Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées, baroud d’honneur épique
Une séquence de nuit où presque plus aucune couleur n’est visible, si ce n’est le feu qui brûle dans et hors le Dragon, prêt à éclairer ce décor désaturé à l’unique lueur de la destruction. Une photographie qui fait furieusement ressembler le tout à une œuvre de John Howe, un des plus grands illustrateurs de l’œuvre de Tolkien et concepteur des visuels du film, avec l’autre prétendant à ce titre qu’est Alan Lee. C’est parti pour la fin d’un très long voyage débuté il y a bientôt 14 ans.
UNE ADAPTATION INATTENDUE
Difficile de parler du Hobbit : La Bataille des Cinq Armées indépendamment des deux précédents ou même de la trilogie du Seigneur des Anneaux, tant ils forment un tout. Je vais le faire quand même mais après un petit aveu nécessaire :
Je trouve en beaucoup de points la trilogie du Hobbit supérieure à son prédécesseur.
Voilà.
Jetez-moi des pitits cailloux dans les parties.
Allez promis je trolle pas, je vais peut-être même tenter une argumentation en-dessous.
Il est possible que l’aspect « nouveau » me fait adorer le Hobbit plus qu’une trilogie qu’on connaît en long en large et en travers. C’est un petit peu le petit cadeau de allez on vous en remet qui me prend par les sentiments.
Mais il y a d’autres raisons à cela. Déjà parce que pour quiconque a adoré du Seigneur des Anneaux l’aspect « communauté » plus que les étalages de légendes éthérées, le Hobbit est du pain béni. Oui, ces aventuriers hauts en couleur en galère partis sauver le monde avec leurs petits bras, nous dévoilant le merveilleux pas à pas plutôt que dans de vastes explications. Cet amour de Tolkien pour le petit au milieu de l’immense, pour le point de vue de celui qui en sait autant sur son monde que le lecteur lui-même, pour le merveilleux et le grandiose dans les yeux du modeste. Tout cela est plus encore au centre du Hobbit que dans Le Seigneur des Anneaux, noyé dans un milliard de points de vue et d’enjeux (ce qui était aussi sa force).
Il y a aussi ce qui a pourtant été fort reproché à Jackson : la différence dans les contraintes d’adaptation. Dans le première trilogie, il devait traduire dans le langage cinématographique trois pavés bien touffus gorgés de détails. Ici, c’est un seul tome qu’il a le loisir d’adapter en autant de films. Beaucoup de fans auront alors crié au scandale, au remplissage et à l’opération commerciale (imaginant sans doute que Le Seigneur des Anneaux n’avait pas une intention mercantile et qu’on fait uniquement des blockbusters à centaines de millions de budget pour l’amour de l’art). Puisqu’à moins que l’on ait sans me prévenir collectivisé l’industrie du cinéma, il est clair que les financeurs du projet voulaient se gaver. Est-ce pour autant l’unique volonté qui anime ce projet ? J’éviterai les procès d’intention et vous inviterai plutôt à vous faire une idée de la passion, de l’amour du travail bien fait et de l’ambition technique en regardant les vlog de la trilogie (sorte de making of fait en avance et particulièrement instructif).
Douteux ou pas (d’autant que seulement deux films étaient annoncés à l’origine), cet étirement renverse complètement les possibilités du Hobbit. Là où il fallait synthétiser et caviarder à l’infini dans Le Seigneur des Anneaux, Jackson peut maintenant développer à l’envie, transformant un détail anecdotique en une bataille titanesque entre deux géants de pierre pour une scène d’action haletante. Là où c’était beaucoup dans les choix de ses coupes qu’il amenait sa version de l’histoire, c’est maintenant dans ses développements qu’il épanouir sa vision.
Oui. Sa version. Sa vision.
Sacrilège.
Et on touche là au problème qui a le plus gros potentiel à faire sortir un fan de ses petits gonds orthodoxes, toute œuvre confondue : le problème de l’adaptation.
