Mad Max : Fury Road : What a Lovely Day
Depuis quelques années, les studios semblent avoir perdu les quelques couilles qui leur restaient, désormais incapables de créer de nouveaux mythes, uniquement prêts à pondre des films de super-héros ou à remaker les classiques de l’époque où ils avaient des idées. Pour un Gravity et un Pacific Rim, une flopée de resucées : Robocop, Jurassic Park, Terminator, Star Wars, etc. A un public ayant faim de divertissement, on promet juste de resservir une soupe froide.
Puis Mad Max : Fury Road a montré le bout de son nez. Encore un retour à une franchise culte… mais les premières images avaient un goût autre que le réchauffé. Le papa Georges Miller lui-même au volant de sa vieille bagnole nous a pondu des bandes-annonces incroyablement alléchantes, au rythme sans concession et aux visuels à couper le souffle. Mais on était en droit de se méfier : après tout, la purge Godzilla avait été précédée d’une bande-annonce les plus kiffantes de ces dernières années.
La bête est enfin sortie. Et elle nous a roulé dessus.
Mad Georges
C’est très mauvais d’aller voir un film avec de trop grandes attentes. Et moi j’attendais Mad Max : Fury Road comme le messie. Désolé, je sais, c’est le meilleur moyen d’être déçu. Mais merde, comprenez-moi quoi : ces bandes-annonces à couper le souffle, puis ces avis dithyrambiques partout. Et j’ai toujours admiré Georges Miller. Non seulement ce type avait réalisé les deux premiers opus, posant sans complexe les bases indépassables du post-apo au cinéma (dans le 2 d’ailleurs plus que le 1). Puis, dans un changement de registre ouatedefeuquesque, il avait réussi à faire des chefs-d’œuvre avec un cochon qui parle et des pingouins qui dansent (Babe et les Happy Feet). Du coup, j’avais un peu l’impression qu’il pouvait transformer n’importe quoi en or. Peut-être même une de ces saloperies de reboots.
En fait non, il s’est dit que ce n’était pas assez ambitieux et qu’il allait plutôt remettre le blockbuster sur les rails en pondant non seulement un des meilleurs films d’action de la décennie, mais surtout un des meilleurs films tout court.
Notre héros. Voilà. Normal quoi.
100 km dans la vue
Je ne vais absolument rien griller du contenu du film, même si ça me démange de vous hurler « NON MAIS RENDEZ-VOUS COMPTE, Y’A UN MOMENT OU… ! » Ce serait utile pour vous convaincre mais il serait impardonnable que je vous prive de la découverte. Sachez que Mad Max : Fury Road fait avec une régularité bluffante tout ce qu’un grand film d’action est sensé faire, au point qu’il met une honte scandaleuse à tous les blockbusters récents, même les plus agréables.
Mad Max : Fury Road est une pure expérience vénère, ultra-bourrine et jouissive. Mais pas de ceux qui se disent « bof c’est débile, on va juste balancer la sauce, ça sera marrant ». Rassurez-vous, la sauce, il la balance et pas qu’un peu, mais sans recul cynique, avec un premier degré et une cohérence impeccable. Tous ses délires, même les plus hallucinants (et mon dieu, il se permet tout), sont amenés avec un soin tout particulier, une folie déroulée avec une logique imparable. On est face à un vrai film à l’ancienne, qui se respecte et qui respecte le spectateur. Il n’a pas besoin d’excuses pour être pris au sérieux, pas besoin d’effusions gores pour être trash, pas besoin de second degré pour faire passer la pilule, pas besoin de prétentions nolaniennes pour être pertinent.
Hyper-généreux en action, il n’en oublie jamais ses personnages. Mieux : ses personnages sont traités dans l’action, définis par ce qu’ils font plus que par ce qu’ils disent. Charismatiques, fous et pourtant nuancés, ils bénéficient de relations tendues autant que touchantes, et leurs évolutions sont mieux menées au fil d’une scène de camion que dans beaucoup de films dramatiques. Il n’en oublie pas non plus le sens, balançant un souffle révolutionnaire et féministe, sans pour autant lever le pied sur sa dose d’adrénaline. Mieux : l’utilisant pour lui donner plus de force.
Les fous du volant
A une époque où les super-productions sont souvent attendues et calibrées, suivant une partition sans risque et sans écarts, Mad Max : Fury Road joue en permanence avec les attentes. Un personnage paraît ne pouvoir aller que dans une direction : vroum, il négocie proprement son virage pour foncer dans une autre. Une situation semble mener tout tranquillement à sa seule issue : vroum, un écart en hors-piste sans une égratignure. Résultat : le destin de chacun est incertain, peut prendre un trajet touchant ou inattendu ; ce qui parait insoluble trouve un chemin surprenant ; et on se prend à vraiment craindre pour la vie des personnages, une fois qu’on a compris que non, le film ne vous prendra pas par la main et peut coller une balle dans la tête à n’importe lequel sans aucune pitié.
Charlize Theron en Imperator Furiosa : presque le vrai personnage principal
Le plus fort là-dedans, c’est qu’il s’agit globalement d’une immense course-poursuite, répétant toujours la même situation : une scène d’action à 200km/h. Comme l’a très justement analysé le troll Nemarth avec qui j’ai été le voir, c’est comme Bip Bip et Coyote : toujours la même chose mais c’est jamais la même chose. Avec une idée à la minute, un jeu fin entre les protagonistes, leurs relations et leurs enjeux, Mad Max : Fury Road ne se répète jamais.
Le sens du détail, parlons-en pour saluer la direction artistique absolument bluffante. Mad Max 2 avait posé les bases de la représentation du post-apo, sur lesquelles il ne restait plus qu’à faire des variations. Fury Road ne fait pas honte à son aîné, fourmillant de détails qui rendent le monde riche, impitoyable et crédible dans sa folie. Un sens du détail qui permet tous les délires, tous les excès, sans jamais que cela paraisse hors-propos ou abusif. Qui permet une lisibilité sans faille malgré un film qui va à toute allure et qui maintient sa tension en permanence. Qui permet de donner à tous les personnages une caractérisation, laissant le dit Max presque en retrait derrière ses partenaires. Un bon gros doigt d’honneur aussi au tout numérique qui accomplit le travail de titan d’être dantesque tout en faisant principalement appel à des effets réels.
Mad Max : Fury Road est une leçon de cinéma à tous les niveaux : d’écriture, de caractérisation, de rythme, de direction artistique et de mise en scène. Son monde est réel, palpable. Ses habitants sonnent vrais et inoubliables (la palme à un Nicolas Hoult en état de grâce). Bourrin et intelligent, affreux et beau, délirant et millimétré : c’est le nouveau manuel du blockbuster, rien de moins.