Valérian : pourquoi il faut voir le film de Luc Besson
Assis dans le noir, attendant que les premières images du film de Luc Besson apparaissent sur l’écran, rien n’était plus loin de notre esprit que l’enthousiasme mordant pourtant longtemps suscité par l’annonce d’une adaptation de Valérian et Laureline.
Les premières critiques US avaient en effet refroidi les plus vives ardeurs de notre petit clan quelques jours auparavant, en nous proposant un tsunami de qualifications péjoratives : « ratage total », « scénario vide », etc… Des appréciations a priori corroborées par le lancement raté du film dans le Nouveau Monde (à peine 17 millions de recettes lors du premier week-end, c’est-à-dire derrière… La Planète des Singes 3). Ajoutons à cela les craintes légitimes de dénaturation qui viennent toujours serrer le cœur du fan de l’œuvre originale, monument s’il en est de la bande dessinée de science-fiction, ou la méfiance vis à vis de Besson lui-même (hum…) et l’on comprendra que nous traînâmes quelques peu les pieds à l’entrée du cinéma.
Et là. Le. Miracle. Non seulement Valérian ne s’est pas révélé être la bouse atomique que certains y ont vu, mais il a bien fallu le reconnaître : nous avons beaucoup apprécié le spectacle. Il y eut d’ailleurs ce moment un peu gauche où je me suis tourné vers mon collègue Fly osant à peine lui dire : « Ok, c’est sûr le film est loin d’être parfait, mais bon, ce n’était pas mal…. Raaah, il y a des bonnes choses…. Non, en fait, j’ai simplement adoré ! ».
Évidemment, j’aperçois déjà les hordes de haters agiter les bras en faisant de grands signes ou arborer une petite moue d’incompréhension dubitative… Qu’à cela ne tienne, si, comme l’estime Libé je suis un « enfant » ou un adulte en voie de régression, autant tenter d’étayer ma position par des arguments un tant soit peu solides.
Le scénario, les personnages : vraiment une catastrophe ?
Valérian se déroule au XXVIIIème siècle, à une époque où l’exploration spatiale a peu à peu conduit l’espèce humaine à cohabiter avec toutes sortes d’extraterrestres aux caractéristiques originales. Les divers habitants de la galaxie se côtoient au sein de la station Alpha (Point Central dans la BD), sorte de mégapole interstellaire constituée d’un agglomérat de milieux et de formes de vie diverses perdue dans l’espace. Les humains cherchent à évoluer pacifiquement et en bonne intelligence avec tous leurs petits camarades plus ou moins biscornus, faisant preuve a priori d’une certaine tolérance. Au milieu de tout ce foisonnement, Valérian et Laureline, deux agents spatio-temporels, sont envoyés en mission sur une planète obscure pour récupérer une créature d’un genre rare, dernier représentant de sa lignée et dont la faculté unique est de pouvoir répliquer tout ce qu’elle avale, y compris des pierres précieuses – j’ai nommé le si mignon transmuteur grognon de Bluxte. Bien vite, l’amusant binôme constate qu’ils ne sont pas les seuls à vouloir mettre la main sur le bestiau. À leur retour sur Alpha, leur supérieur les informe par ailleurs qu’une zone radioactive et impénétrable s’étend au cœur de la station et semble mettre en péril la sécurité de cette dernière. Lorsque le commandeur se fait enlever par une espèce extraterrestre que Valérian a vu lors d’un rêve, celui-ci ne tarde pas à penser que ses supérieurs ne lui ont pas tout dit sur les évènements en cours… Il s’agira alors pour les deux agents de découvrir ce qu’il en est, quitte à risquer d’éventer d’anciens secrets.