LA DÉSOLATION DU FANBOYISME
Je l’ai déjà évoqué dans l’article sur Iron Man 3 mais il y a pour moi deux écoles : ceux qui veulent une adaptation littérale et ceux qui veulent une adaptation fidèle.
Dans le premier cas, il y a forcément un soucis puisque le langage littéraire et le langage cinématographique sont très différents. Bon, disons qu’on puisse reprendre littéralement les faits en les transposant à l’écran pour en faire un bon film (ce qui est faux, mais admettons)… Il reste un autre soucis : Pour quoi faire ? Quel est l’intérêt de recopier un bon livre, une bonne BD, une bonne légende ? Qu’est-ce qui vient justifier par exemple un film comme Sin City, qui reprend case par case la BD, si ce n’est pour faire un petit exercice de style qui fera bien en fin d’étude de cinéma ? Sin City est bien parce que la BD est bien. Mais il est vain. On n’adapte pas une œuvre parce qu’elle est de qualité, on adapte une œuvre parce qu’il est pertinent de la raconter autrement, sur un autre support, entre les mains d’un autre auteur.
C’est ce que Peter Jackson a compris en voyant le potentiel de l’œuvre de Tolkien au cinéma, à une autre époque, sous un autre angle. Mais comment ose-t-il vouloir raconter son histoire avec notre cher SDA ? Quelle prétention ! Ou alors ambition nécessaire à qui prétend toucher à un tel monstre sacré. C’est exactement le même mécanisme qui a constitué la matière arthurienne, de l’agglomérat de légendes celtiques aux gestes de chevaliers jusqu’au Sacré Graal des Monty Pythons ou au Kaamelott d’Alexandre Astier.
Et c’est ce qui est à l’origine des hérésies de la première trilogie, comme les Elfes au Gouffre de Helm. Car Jackson n’a pas la même vision que Tolkien. Il est d’un autre temps et d’une autre culture. Il a un espoir que l’ami JRR avait perdu en voyant la guerre, moins de nostalgie d’un Âge d’Or révolu. C’est peut-être pour cela que ces Elfes sont venus mourir au Gouffre, descendant de leur piédestal d’origine pour agir autrement qu’en des incarnations éthérées d’un temps révolu. On retrouve cette vision dans le Hobbit, qui appuie la question de l’intervention ou non du peuple ancien plus que ne le faisait le livre.
D’ailleurs, le livre, soyons francs…
J’ai l’impression que ceux qui crient à l’infidélité ne l’ont pas trop relu récemment. Parce que le Hobbit, version Tolkien, est un chef-d’œuvre… pour enfants. Écrit pour nos chères têtes blondes bien avant que l’univers définitif ne prenne corps, il n’est que peu cohérent avec l’esprit du Seigneur des Anneaux, œuvre au ton plus riche et sombre (bien qu’on y trouve les mêmes thèmes chers à Tolkien). Il aurait alors fallu un Disney musical avec des Nains habillés comme leurs compères des jardins, partis avec leurs bites et leurs couteaux taper du vilain dragon. Sauf que pour Jackson, l’ordre est inversé et il a voulu le lier au Seigneur des Anneaux, à son Seigneur des Anneaux. Et ça, ça implique des changements radicaux, non pas dans les événements mais dans la façon dont ils sont dépeints. Voilà comment on se retrouve avec un nounours qui nous parle de génocide et de torture.
Mais alors ce troisième volet, puisque c’est de cela qu’il s’agit ?
LE HOBBIT : BASTON GÉNÉRALE
Comme dit plus haut, il y a une difficulté à le prendre à part. Vu ainsi, le film a une structure totalement impensable, puisqu’il s’agit, comme son titre l’indique, d’une énorme bataille. La scène d’ouverture vient satisfaire avec brio le cliffhanger de la Désolation de Smaug. Commencer par un climax et une résolution, ça calme sévère à l’apéro, d’autant que ça ne détonne pas avec la puissance des scènes précédentes avec Smaug. Mais il s’agit tout de même d’une intro puisqu’elle pose les bases du fil rouge de ce film : la bataille des Cinq Armées. Tout le reste du film n’est que la préparation de cet affrontement dantesque… et surtout l’affrontement lui-même.
