[WTF] Coincé dans une sitcom AB : rencontre avec le réalisateur de « YZ »
Un jeune mec dépressif se retrouve coincé, en mode film d’horreur, dans une sitcom AB Productions.
Déjà, avoir cette simple idée était un moment de grâce. Mais se donner du mal à la concrétiser dans une vidéo hyper travaillée, là, ça force le respect. Une idée de génie qui tombe directement dans la catégorie WTF, mais un WTF qui a été fait avec un soin tout particulier. Vous l’avez sans doute vue passer quelque part sur les internets récemment, avec son concept alléchant et sa très bonne facture : c’est « YZ », la fausse bande-annonce réalisée par Charly Lemega.
Du coup, on était obligé de choper le gaillard par le col pour lui poser quelques questions.
AB mus papam
Charly Lemega, monteur de profession, n’en est pas à ses débuts sur internet, après la web-série Sortane et une série de faux reportages sur la B2ologie (religion basée sur les paroles de Booba), mais n’avait jamais fait autant parler de lui. YZ, c’est une fausse bande-annonce pour un film qui pourrait bien devenir réalité.
Si vous n’avez pas grandi dans les années 90, sachez qu’AB Productions était responsable (outre le Club Dorothée, les albums de Bernard Minet et le massacre de VF d’animés) de sitcoms « à la française » comme Hélène et les Garçons, Le Miel et les Abeilles, Les Filles d’À Côté ou La Philo selon Philippe (pour les connaisseurs, qui savent que « tiens voilà ton gin tonic« ). Des séries pour djeuns bancales, naïves, aussi mal écrites que mal jouées, avec des protagonistes qui s’habillaient et parlaient comme aucun jeune de l’époque (non les gamins, je vous rassure, on était pas vraiment comme ça). Des productions à la chaîne, ancêtres de Plus Belle la Vie, qui ont contribué à faire croire au public français que les sitcoms avaient des « rires enregistrés » (ce qui n’est pas le cas de leurs cousins US, tournées devant un vrai public).
Mais malgré la piètre qualité de ses programmes et l’opportunisme de sa politique, AB est, qu’on le veuille ou non, fondateur dans la culture d’une génération qui avoisine aujourd’hui la trentaine. Et Charly Lemega est un enfant de ces années-là. Ça tombe bien : moi aussi.
Rencontre avec un type qui a de la suite dans les idées
Les crédits sous forme de générique qui fleure bon les années 90
BOLCHEGEEK : Tu es monteur professionnel. Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire tes propres réalisations sur le web ?
CHARLY LEMEGA : Avant de devenir monteur pour la télé j’écrivais et je réalisais déjà des projets sur mon temps libre. Au début j’évoluais plutôt dans la création de sites et de modifications de jeux vidéos puis j’ai mis un premier petit court métrage en ligne en 2007. Depuis j’ai continué avec une régularité assez douteuse mais j’ai continué quand même.
BGK : Tu as déjà un scénario de long métrage écrit pour YZ. Comment comptes-tu tenir le concept sur la durée et en sortir une histoire complète ?
CL : L’histoire complète ressemble plus à un thriller/film d’aventure (représenté par la dernière partie de la bande-annonce) et y’a une vague réflexion derrière sur notre génération un peu désabusée et les différentes manières de voir la vie (si si). Tout le coté « haha il est coincé dans une série AB » serait bien sûr présent mais vite passé au second plan.
BGK : Le succès de la bande-annonce te pousse-t-il à envisager de le concrétiser (production, financement participatif, partenariats, participation d’autres vidéastes et techniciens,…) ?
CL : Carrément. Ça fait que quelques jours donc pour le moment y’a rien de lancé mais des discussions avec de vraies prods commencent à se faire.
« Il y a une vague réflexion derrière sur notre génération un peu désabusée et les différentes manières de voir la vie (si si). » |
BGK : On sent déjà l’opposition entre le protagoniste dépressif-suicidaire et le bonheur béat forcé des sitcoms AB. Comptes-tu aborder ce genre de thématiques plus sérieuses au-delà du simple « gag » ?
