L’épopée de Gengis Khan : La chevauchée fantastique
On va démarrer cette semaine médiévale dans l’exotisme, loin des bons vieux chevaliers de chez nous, on va aller voir du côté de l’Asie centrale. Au XIIe siècle, les mongols sont répartis en dizaines de petites tribus qui se tapent dessus régulièrement, ce qui fait bien rire les Jins (peuple de Chine du nord) qui s’amusent à jeter de l’huile sur le feu pour avoir la paix. A un moment, Gengis Khan déboule et se dit que ça serait cool d’être une grande nation et pas juste trois éleveurs qui se volent des chevaux et des femmes.
Into the wild
C’est l’histoire de ce bonhomme que va nous raconter Conn Iggulden dans sa série Conqueror, publiée chez nous sous le titre L’épopée de Gengis Khan par Pocket et Presses de la cité. Dans Le loup des plaines, premier tome de la série, on découvre le petit Temüdjin qui vit tranquillement dans le clan des loups avec sa famille. Il a la belle vie parce que son père est Yesugei, le khan de la tribu. Mais quand ce dernier meurt ses enfants sont trop jeunes pour prendre la succession, et un guerrier prend la tête du clan en abandonnant la famille de Temüdjin dans les steppes, vers une mort certaine (parce qu’on va pas risquer de se disputer la succession dans quelques années non plus). Ils vont devoir survivre à l’hiver dans les steppes gelées, lui, ses quatre frères, sa mère et sa petite sœur qui vient de naitre. L’enfant vivra, il reviendra se venger, prendra le pouvoir, rassemblera les tribus et deviendra un des plus grands conquérants de l’Histoire.
Oui, l’histoire, la notre, parce que tout ça a bien existé, enfin à peu près. Conn Iggulden romance la vie de Gengis Khan en se basant sur des faits plus ou moins avérés et liant le tout avec son grand talent pour la narration et l’épique. Il complète d’ailleurs chaque tome par des notes revenant sur certains points qu’il a déformé ou inventé quand c’est nécessaire. Mais au final on est emporté sans problème par cette histoire et les dures épreuves qu’ont traversé Temüdjin et son entourage. Les clans mongols à l’époque c’étaient pas des marrants, ils appliquaient à peu près la loi du plus fort, se trouvaient des femmes en faisant des razzias chez les voisins, et la convention de Genève elle était encore très très loin.
La saga nous immerge parfaitement dans la culture tribale de ces guerriers à l’aide d’une foule de détails surprenants. On découvre un univers vraiment exotique où les hommes peuvent chevaucher des jours durant en dormant sur leurs selles, reprendre des forces en buvant le sang de leur monture et de l’alcool local, mangent de la viande faisandée un an sous terre, font du feu avec des bouses, ce genre de joyeusetés. Même s’ils ont des valeurs complètement opposées à nos civilisations, on arrive à comprendre leur philosophie et leur mode de vie. Bizarrement on va s’attacher à ces guerriers qui n’hésitent pas à tuer femmes et enfants sur leur chemin, qui vont faire de véritables génocides pour assoir la puissance de leur empire, qui vont s’entretuer pour des questions de jalousie ou de pouvoir. Cet attachement passe par un développement des personnages très travaillé, que ce soit Gengis, ses frères Kachium, Khasar, ses généraux Arslan, Suböteï, ou même ses enfants plus tard. Chacun nous est présenté avec soin, son caractère, ses qualités, ses défauts, ses conflits intérieurs, on a une vision claire de tous.
La conquête de l’ouest… Et de l’est… Et du nord…
Chaque roman de la saga va raconter une période spécifique de la vie de Gengis : Le premier tome présente son enfance et l’unification des tribus pendant son accession au pouvoir, le second volume Le seigneur des steppes nous parle de la première grande guerre des mongols contre les grandes cités Jin, tandis que le troisième, La chevauchée vers l’empire, nous fait découvrir la guerre contre les armées du Shah Mohammed du Khwarezm. Si le premier est très axé sur les drames humains et les luttes de pouvoirs tribales, les deux romans suivants sont beaucoup plus guerriers et militaires. Pas de panique cependant, on est toujours scotché aux personnages et l’auteur nous donne une vision limpide des batailles, même en étant un gros nul en histoire militaire on comprend tout, bien joué monsieur.