Je n’irais pas plus loin pour éviter de spoiler tout un chacun. Notons que le film de Luc Besson ne s’appuie pas sur la trame d’un unique album de P. Christin et J-C Mézières ; il a été décidé de construire une histoire s’inspirant de plusieurs tomes parmi les plus connus mais aussi les plus anciens, à savoir en premier lieu L’Ambassadeur des ombres, L’Empire des mille planètes, et La Cité des eaux dormantes (par petites touches). Dans l’absolu, la trame que nous propose le dernier protégé du cinéaste français n’a rien de fantastique, tandis que les thèmes abordés demeurent somme toute relativement classiques. Le spectateur devine assez aisément les tenants et aboutissants de l’histoire, ce qui laisse assez peu de place à un sentiment de surprise ou d’étonnement lors des rebondissements et, a fortiori, au terme de l’intrigue. Pire, l’écriture et les dialogues n’échappent pas toujours à une naïveté tout à fait dispensable. Une fois cela dit, Valérian mérite-t-il pour autant d’être lynché du fait de ce scénario assez convenu ?
Répondre à cette question nécessite à mon sens de comparer le film avec des blockbusters aux caractéristiques similaires, à la fois en termes de moyens et de public cible. Or, force est de constater que la plupart d’entre eux ne brillent pas par la sophistication extrême de leur histoire. Il est tout à fait surprenant de voir la critique américaine, parfois française, s’acharner sur Valérian lorsque, dans le même temps, le 7ème opus de la saga Star Wars a été relativement bien accueilli malgré le peu d’effort consenti par les scénaristes pour proposer quelque chose qui s’émancipe un tant soit peu de l’épisode IV (et de ce qu’a pu proposer la saga jusqu’alors). Plus étonnant encore, comme me le faisait remarquer Flavius, certains pitres d’outre-Atlantique ont pu s’extasier devant Wonder Woman, ceux-là même prompts à fustiger le travail de Besson. Valérian ne brille pas par son scénario mais en cela il ne fait pas mieux ou moins bien que la plupart des blockbusters. En ce sens, il apparaît injustifié d’accabler sauvagement la piètre qualité de son scénario. Les films qui arrivent à mélanger subtilité scénaristique et diffusion la plus large possible sont bien rares. Au sein de cette glorieuse famille, on peut citer Logan, ou plus globalement l’œuvre de Nolan, mais celle-ci demeure isolée au milieu des Jurassic World et autres purges régulièrement proposées par les démiurges hollywoodiens. En un mot : certes, le scénario de Valérian n’est pas à même d’en faire un spectacle de qualité, mais en tant que blockbuster, il ne saurait pas non plus inciter les spectateurs à éviter le film à tout prix.
J’oserais même souligner que Valérian a le mérite de proposer une perspective différente par rapport à toute une tripotée de super productions. C’est que le film ne se prend que rarement au sérieux, si ce n’est lors de quelques scènes oubliables. 10 ou 15 minutes de dialogues dégoulinants de bons sentiments sur 2 heures 18 de spectacle, voilà un ratio que j’estime tout à fait acceptable. Pour le reste, la trame laisse une grande place à un humour point si catastrophique, voire parfois efficace si l’on s’en réfère par exemple aux scènes chez ces créatures mi-batraciennes mi-trolles que sont les Boulan-bators (après recherches minutieuses, aucun rapport avec la capitale de la Mongolie). Un comique de situation facile donc, mais qui fonctionne. L’œuvre de Besson s’assume pleinement comme un divertissement, sans chercher à se projeter vers une ambition autre, chose qui ne nous est guère épargnée avec le cinéma américain. En ce sens, la médiocre qualité du scénario ne doit donc pas faire l’objet de considérations excessives par le spectateur ; l’objectif poursuivi par les agents spatio-temporels n’est en tout et pour tout que le prétexte permettant à Besson de déployer son univers visuel.
Un autre élément, pourtant décrié, qui participe à faire de Valérian et la Cité des mille planètes un anti-blockbuster américain serait les personnages eux-mêmes. Un certain fiel s’est allégrement déversé sur la performance des acteurs choisis pour incarner les protagonistes, j’ai nommé le freluquet Dan DeHaan et la sublime Cara Delevingne (elle n’est pas affreuse, tout de même). Leur prestation ne mérite certes pas un oscar mais, là encore, elle ne m’a pas paru exceptionnellement mauvaise. Non seulement leur incarnation des héros ne fait pas forcément honte au script original de Christin et Mézières – nous y reviendrons – mais j’ai trouvé la tendresse un peu piquante de Delevingne et le côté flambeur de son compagnon plutôt charmants. Qu’il est appréciable, enfin, de s’épargner la présence d’un mâââââle gonflé aux hormones pour voir évoluer deux jeunots plutôt frais. A ce titre, je préfère mille fois les répliques un peu limitées de Valérian que l’inutilité insupportable portée aux sommets par le personnage principal (Aaron Taylor-Johnson) du Godzilla de Gareth Edwards.