CL : Comme je le disais dans la 2ème réponse, c’est pour moi tout l’intérêt de cette histoire (du coup ça me fait plaisir d’y répondre même si je risque de devenir chiant). Ça repose effectivement sur ce mec, qui se pense très intelligent mais qui est très cynique et détaché de tout, au point où il finit plus par observer sa vie qu’à la vivre vraiment. Quand commence le film il est en pleine dépression car il est tellement détaché de tout qu’il ne voit plus d’intérêt ou de sens réel à quoique ce soit. Il va alors tomber dans ce monde où tous les personnages sont à l’inverse de lui : ils prennent chaque élément de leur vie avec une passion et un premier degré incroyables. Ils pensent au final assez peu avec leur tête et se laissent totalement entraîner par leurs émotions jusqu’à en devenir débiles. Alors au début le héros pète un câble mais au fur et à mesure, combiné avec sa rencontre avec l’autre fille non transformée, ça va avoir des conséquences sur lui.
BGK : Comment as-tu abordé la reproduction de la « patte » AB (la couleur, le jeu d’acteur, les cadrages, les costumes, les dialogues, etc…) ?
CL : J’ai à la fois fait mon maximum pour être le plus fidèle possible à l’univers AB tout en étant confronté au manque de budget et de choix réels des décors. Du coup je suis loin d’être satisfait du résultat mais ça reste suffisamment proche. L’idée c’était de multiplier les caractéristiques de ces séries que ça soit dans la réalisation (aucune profondeur de champ, plans fixes très basiques, zoom et dezoom…), dans l’image elle-même (image en 4/3, qualité de l’image dégradée pour reproduire l’image vidéo de l’époque), dans les décors cheap aux tons pastels, dans le look des personnages (merci les friperies !), dans le son avec les réactions du public et les musiques AB, etc… Tout ça combiné, ça rappelle forcément les séries AB même si on est beaucoup moins fidèles que j’aurai aimé idéalement.
« Même si on sait que c’était de la merde, on le regarde avec beaucoup plus de bienveillance que la merde qu’on découvre aujourd’hui parce qu’au final ça fait partie de nous. » |
BGK : As-tu beaucoup regardé de séries AB à l’époque ? En as-tu rematé pour la bande-annonce ?
CL : J’en regardais un peu petit mais j’en ai surtout regardé pas mal à la fac pendant des nuits d’insomnies sur AB1 & co. Au final je suis devenu assez fan (au 3ème degré) et calé sur ces séries (même si je suis loin de la connaissance ultime des sitcomologues que je salue). J’en ai rebouffé pas mal quand j’ai écrit le script du long métrage puis re un peu pour préparer la bande-annonce en elle-même. (Ce qui me fait marrer dans le script du long c’est que la plupart des dialogues et blagues les plus pourries sont vraiment tirés d’épisodes existants, aussi incroyable que ça puisse paraître parfois.)
BGK : Comment expliques-tu cette nostalgie étrange pour quelque chose que tout le monde sait pourtant être assez mauvais ?
CL : Je pense que pas mal de gens, de base, sont nostalgiques et plus on avance dans le temps plus on a tendance à idéaliser les trucs qu’on a aimés par le passé. Et même si on sait que c’était de la merde on le regarde avec beaucoup plus de bienveillance que la merde qu’on découvre aujourd’hui parce qu’au final ça fait un peu partie de nous. C’est générationnel et en plus c’est franco-français. Si tu es un(e) jeune français(e) d’une trentaine d’années tu as forcément regardé des séries AB et ça t’a sûrement marqué (en bien ou en mal). Ça joue d’ailleurs un rôle dans l’histoire du film.
Propos recueillis le 4 mai 2015.
« YZ » serait-il un peu plus qu’un concept WTF rondement mené ? C’est ce qu’on espère et qu’on attend de voir. En tout cas, on va suivre l’affaire de près et on vous tiendra au courant. En attendant, vous pouvez retrouver et soutenir le projet dans ces coins-là :
La chaîne (où vous pouvez découvrir ses autres créations) : https://www.youtube.com/channel/UCIoUqd1lV4P9vMjCaMWksRA
Le site : http://www.yz-lefilm.com/
La page : https://www.facebook.com/yz.lefilm?_rdr