Derrière leur image de guerriers sanguinaires pas du tout usurpée, les mongols étaient des cavaliers exceptionnels qui arrivaient à tirer à l’arc au galop en manœuvrant leurs montures seulement avec leurs jambes, ils avaient une férocité et une endurance exceptionnelles qui ont terrorisé leurs voisins. On est régulièrement sur le cul à la lecture de leurs aventures, d’admiration ou de dégout selon les moments. Certaines scènes sont à la limite du choquant pour nous, des batailles réellement horribles comme la prise de la passe du blaireau ou le siège de la capitale Jin feraient passer nos armées actuelles pour d’indécrottables humanistes.
La progression des mongols dans l’art de la guerre est impressionnante, ils partaient de troupeaux d’archers montés et ont appris « sur le tas » à assiéger des villes, à infiltrer des espions, à manœuvrer des bataillons et coordonner des formations de dizaines de milliers d’hommes. A chaque conquête ils étudiaient et apprenaient de leurs adversaire, redoublant d’inventivité et d’observation pour voir ce qu’ils pourraient en tirer, recrutant des artisans et des soldats vaincus pour grossir leurs rangs et acquérir des techniques nouvelles. L’astuce et le sens de la stratégie du grand Khan sont aussi marquants que sa cruauté.
Le meilleur de du roman historique
On peut avoir l’image fausse qu’un roman historique sera comme nos cours d’histoire du lycée : une succession de dates et de faits barbants à peine liés entre eux, boursouflés de détails techniques sans intérêt… Mais l’épopée de Gengis Khan nous plonge au cœur du drame, nous attache à ses personnages. On croit en Temüdjin parce qu’on vit avec lui les trahisons et les épreuves cruelles qu’il traverse, on ressent son espoir de survie et son désir de vengeance grâce à la minutie et au talent de l’auteur qui prend son temps pour installer tout ça tranquillement mais nous piège dans son intrigue.
Je vous ai présenté tout ça comme une trilogie, et ces trois romans se tiennent bien puisqu’on a toute la vie de Gengis regroupée là-dedans et qu’on a très peu de frustration en terminant La chevauchée vers l’empire. Pourtant, la série Conqueror compte cinq romans. Les deux derniers, Empire of silver et Conqueror, n’ont jamais été traduits chez nous. Il faudra se tourner vers la VO ou prier les divinités de l’édition si vous voulez connaitre la destinée des descendants de Gengis, la conquête de la Russie et l’héritage de Kubilai Khan. Moi je dis, ça se tente.
Conn Iggulden a jamais eu de bol avec l’édition française. Sa première saga Imperator qui concerne la vie de César n’a aussi été traduite que partiellement chez nous (deux tomes à ce jour, aucun oracle digne de ce nom ne parie sur l’arrivée de la suite de son vivant) et pas de signe de traduction pour War of the roses, autre série acclamée sur la guerre des roses en Angleterre. Ventes décevantes, traduction difficile ou agent qui a fait tomber le contrat dans un seau à champagne au salon du livre, on ne le saura peut-être jamais. Ou alors grâce à cette géniale chronique le livre connaitra un succès phénoménal, poussant Les presses de la cité à reprendre les parutions de cet auteur devant un tel engouement. On peut toujours rêver.
Quoiqu’il en soit, la trilogie L’épopée de Gengis Khan est une série très enthousiasmante qui emportera le lecteur avide d’épique et de personnages charismatiques. Cette reconstitution romancée de la vie de Gengis Khan est un monument, et me pousse à m’intéresser au genre historique, moi pauvre lecteur de Fantasy qui ne s’était jamais intéressé à l’Histoire, la vraie, la notre.
je confirme chers amis trilogie aussi grandiose, glaciale et sans fin que la grande mer des herbes de la steppe mongole, j’ai dévoré les trois volumes en deux semaines, dépaysement garanti.