Cette conclusion ne pouvait avoir la portée et la qualité du Retour du Roi, tout simplement parce qu’elle est cantonnée à cet événement. Fini les successions d’aventures et la découverte pas à pas d’un monde merveilleux. Imaginez un film qui ne tourne qu’autour de l’assaut de Minas Tirith et qui se termine après, sans le périple de Frodon, sans l’apothéose dans la Montagne du Destin et sans l’épilogue qui dure trois plombes. Fatalement, il serait malhonnête de dire que ce dernier Hobbit est à la hauteur de ses prédécesseurs si on choisit d’ignorer qu’il s’agit d’un tout.
Cependant, cette contrainte en tête, on peut réaffirmer que Peter Jackson est un maître comme il y en a peu. Il ne restait pas grand chose à prouver de sa capacité à mettre en scène des affrontements épiques, que ce soit sur un immense champs de bataille ou dans des duels suivant le destin intime de chacun dans cette cohue générale. Si vous n’aimez guère les moments de bravoure, vous allez trouver ça interminable puisqu’il n’y a globalement QUE CA. Il y a aussi moins de scènes interminables où ils crapahutent dans de beaux paysages, chacun son tour. Privé du merveilleux du voyage, le film en tire un ton beaucoup plus dur que les autres. Jackson et son équipe n’avait pas non plus grand chose à prouver dans leurs capacités visuelles, alliant toujours numérique et trucages directs là où beaucoup de productions ont cédé au 100% post-prod sur fond vert.
Mais Jackson n’oublie pas de boucler les enjeux qu’il avait installé dans les films précédents, même s’il le fait dans le feu de l’action. Il parvient même à lier thématiquement son Hobbit au Seigneur des Anneaux, appuyant la toxicité du pouvoir et de l’argent, leur vanité, leur attractivité et leur capacité de destruction. L’anneau, l’Arkenstone, les gemmes des Elfes et l’or des Nains : même combat. Plus encore, le principe même de la bataille relie l’idée de solidarité entre les peuples contre la barbarie, au-delà des vaines rancunes et guerres absurdes pour des richesses artificielles. Une fidélité à la philosophie de Tolkien plus importante que des querelles sur telle ou telle modification.
Bien sûr, on regrettera selon nos affinités les choix de Jackson. Pourquoi pas plus de Beorn ? Pourquoi ils vont pas là ? Il est où Tom Bombadil ? Mais c’était inévitable et ça n’a pas empêché son Seigneur des Anneaux de devenir aussi culte.
Certains railleront également certains travers, oubliant souvent qu’ils sont très exactement les mêmes dans la trilogie SDA qu’ils adorent : Les cabrioles complètement abusives de Legolas, le traitement cucul la praline à en crever des sentiments amoureux (qu’on vienne sérieusement me dire que la romance de Tauriel et Kili est traitée différemment de celles du SDA) ou l’utilisation de personnages à des fins uniquement comiques assez forcées. On reconnaîtra également les soucis jacksoniens habituels, notamment dans sa trop grande générosité dans le spectaculaire, qui lui permet à la fois d’être l’un des rares réalisateurs capable d’un tel souffle épique mais aussi lui empêche de savoir quand s’arrêter.
Plus incompréhensible, on notera des scènes importantes totalement gérées à la truelle à base d’effets de mise en scène ringards et basiques auxquels Peter ne nous avait pas habitué (difficile d’admettre que c’est le même mec qui a mis en scène la confrontation Smaug-Bilbo et ici l’introspection de Thorin dans la salle du trône).
Mais comme nous ne sommes pas entre cyniques qui boudent leur plaisir, on noiera ça dans l’immensité d’une œuvre, le boulot accompli à tous les postes créatifs, la sincérité des émotions dispensées (des fois un peu trop), la volonté de pousser plus loin la technique cinématographique, la cohérence de thématiques aussi simples qu’ambitieuses et la générosité des grands divertissements populaires.
En espérant qu’en disant au revoir à Tolkien version Peter Jackson, on ne dise pas au revoir à tout cela.
