est en fait un Virus qui se transmet et pas une simple maladie psychique inhérente au narrateur… Sebastian meurt, mais en fait non… mais en fait on sait pas… mais en fait on saura pas… Palahniuk s’incarne lui même dans le comics en mode « je brainstorm avec mes nègres pour trouver une fin », Robert Polson sort de sa tombe en zombie… etc, etc… Spoiler alerte Spoiler alerte Spoiler alerte Spoiler alerte
En bref, c’est la soupe du grand nawak, alors que la mise en bouche assurait de belles promesses narratives et une fin, une vraie.
Manque de pot, Palahniuk a décidé d’enterrer son enfant, de saccager son œuvre, et de décevoir ses « fans », eux même incarnés dans le Comics (en foule en colère après l’auteur), comme s’il savait à l’avance qu’il les décevrait.
Quand Palahniuk enterre son enfant et sabote son œuvre (volontairement ?)
« les êtres humains n’engendrent pas les idées, ce sont les idées qui nous engendrent. »
En un sens, cela fait plusieurs années que Palahniuk est devenu ce qu’il a toujours détesté et qu’il prenait un méchant plaisir à déglinguer dans des romans : cet « auteur à succès » qui se prend pour un « auteur », se la raconte, et veut toujours incarner le « subversif », perdant l’essence même du contre courant. (Si l’on tend l’oreille, je vous parie qu’on peut l’entendre d’ici se demander en se scrutant dans le miroir « Alors Chucky, comment je peux être assez délirant pour être original-censuré-borderline pour mon prochain bouquin ? Comment faire le buzz ? » Ça en devient risible.) Bouffi d’orgueil, il en arrive même à s’incarner lui-même dans le comics jusqu’à amener sa propre mort, entre un « Tuer le père » et un « All Hail Palahniuk » vulgaire, déplacé et grotesque qui finit d’achever ce De Profundis à une œuvre qui m’avait tellement marqué.
Bordel, mais qu’est ce qu’il t’arrive Chuck ? Où sont passées tes tripes ? Ton talent ? Qu’est ce que tu nous fais depuis des années ? Si un jour tu me lis, ce qui n’arrivera jamais, voilà ce que j’ai envie de te dire à toi, l’auteur qui m’a ouvert l’esprit, catapulté dans le monde des bouquins et du roman noir : Arrête de te perdre dans l’expérience littéraire, retrouve tes bases, ta force d’antan, ta puissance narrative. CONSTRUIS tes scénarios. Et oublie un peu ton égo qui parasite le talent qui fut le tien quand tu savais encore manier la plume plutôt que de te secouer la nouille sur ton génie.
C’est con à dire, mais Fight Club a été important. Et ça m’arrache les entrailles de mettre ça au passé. Je venais pour un second round Tyler, je n’ai pris qu’un soufflet de déception pure. Qu’un vieux gout amer qui m’a fait comprendre que les années Fight Club sont derrière moi maintenant. Les faux j’tons continueront à encenser Palahniuk, à lui trouver des aspirations littéraires, à louer ses expérimentations âââârtistico-bourgeoisico-nazes.
Moi je ne lui ferai pas ce plaisir, et la sentence sonnera comme un coup d’surin : Tu fais chier Chuck. J’croyais en toi, et tu fous tout ça en l’air. D’auteur fétiche tu es devenu « plus grosse déception littéraire ». Ouais, tu fais chier Chuck. Je suis en colère.
Mais… au fond, je te soupçonne petit salaud, de ne chercher que ça : le désamour. Tes fans, avoue-le, ils t’emmerdent. T’étais mieux avant, et tu cherches à tout saborder ? Et je vais même te dire : j’ai envie de croire ça, j’ai envie de croire que tu te marres bien fort face à nos visages déconfits et nos souvenirs qui prennent la poussière, comme tu le dis toi même « tu essayes de retirer le Père Noël du paysage culturel ».
Est-ce que c’est pas ça finalement, ta plus belle subversion ?
C’est ça, le mot est assez juste : on tourne en rond avec cette deuxième fournée !
En même temps, Fight club était une dénonciation de la masculinité toxique, surtout quand on connait l’auteur original.
Donc une suite qui reprend en réalité tout le contraire de ce que dénoncait l’auteur du bouzin, n’as pas de sens, est vouée au final a tourner en rond.