Films Marvel #4 : Avengers
Avengers : Un carré d’as et un joker
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Dès les premiers films Marvel, il paraît évident qu’un projet Avengers va être l’aboutissement de leur logique. Le film est même en développement depuis 2005 et la boîte s’amuse dès le début à faire baver le public devant cette folle possibilité, à coup de clins d’œil et d’effets d’annonce. La Warner, propriétaire de la Distinguée Concurrence, a même cherché à les prendre de court avec un film Justice League réalisé par George Miller (le grand monsieur derrière Mad Max ou Happy Feet) qui sera arrêté en plein développement.
Si cette perspective provoque dans la partie geeko-reptilienne du cerveau de petites explosions thermonucléaires d’endorphines, il suffit de reconnecter le reste de ses neurones pour ressentir quelques craintes justifiées.
Car oui, cette perspective nouvelle pose de réels problèmes.
La banane c’est bon. Le foie gras aussi. Mais la banane flambée au foie gras ?
Tout d’abord, comment faire fonctionner dans un seul blockbuster autant de gros personnages ? Je veux dire putain : un géant vert, un milliardaire en armure, un dieu nordique et un super-soldat de 39-45 ! Paye ta cohérence, autant au niveau visuel que thématique, sans parler de l’équilibre entre leurs pouvoirs respectifs, leurs personnalités, etc. Un enfer de narration.
C’est bien beau d’avoir fait des petits sous-entendus et du fan service plus ou moins discrets entre les franchises mais réunir le tout pour de vrai en 142 minutes, c’est une autre paire de manches. Si les lecteurs de comics sont habitués à ce genre de gloubiboulga, il va falloir faire avaler le gros bout de pop-corn au « grand public », cette entité mythologique seule capable de rentabiliser des productions à centaines de millions de brouzoufs. Et un grand public international qui plus est, c’est-à-dire qui n’a qu’une vague idée de ce qu’est la Comic Con ou un crossover.
Fan-art à la bien par TheBabman
Le format cinéma n’est pas celui de la BD : les comics sont conçus comme des feuilletons, des histoires à suivre peu onéreuses qu’on peut bouquiner jusqu’aux toilettes. C’est un médium adapté à la fidélisation. Mais un film c’est court, ça coûte cher la séance en IMAX 3D, faut s’y déplacer, etc. Et là on nous proposerait un machin qui est en fait la suite de quatre sagas différentes ? Autant quelqu’un peut s’être laissé tenter par un Robert Downey en armure hi-tech mais ne pas s’être déplacé pour ce mec habillé en drapeau américain. Des gens qui d’ailleurs n’ont pas forcément intégré que Superman, c’est pas un héros Marvel, que les X-Men si mais pas au cinéma, que le nouveau Spiderman c’est un reboot mais toujours pas Marvel, etc.
Si on a pu entendre ça et là que le film est fait pour ne pas rebuter un public ne s’étant pas tapé l’intégralité des précédents, il s’agit d’une simple annonce pour rassurer et surtout d’un bon gros mensonge. Soyons honnête : Avengers ne va pas re-présenter tous ses héros, il a déjà bien à faire pour les réunir, alors si vous n’avez pas quelques bases, attendez-vous à une grosse impression de ouate ze feuque.
Alors à qui Marvel pourrait confier ce cadeau empoisonné ? Qui est l’homme qui tombe à pic ? L’homme qui valait 220 millions de dollars ?
Quand soudain, Joss Whedon.
Là encore, notre cerveau geek primaire enclenche à cette annonce en 2010 une impressionnante inondation de sous-vêtements. Mais un processus cognitif plus rationnel hurle « KEUHAAA ?! » Je m’explique : le choix de Whedon pour non seulement réaliser Avengers mais aussi superviser l’ensemble des productions du Marvel Cinematic Universe représente la quintessence des partis pris de la boîte.
Si vous n’avez pas autour de vous un gros fanboy qui vous a bassiné à coup d’hyperboles sur sa vie et son œuvre, je vais vous situer le bonhomme. Parce que notre ami Joss n’est pas vraiment un monsieur qui pèse lourd dans le domaine du blockbuster, ni même dans celui du cinéma tout court. On pourrait même dire que dans son genre de prédilection, la série télé, il n’est pas vraiment tout-puissant.
