Godzilla, ou les tribulations d’un marine américain
Je n’aime décidément pas attendre un film. Non que je manque de patience mais parce que les moindres espoirs que j’avais pu placer dans une œuvre à venir sont à chaque fois foulés au pied avec violence. Avec cette nouvelle apparition de Godzilla je me suis fait une nouvelle fois avoir par un certain sentiment d’enthousiasme au visionnage des premiers teasers. Les images à l’esthétique subtile, le nom du réalisateur, la volonté apparente de couper avec le précédent de 1998, me laissaient augurer du meilleur. Le retour sur notre bonne vielle terre a été long et pénible et le supplice n’aurait pas été complet sans une bonne grosse migraine servie en bonus par une 3D inutile.
Vous l’aurez compris, ce nouveau film mettant en scène le plus célèbre des monstres du cinéma avec le roi des singes, ne m’a guère convaincu et pourtant, il possède un potentiel très intéressant sur lequel nous reviendrons plus loin. Pour l’heure il me semble opportun de pointer d’un doigt vengeur ces maudites bandes-annonces, aussi mensongères qu’une cohorte de camelots télévisés : elles sont tellement bien ficelées et rythmées qu’elles finissent par être absolument à l’antithèse du film, rien de moins.
Si elles suggèrent de l’action trépidante, des sentiments exacerbés, la présence de monstres… le film lui préfère s’enferrer dans la soporifique histoire mièvre et consensuelle d’un brave Marine américain en rupture avec un traumatisme de l’enfance et noyant son chagrin dans l’idéal étasunien. Ne cherchez pas mes braves des personnages en perdition et marginaux, rongés dans les tréfonds de leur âme, ce n’est pas, sans doute, assez vendeur. Même le père incarné par Bryan Cranston, qui s’approche de cet archétype, n’arrive jamais à glisser au delà de la raison dans une vraie paranoïa, on expédie le traitement de son cas à travers son appartement en désordre, sa barbe de trois jours et une malheureuse infraction… Je ne souhaite même pas m’étendre sur le héros, plus lisse qu’un postérieur de babouin. Rien de l’effet souhaité ne se dégage des premières scènes, elles se contentent d’être longues et sans la moindre esthétique.
L’emploi de tels personnages menait de toute façon à l’échec sur ce point. Narrer le quotidien d’une famille de jeunes-beaux amoureux, parents depuis peu, avec monsieur Marine et madame infirmière ne comporte rien de palpitant.
Est-ce pertinent de nous les montrer s’engluer de tendresse dans un film de monstre ? Uniquement si cela sert de contre-point dans le déroulé du récit, afin de mettre en exergue une rupture. Or dans ce film, et on y reviendra, ce serait demander trop de subtilité, non, il fallait rassurer la ménagère. On est à l’exacte opposée de The Host, génial film de monstre coréen, qui a su, lui, jouer avec les codes pour mieux les renverser et livrer une œuvre largement plus profonde que ce triste Godzilla nouvelle façon.
On se rassure alors comme on peut en se disant qu’il faut bien poser des fondations à cette histoire avant de se lancer dans le vif du sujet ; faut-il être optimiste…
L’histoire « s’emballe » par la suite ; ne concluez pas trop vite que l’action est au rendez-vous et que le rythme se met en marche. On est plutôt dans l’idée qu’il se déroule quelque chose à l’écran qui possède un vague intérêt. On voit des bestioles, fort sympathiques, qui cassent quelques trucs, mais on n’oublie jamais de nous flinguer ces scènes d’action par un focus sur un élément totalement inutile.
Comme symbole de cela je prendrais l’exemple de Godzilla qui sort de l’eau. Je fais un petit SPOIL ici, alors ami lecteur qui souhaite se réserver le « plaisir » de la découverte, saute quelques lignes. On est sur une plage, de nuit. C’est apparemment festif, les vacanciers dansent et s’amusent. Une petite fille s’avance vers les flots et se rend compte que la mer s’est retirée. Le père la remarque et la prend avec lui en hurlant au tsunami, car en effet, quand Godzilla se pointe, ça brasse un peu. On aurait pu s’en tenir là, mais non, il faut rester bloqué quelques scènes de plus sur la gamine, jusqu’à nous montrer qu’elle est mise en sûreté…Fin du SPOIL.
Si c’était le seul exemple encore, on pourrait dire à bon droit que je pinaille, mais on nous réserve tout de même quelques perles du même tonneau, tout aussi inutiles. Souvenons-nous de cette magistrale scène dans Pacific Rim où la jeune Japonaise est poursuivie par un Kaiju ; Del Toro a su, lui, théâtraliser ce moment par la composition et la musique.
Dans Godzilla ces éléments semblent simplement allogènes voir parasites. Gratuits, ils ne servent pas le propos et participent de cette banalité dont est nimbé le film.