Odyssée visuelle
Valérian et la Cité des milles planètes a été conçu comme une œuvre reposant essentiellement sur son univers visuel pour séduire le spectateur ; c’est là l’essence même du film. Or, Besson remplit très généreusement sa part du contrat et de quelle manière !
D’un pur point de vue esthétique, Valérian n’est en effet rien de moins qu’un assouvissement pour notre faculté à imaginer des mondes futuristes, une drogue pour les sens. Foisonnant et exubérant, le travail de Besson nous entraîne dans une concaténation d’images tourbillonnantes qui ne cessent d’émerveiller et de surprendre. Des froides baies de l’espace aux plages d’une planète paradisiaque surplombées par l’esquisse de lunes endormies en passant par l’enchevêtrement arachnéen des coursives de la station Alpha, c’est un monde baroque et chamarré qui s’offre à nous dans une espèce de frénésie étourdissante. Sublime, généreux, franchement inventif par endroit, comme lors de la course poursuite dans le Big Market, le film déploie des effets spéciaux de toute beauté, bien aidé en cela il est vrai par son budget titanesque (environ 200 millions de dollars).
L’introduction restera peut être l’un des moments si ce n’est le moment le plus mémorable du film, tout à la fois sur le plan symbolique, visuel et sonore. Ouverture sur une nouvelle frontière, rêve des rencontres à venir, elle s’accompagne d’une chanson de David Bowie qui en magnifie le sens, sans en faire trop. Si tout n’est pas de ce niveau, loin s’en faut, il demeure que Valérian réserve quelques morceaux de bravoure au spectateur captivé. Les fameuses scènes avec Rihanna – qui ont presque une dimension hallucinatoire, ou du moins délirante – participent à donner au film ce soupçon de folie et de passion qui lui donne son charme, ses aspérités, et témoignent ainsi de l’enthousiasme de Besson. Ce dernier a pu solliciter sa fibre créative, et tout, d’Alain Chabat en barbu sous coke (aka Bob le pirate) aux plans dans Paradise Alley semble montrer que ses circonvolutions n’ont pas été trop abrasées par des nécessités commerciales.
L’action n’est quant à elle pas en reste. C’est peut-être une des choses qui m’a le plus surpris ; je ne m’attendais pas à grand chose de ce côté là, ou du moins à rien que l’on ait déjà longuement éprouvé. Elle réserve cependant son lot de bonnes trouvailles, à la fois sur le plan substantiel, mais aussi formel. La course-poursuite où Valérian tente de mettre la main sur les ravisseurs du commandeur est à titre d’exemple particulièrement réussie ; la caméra suit Dan DeHaan à mi-hauteur, non loin de lui, et il en ressort une sensation de vitesse tout à fait exceptionnelle qui ne tarde pas à s’amplifier lorsque celui-ci saute dans le vide. Notons à ce propos que la 3D, pas toujours heureuse, est ici tout à fait bien utilisée et participe à renforcer l’immersion. Les vaisseaux et les bestioles qui sortent littéralement de l’écran, en plus d’amuser le gugusse que je suis, ont un effet proprement saisissant et sont pour moi une réelle plus-value dans le bazar esthétique qu’est Valérian et la Cité des mille planètes.
Ce dernier est tout simplement un voyage sensoriel tel que l’on en avait pas connu depuis Avatar sans doute, et cela suffit pour recommander à tout un chacun d’aller voir le film. Compte tenu de ces qualités, les chances de passer un moment difficile sont réduites, même si le scénario peut paraître faible à côté de ce feu d’artifice fantastique.
Valérian et la Cité des mille planètes, une trahison de l’œuvre originale ?