Scénariste de formation, il a participé à plusieurs films (X-Men, Speed, Toy Story, Alien 4) dont le navrant Buffy contre les Vampires. Il a été si insatisfait du résultat (on le comprend) qu’il en a fait la série qui l’a propulsé sur le devant de la scène. Si pour vous la série Buffy n’est qu’un vague souvenir ado en VF moisie sur M6 à ranger aux côtés de Charmed, sachez qu’elle est largement considérée comme culte, voir même une des meilleures séries teenage jamais écrite. Cette réputation tient à ce qui caractérise le travail de Whedon : une écriture chiadée et pleine d’esprit, une excellente caractérisation des personnages et une capacité à aborder de très nombreux thèmes sous le prisme du divertissement.
Mais au-delà de ce succès (suivi du spin-off Angel), c’est le drame whedonien qui lui a valu à la fois une réputation d’auteur maudit et un statut de pape geek.
Ses deux séries suivantes, malgré un succès d’estime et un statut culte à posteriori, ont été annulée : Dollhouse tient deux saisons avec un dénouement rushé, Firefly ne voit même pas le bout d’une première saison.
Autant dire que lorsqu’il est choisi par Marvel, Whedon n’a pas le vent en poupe et n’est pas la personne la plus évidente pour réaliser le blockbuster des blockbusters. Sa seule expérience de réal’ au cinéma, est son film Serenity, produit sous la pression des fans pour donner une fin à Firefly, et très loin d’être un gros budget (39 millions, contre 220 pour Avengers). S’il est réputé, ce n’est pas pour ses talents de metteur en scène mais pour son écriture et sa production. Ce n’est pas non plus pour sa bonne entente avec les studios. D’ailleurs, lors de la grève des scénaristes en 2007-2008, lui et sa garde rapprochée (dont Neal Patrick Harris et Nathan Fillion) ont sorti une web-série disponible gratuitement : Dr Horrible Sing-Along Blog, une comédie musicale super-héroïque faite avec des bouts de ficelle et beaucoup de talent, qui a cartonné en ligne, et dont le but était de montrer que c’était les créateurs qui faisaient les bonnes séries, pas le studios.
Comment passe-t-on de ça au troisième plus grand succès de l’histoire du cinéma (inflation non prise en compte) ?
Showrunner must go on
Il n’y a aucun spoiler dans ces crédits de fin,
ils sont juste stylés
Comme expliqué dans les articles précédents, c’est le Marvel way of doing des flims : recruter un outsider peu cher mais disposant de qualités intéressantes. En effet, Whedon est abordable (plus que Favreau, réal’ d’Iron Man qui se sentait pousser des ailes et du compte en banque, et se voyait bien transformer l’essai avec Avengers). Il est aussi un moyen très sûr de s’attirer les bonnes grâces des « geeks », cette communauté aux contours flous et largement auto-proclamée, qui fait la pluie et le beau temps depuis quelques années sur les grosses productions (SF, fantasy, fantastique, adaptations de romans, BD, etc.).
Il a également déjà bossé pour Marvel sur les BD X-Men, dont il a signé avec John Cassaday ce que je considère – mais je ne suis pas le seul – comme l’une de leurs meilleures périodes. C’est un passionné de comics dans l’âme, il sait ce qu’il veut y trouver. Whedon est également un auteur spécialiste du trait d’esprit, de la phrase choc et du rythme. Il a l’habitude de faire fonctionner des groupes nombreux et hauts en couleurs. De plus, Marvel ne l’embauche pas que pour écrire et réaliser le film mais pour superviser toute la production de cet univers qu’ils veulent cohérent.
Là on touche du doigt LA spécificité du Marvel Cinematic Universe dans l’histoire des productions audiovisuelles.
On dit depuis quelques années que les séries se sont rapprochées du cinéma : plus ambitieuses, mieux réalisées, plus soignées visuellement, toujours plus chères à produire, s’adjoignant maintenant des superstars issues du grand écran.
La réciproque est vraie, surtout dans le cas Marvel. De nos jours, la plupart des gens sont au moins autant sérievores que cinéphiles. Ainsi, produire des films se passant dans le même univers, jusqu’à se rejoindre dans l’apothéose qu’est Avengers, est une logique héritière des comics eux-mêmes mais aussi des séries TV. Les gens sont désormais habitués à suivre de longues heures de programmes et à se fidéliser. Ils aiment accompagner des personnages sur de longues périodes, repérer les clins d’œil, engranger un maximum d’informations. Et ça, Marvel l’a bien compris et s’est fait précurseur d’une nouvelle façon de penser les productions.