Malheureusement, ne s’arrête pas là les déboires du spectateur. Au moment donc où cela semble s’emballer un peu, où on voit la bête, celle pour laquelle on s’est tous déplacé, la mise en scène s’amuse à nous troller de la pire des façon avec un sadisme subtil, presque artistique. Imaginez, Godzilla est en train de tout péter, il débute son combat contre un des monstres, on est collé au fauteuil avec un sourire de gosse sur les lèvres et c’est le moment choisi pour focaliser sur la femme du Marine qui se met à l’abri (on s’en cogne totalement) ; les portes se referment sur le moment épique…
Je trouve déjà abominable de tendre une friandise à un chien pour la lui retirer avec un sourire sardonique, mais nous faire subir la même chose, après des méandres soporifiques d’un pauvre récit sous assistance respiratoire, c’est au-delà de l’entendement humain et dénote une certaine accointance du scénariste ou du réalisateur pour des persécutions perverses qui ne devraient pas quitter les replis de velours criards des pires bouges de campagne…
Le réalisateur, qui n’est certainement pas le seul à incriminer dans ce ratage, m’a semblé un peu mal à l’aise dans la gestion d’un film de monstres de la trempe de Godzilla.
Il s’était illustré dans un travail intimiste et original avec son très personnel Monsters, très prêt des humains, noyé dans un univers qui les dépasse. Il avait brillamment réinventé les codes, faisant de ce film un récit poétique et habile. Mais dans celui-ci, probablement pas aidé par l’absurdité du scénario, il s’accroche à des personnages creux dont le porte étendard reste le Marine. Je l’ai désigné par un qualificatif simiesque plus haut, mais je crois qu’il faut en rajouter un couche. On ne sait pas vraiment ce qu’on veut en faire ; à la fois une simple victime d’événements qui le dépassent et, sans prévenir, grâce à sa fort opportune profession dans l’armée, on le bombarde au premier plan comme homme providentiel…
C’est tellement artificiel, tellement grossier, tellement vu et revu qu’on se demande ce qui va nous sauver, au bout de l’ennui, d’un sommeil de plomb.
C’est alors, au moment où tout paraît perdu, que la bataille pour un bon film semble totalement jouée, que la désertion gronde, alors seulement, comme les cors des Rohirrim roulant sur les champs Pelennor, un OVNI cinématographique vient se poser au milieu de cette fange. Ce que l’on attendait depuis les premières minutes, qu’on nous a donné à flairer tout au long de ces interminables scènes de batifolage, cela se produit alors sur l’écran ! L’atmosphère glisse brutalement vers l’apocalypse. Le ciel lourd, chargé de nuages d’orage et de suie, recouvre une étendue de cauchemars dans laquelle les immenses créatures vont entrer en contact. Godzilla est énorme, monstrueusement et prodigieusement énorme, traînant inexorablement sa masse considérable, au milieu des buildings pulvérisés, vers ses proies. Sa volonté est primitive et bestiale comme le sont ses adversaires. Par les monstres, l’humanité est ravalée au rang de l’amibe ; parfaitement invisibles, négligeables, nos petits égos se voient replacés dans une position plus modeste que celle que nous nous plaisons à occuper dans le règne du vivant. Cette explication par les faits est nettement plus convaincante que la phrase du Japonais sur la toute puissance de Mère Nature. Sur cette question, plutôt que des trips écolos mous des gonades, je préfère de loin l’emploi d’une force brute vengeresse incarnée par des milliers de tonnes de barbaque énervée. Dans ce sens je crois qu’il aurait été pertinent d’axer le propos autour du péril mortel pour l’humanité que représentent les monstres, accentuant par là l’aura mystique des créatures antédiluviennes (j’adore ce mot) et du même coup les enjeux profonds de l’histoire, ce qui lui aurait permis d’en avoir.
Mais revenons-en au film. Nous en étions dans cette fin mémorable et rythmée, à l’esthétique soignée qui m’a fait penser parfois à des illustrations de John Howe pour le Seigneur des Anneaux.
La courte scène où Godzilla passe son immense tête à travers une nappe de poussière et regarde le « héros » (sic), est même poétique en plus d’être bien filmée. Il est à signaler que la grosse bébête dégage à ce moment là plus d’émotion que le reste de l’œuvre réunie. Durant quelques minutes dans le film, tout est juste et la musique de Ligeti, complètement hallucinée avec ce concert de voix, participe à l’immersion. C’est original et éloigné des musiques Zimmeriennes qu’on nous sert à toutes les sauces pour faire solennel et épique. Là il n’est nul besoin de faire donner tout l’orchestre et cela prend franchement aux tripes.
Mais voilà, alors que Godzilla semblait s’être amendé, avoir trouvé une raison d’être porté une nouvelle fois à l’écran, une abominable fin, d’une mièvrerie assourdissante, vient torcher d’un revers de manche grasse ce que le réalisateur a réussi à construire de bien dans la purée de navet. On sort d’une vision cauchemardesque de fin du monde et de péril de l’humanité pour être balancé dans un happy-end de Disney sans les chansons. La tension retombe d’emblée dans un joli soleil et le rideau tombe sur un consternant constat.
Jamais le film ne réussit à décoller. Tout y est poussif et retenu. Rare sont de nos jours des gens capables de transporter leurs spectateurs dans un voyage rempli de jouissances visuelles et conceptuelles. Ce Godzilla n’est qu’une triste bouillie pleine de suffisance, incapable d’assumer son genre. Il ne reste qu’à se dire que Del Toro a fait Pacific Rim et que c’est tout ce qui compte !