Une chanson mélancolique de l’ami Pippin pour dire au revoir au spectateur (et un peu plus dans le ton que celle du précédent)
Le Hobbit : La Bataille des Cinq Armées ne peut ni s’apprécier, ni se comprendre en-dehors d’une œuvre totale qui est l’une des rares des dernières décennies à s’imposer comme une véritable fresque épique et fondamentale.
Film à la structure bâtarde et limité par son contenu, il est le final jacksonien qu’on pouvait attendre avec sa générosité pleine d’excès, sa sincérité pleine de maladresses et la grandeur démesurée sans laquelle le cinéma s’enferme dans le cynisme.
Merci pour le commentaire argumenté, ça fait plaisir ;)
Par contre : si on commence à dire que des caractéristiques morphologiques sont un frein à une histoire d’amour, on est mal barré. Et concernant l’aspect « soudain » du coup de foudre entre les deux, celui entre Eowyn et Faramir l’est encore plus (j’invite à remater la scène où ils se voient pour la première fois, qui vaut son pesant de cucul la praline avec ventilateur dans les cheveux). Je parle bien sûr là des films, c’est un peu plus développé dans les livres (qui sont des pavés, donc forcément).
Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a strictement aucune différence dans la façon de traiter ces passages dans le Hobbit et dans le SDA (après on peut trouver que c’est pourri dans les deux trilogies, mais pas dans une seule). Remember la scène érotico-rose bonbon où Aragorn et Arwenn se voient en rêve.
Bah en fait, si, l’histoire d’amour entre Kili et Tauriel est traité infiniment plus maladroitement que celles du SDA.
Déjà, ne serait-ce que par sa nature : un amour entre un nain et une elfe? Morphologiquement c’est déjà compliqué… mais même si on se penche sur les caractéristiques des deux races telles que les a décrites Tolkien, c’est juste du foutage de gueule. Que je sache, il n’y a rien de tel dans le SDA. Les elfes et les nains ont des personnalités opposées, des coutumes différentes. Les premiers sont immortels tandis que les seconds sont mortels… Les elfes sont aériens ou sylvestres, ou encore attachés à la mer (cf Cirdan et les Havres Gris), les nains sont des êtres de la montagne et de la terre. Les nains sont bourrus, colériques, les elfes sont pondérés, calmes… On peut continuer encore longtemps, voilà autant d’éléments qui rendent une histoire d’amour improbable.
Mais second point, admettons malgré tout que cela se produise( après tout, les contraires s’attirent). Regardons un instant le SDA. Il y a un réel effort pour montrer les différences entre Aragorn et Arwen, qui, rappelons le, est un Numénoréen ( donc un homme un peu particulier quand même) , un réel effort aussi pour faire envisager que c’est une histoire qui s’est construite sur le temps long ( on apprend dans le film qu’Aragorn a été élevée a fondcombe + il connait très bien Elrond + il parle l’elfique, etc..). Il y a toute un questionnement autour de la mortalité /immortalité, bref. Jackson fait bien comprendre au spectateur à quel point une telle chose est exceptionnelle, notamment en évoquant un des seuls autres cas dans l’histoire de la terre du milieu -> Beren et Luthien au début de la version longue du 1. Autant d’éléments qui donnent une certaine épaisseur à l’histoire d’amour ( improbable) entre Aragorn et Arwen. Regardons maintenant la façon dont est amenée l’histoire d’amour entre Kili et Tauriel. Bah en fait elle est pas amenée. » on tombe amoureux paske on on se trouve beau »…. Merci ! c’est beaucoup trop soudain et donc juste ridicule. C’est là toute la différence entre le SDA des anneaux de Peter Jackson et son Hobbit : il y a un effort manifeste de cohérence dans le premier, même s’il est amené à faire des choix/ajouts contestables, effort qu’il conchie royalement dans le Hobbit. On me dira que c’est qu’une petite histoire cette sauterie nain-elfe. Non. c’est la fin du 2, de nombreux passages du 3. ça casse totalement le pathos. On se marre au moment où on est pas censé le faire. Mouais.