Pour aller un peu plus loin, je pense que le succès de l’aventure Marvel n’aurait pas été possible sans l’ère du téléchargement illégal et du partage de contenu. Il est très clair (sauf pour quelques aveugles) que le succès actuel des séries en dépend largement. On s’abonne et on achète parce qu’une série est téléchargée, partagée, fait le buzz, etc. De plus, la nécessité de se taper les blockbusters d’avant pour comprendre le nouveau aurait dû être un handicap. Mais cette crainte est obsolète du fait de notre nouvelle façon de consommer le spectacle : Vous avez vu les deux Iron Man mais vous avez loupé Hulk, Captain America avait l’air nul et Thor c’est quoi ce truc ? Pas grave. Vous les téléchargerez bien. Ou on vous prêtera le DVD. Ou vous en materez un bourré avec un copain qui vous le conseille. Vous êtes donc tout à fait apte à payer votre place pour Avengers même si vous ne l’avez pas fait pour ses prédécesseurs.
Un peu de prévention pour rappeler que le piratage, c’est mal
Alors comment gérer des franchises qui sont en fait une énorme série au cinéma à très gros budget ? Et bien suivons l’exemple des séries télés : il faut un showrunner. Car dans les séries, ce ne sont pas les réalisateurs les maîtres à bord, ce sont les producteurs exécutifs, souvent créateurs du concept, scénaristes en chef et responsables de toute la production (le ton, le visuel, le casting, le bon déroulement, la vision globale). Et Whedon, showrunner, c’est son métier.
Un film aussi cool qu’il en a l’air ?
https://youtu.be/tY9DnBNJFTI
Que l’on soit bien clair, ces lignes sont écrites par un crétin qui a été voir Avengers trois fois au cinoche, maintes fois en DVD. Jamais vous ne me verrez pour autant le comparer à un Gravity par exemple. Tout simplement parce qu’il me semble être possible d’avoir des attentes différentes selon les films et les prendre pour ce qu’ils sont. Et Avengers est un film qui est aussi cool qu’il en a l’air. Non seulement, il esquive avec brio tous les écueils dans lesquels il aurait pu tomber mais surtout il est exactement ce qu’on peut en attendre… en mieux.
Pour essayer de résumer, je dirais qu’il y a deux écoles ces dernières années pour le genre super-héroïque au cinéma : l’école Dark Knight et l’école Avengers.
Dans le premier cas, on cherche à moderniser la mythologie pour raconter une histoire plus actuelle, sombre ou mature (utilisez le terme à la mode qui vous fera le mieux briller en soirée). De toute façon, il est très rare qu’un film de super-héros soit directement adapté d’une seule BD. On va piocher à droite à gauche certaines idées, scènes, etc. (Batman Year One ou The Dark Knight de Frank Miller pour les Batman de Nolan par exemple). On utilise le personnage et son folklore dans sa dimension mythique. Il est donc tout à fait possible d’en proposer une réécriture plus rationnelle, épurée de son côté comic book, comme c’est le cas pour Dark Knight (ici je parle du film, pas de la trilogie, puisqu’il me paraît le meilleur à ce niveau-là). Cette méthode a pour avantage d’apporter des thématiques intéressantes, de s’attirer un large public allergique aux collants lycra et d’avoir les louanges de Télérama. Nolan n’est d’ailleurs pas un amateur de comics même s’il y a trouvé un matériau pour ses histoires.
Avengers, c’est l’autre façon de faire, héritière de celle de Sam Raimi sur Spiderman par exemple. On prend à bras le corps tout ce qui fait le sel des comic books et on crie haut et fort sa passion pour les répliques chocs, les costumes flashies et les mecs qui se tapent dessus à coup de super-pouvoirs. Si le cousin se pose comme la version « adulte » (ce qui est une dénomination stupide mais passons), ces films-là sont la version qui assume son adolescence, à la frontière entre une passion infantile et une maturité pas encore méprisante.
Whedon (et bien sûr l’énorme équipe Marvel qui a bossé sur le film) a apporté à Avengers tout ce dont je parlais plus haut :
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Des dialogues funs, plein d’esprits et rythmés, avec une sens de la punchline fabuleux ;
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Un équilibre entre les personnages que seul pouvait trouver un habitué des séries chorales. Mais surtout les trois choses qui doivent ressortir de ces groupes hétéroclites : les ressorts comiques ; les conflits et contradictions ; les synergies. Même Black Widow (quasi-seul personnage féminin, qui est pourtant la spécialité du féministe assumé qu’est Whedon), Nick Fury et Hawkeye ont leur espace au milieu des géants.