Noirs espaces infinis de l’univers, soleils brûlants éclairant des terres inconnues… Combien de milliards de civilisations, combien de milliards de milliards d’être vivants pouvez-vous abriter ? Valérian et Laureline, L’Empire des mille planètes
Valérian et Laureline est à la bande-dessinée de science-fiction ce que Tolkien (oui oui, n’ayons pas peur) est aux romans de fantasy : une origine, une matrice, une date – 1967 – à partir de laquelle tout dérive. En tant que tel, il était évident que l’adaptation ne pouvait que s’exposer aux critiques acerbes, récurrentes, touchant à la pertinence des choix esthétiques et scénaristiques. Ah l’éternel débat, la polémique interminable, le conflit insondable qui fait se réveiller immanquablement quelques gardiens du temple très occupés à défendre leurs vieux souvenirs… La question de la fidélité du travail de Besson à celui de Christin et Mézières pourrait aisément occuper votre serviteur pour un article supplémentaire. Il me semble cependant que la question est largement annexe pour apprécier le film, et je n’y consacrerai donc pas plus de temps que nécessaire.
Porter à l’écran une œuvre qui s’étale sur plus de 40 ans et se décompose en 22 tomes ne pouvait que se faire au prix de très fortes concessions. La multitude des niveaux de lecture, des renvois et des références (à Gracq, Renoir, Manet, et tant d’autres) est sans aucun doute passée à la trappe ; Besson n’a tout simplement pas cherché à conférer à son film la profondeur de la bande-dessinée. En tant que lecteur assidu de cette dernière, il ne me semble pas que le point de vue inverse soit défendable. Faut-il pour autant y voir une amputation inexcusable, un détournement qui ternit le lustre d’une œuvre déjà trop peu connue et allègrement pillée par plus d’un « créateur » (j’ai nommé George Lucas) ?
Je dirais plutôt que le réalisateur français a choisi d’exploiter un aspect, et un aspect uniquement de Valérian et Laureline, mais peut-être le plus essentiel. Il cherche à retrouver l’âme libre de cette science-fiction exubérante et naissante si caractéristiques des années 1960-1970 en France (avec Moebius, Druillet…). Enfant émerveillé par la création de Christin et Mézières, c’est à ce souvenir qu’il a voulu rendre hommage, à une part de candeur qui constitue indéniablement l’univers de cette série incomparable. Si les opus les plus récents sont teintés d’un pessimisme qui semblent l’éloigner de cette atmosphère originale, à relire les premières BD d’un duo tâtonnant, il est incontestable que celles-ci étaient avant tout portées par leur imaginaire et leur univers visuel, plus que par tout autre élément.
Une chose que Besson a respecté par ailleurs et qui est non négligeable : la place centrale occupée par Laureline dans la fresque des deux auteurs. « Les qualités que Valérian n’a pas, c’est Laureline qui les possède. Elle a l’esprit d’opposition, elle est intrépide. C’était une révolution dans la bande dessinée française, ce personnage féminin ! » disaient-ils encore récemment à Télérama et on peut facilement s’accorder sur le fait que l’écriture du film respecte assez bien ce féminisme d’avant-garde. Il est vrai, en revanche, que le choix ainsi que les répliques de DeHaan sont nettement plus contestables ; on a un peu plus de mal à faire le lien entre l’acteur et Valérian – le vrai – qui n’aurait sans doute pas demandé Laureline en mariage de cette façon, lui l’étourdi plus que le crâneur adolescent.
Si cela peut vous rassurer, et c’est peut-être par là qu’il aurait fallu commencer, sachez tout de même que l’adaptation s’est faîte avec l’aval de Christin et Mézières eux-mêmes. Dans une autre interview, celui-ci soulignait « je suis séduit par le fait que l’esprit de notre bande-dessinée persiste dans ce nougat extraordinaire qui est ce projet » et il me semble que cela suffit seul à trancher toutes les polémiques inutiles. Certes, le travail de Besson est une déformation plus ou moins bien menée, mais il persiste un souffle, souffle qui, du papier à l’écran, ne devrait pas cesser de nous émerveiller pour les années à venir.