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Mieux que ça : une version encore plus caractérisée des personnages. Disons que Tony Stark, Loki ou Thor sont égaux à eux-mêmes, mais ils bénéficient de ce buff d’écriture savoureuse apporté par Whedon. Captain America, c’est bien simple : le film, en le catapultant directement de 39-45 à nos jours, a la lourde charge de devoir traiter cet aspect majeur du personnage et d’être une sorte de Cap 2 en plus d’un Avengers. Et Hulk, qui est de loin mon chouchou : je ne l’ai jamais vu aussi habité (les mimics discrètes, la façon gênée de se placer et de parler de Marc Ruffalo) et aussi bourrin (sans déconner la confrontation avec Loki : meilleures 10 secondes de tous les films Marvel réunis).
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Un amour passionnel du comic book, du divertissement et du grand spectacle, sans aucune prise de recul méprisante. La structure du film est d’ailleurs celle, courante dans ses équivalents en BD, c’est-à-dire – pour paraphraser la Cité de la Peur – they meet, they fight and then they are friends. Parce que quand, dans une BD, on annonce que Super Jean-Michel va rencontrer Clodomir-man, on veut qu’ils combattent une menace commune mais aussi qu’avant ça ils se tapent dessus pour jouer à celui qui pisse le plus loin.
Les quatre piliers des Avengers par Andy Helms
Bien sûr, on pourra arguer beaucoup de choses : que le film n’est pas très profond, que c’est juste un pur orgasme geek, que c’est de l’action et des punchlines, etc. Mais à mon sens, c’est difficilement recevable dans la mesure où Avengers ne peut pas à être autre chose. Et franchement, qui voudrait que ce soit autre chose ? Si vous n’aimez pas ce genre de choses, après tout, qu’attendiez-vous d’un Avengers ? Sérieux ?
Mais ce qui m’a le plus surpris dans le film, c’est là où je n’attendais pas Whedon. J’aime vraiment Joss mais rien n’indiquait qu’il soit un bon réalisateur. Certes, avec une bonne direction artistique et un directeur photo correcte, les échanges entre les persos devraient rouler comme dans une bonne série. Mais quid du spectaculaire dont on était en droit d’attendre qu’il soit un cran au-dessus des films précédents ?
Et bien c’est simple : ça n’arrête pas. Pire : ça en fout plein la gueule. Le film ne cesse de bouger et les échanges susnommés ne font qu’apporter plus d’enjeux aux confrontations. Le réalisateur s’est montré totalement capable de poser de purs morceaux de bravoure jouissifs à plusieurs millions de dollars. A bien y réfléchir, lui qui aimait déjà amener de l’action dans toutes ses séries, il lui fallait juste le budget pour qu’on ne l’arrête plus. En témoigne les vingt dernières minutes dantesques d’action et de destruction non-stop (dans un bordel si total qu’on n’a pas vraiment l’occasion de se demander ce que foutent les méchants à part tirer partout sans objectif précis). Ça explose, ça bastonne en faisant des phrases chocs, ça prend des poses bad ass / sexy, ça plan-séquence-de-l-infini. Un grand moment de divertissement généreux, passionné et totalement conscient de ce qu’il fait : c’est comme cela que je résumerais cette scène mais aussi tout le film Avengers, le blockbuster qui m’a rappelé pourquoi j’aimais bien aller en voir.
POST-GÉNÉRIQUE
INTÉRIEUR NUIT
Devant son PC, Bolchegeek fait défiler les niouzes de superherohype.com. Il a l’air inquiet. Avengers a été une sorte de point culminant dans une logique de production aventureuse. Mais la suite ? Fallait-il en rester là ?
Ant-Man est toujours une arlésienne, bloqué dans un enfer de production. Le personnage, pourtant un des Vengeurs originaux, a raté le coche du premier film et n’est toujours pas prêt de sortir. Edgar Wright, qui planche dessus depuis longtemps maintenant, est un nom qui promet pourtant un remède à l’essoufflement.
Et Hulk alors ? Bolchegeek aimait bien le premier film – comme à peu près trois personnes dans le monde – et pas seulement pour Jennifer Connelly. Edward Norton avait campé un Banner encore meilleur mais s’était fait dégager. Ruffalo, à sa grande surprise, s’était avéré encore un cran au-dessus, notamment du fait de l’excellente écriture du personnage dans Avengers. Pourtant, pas de nouveau film solo à l’horizon.
Il faudra se contenter de suites pour Iron Man, Cap et Thor. Le soufflet va-t-il enfin retomber, signant la décadence du Marvel Cinematic Universe ?
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