Elysium, un jeu de demi-dieu pour une déception complète
Raaah bon sang de bois, que cela m’embête. Et oui, je ne suis pas de ces critiques qui se frottent les mains rien qu’à l’idée de donner un avis négatif sur un produit quel qu’il soit. En particulier quand, comme Elysium, ce produit a bénéficié d’un véritable travail de passionné. A la limite, cartonner un film ou un jeu qui est un gros foutage-de-gueule et qui est juste là pour faire de la thune en profitant de la crédulité des gens, là je peux me lâcher, les gars prêtent le flanc. Mais le jeu Elysium n’est pas de ceux-là : avec ses magnifiques illustrations, son rangement exemplaire et son univers épique (la mythologie grecque), il y avait beaucoup à en attendre. Malheureusement, en ce qui concerne la rédaction du Cri du Troll, c’est raté.
La te-boî, comme disent les jeunes
Dans le dédale des règles
Les règles d’Elysium… Haaaaaaaa ces fameuses règles qui nous ont arraché des rires épuisés. Pour être franc, les règles du jeu sont simples. Quand on a compris, ça va. C’est justement le « quand on a compris » qui pose problème.
Nous avons testé le jeu chez notre rédac’chef Lazylumps, dont l’hospitalité n’est plus à prouver. A la différence d’Abyss, dont je connaissais déjà les règles, nous n’avions aucune idée du but du jeu d’Elysium. Nous avons donc pris la décision de découvrir les règles ensemble grâce au livret. Et là, horreur, malheur, désarroi, langueur : c’est un bordel sans nom. Vous savez, ce livret me rappelle mes cours de fac, avec ces fameux monologues interminables de certains agrégés érudits qui ont l’impression d’être clairs alors que ça fait déjà un bon quart d’heure qu’ils ont perdu toute leur assemblée d’élèves (parfois depuis l’explication du titre). Les auteurs, pour présenter un jeu aux mécanismes au final simples, multiplient les détails, les termes inutilement techniques et les « voir plus loin » qui rendent le suivi extrêmement pénible.
Nous nous sommes relayés pour expliquer les règles depuis ce livret fastidieux au possible. Ici, c’est Flavius qui s’y colle ! « Have fun » Flavius !
Mais une fois qu’un être sensé a pigé et qu’il est en capacité de tout retranscrire à ses copains, le constat est sans appel : tout ça pour ça ? Voici donc mon conseil perso : lorsque vous y jouerez, choisissez le membre de votre groupe que vous aimez le moins et collez-le à la lecture des règles pendant que vous irez vous enfiler des binouzes en regardant du catch féminin avec le reste de vos potes. Quand « l’heureux élu » aura fini de tout digérer, demandez-lui de vous présenter les règles d’Elysium. Ainsi, vous n’aurez pourri la soirée que d’une seule personne.
La légende des cartes
Et le jeu alors ? Essayons de résumer tout le bazar de manière simple. Vous incarnez des demi-dieux ambitieux dont le but est de collecter sbires, artefacts et pouvoirs pour gagner des points de victoire (qui, vous ne le devinerez jamais, vous mèneront à la… victoire, oui). Vous allez devoir choisir plusieurs familles de cartes selon le nombre que vous êtes (à quatre, il faudra cinq familles) et les mélanger pour constituer la pioche. A ces familles correspondent une divinité grecque, et leurs pouvoirs s’en ressentent : ainsi, Athena aidera tous les joueurs tandis que Poséïdon, lui, aura plutôt tendance à abattre sa fureur sur les cartes des adversaires. Le jeu se divise en cinq époques, elles-même réparties en plusieurs phases : une phase de nettoyage du plateau, une phase de recrutement et la phase d’Elysium.
La main de Petrocore (reconnaissable à ses longs ongles de minette) se munit d’une quête. En dessous, ce sont les cartes recrutables.
Pendant la phase de recrutement, on place sur le plateau quatre quêtes, en haut dans le temple, et 12 cartes face visibles juste en dessous. Chaque joueur dispose de quatre petites colonnes de couleurs différentes, qui lui serviront à acquérir quêtes et cartes à tour de rôle, sur quatre tours. S’il n’y parvient pas (parce qu’un fifrelin lui aura soufflé sous le nez toutes les cartes correspondant à la couleur de ses colonnes restantes OU qu’il ne lui reste plus de colonnes), il devra prendre une quête inachevée en cas de manque de quête ou une carte de citoyen en cas de manque de cartes. Chaque carte acquise a un effet, sur le long ou le court terme.
C’est donc pendant cette phase que votre sens stratégique sera mis à l’épreuve. Il vous faudra déjà bien faire attention à ce que vous choisissez et dans quel ordre pour ne pas vous retrouver gros-jean-comme-devant avec des colonnes inutiles, mais aussi prendre en compte les effets des cartes que vous placerez dans votre domaine. De quoi faire des combinaisons de malade ? Voir plus loin (ouais, je fais comme le livret d’Elysium).
Niveau matos, faut quand même avouer qu’on est servi !
Puis vient la phase d’Elysium, qui sera votre principale pourvoyeuse de points de victoire. Ici, moyennant finance (ÉPIQUE !), vous pourrez sacrifier les cartes de votre domaine pour les faire passer dans l’Elysium. Et qu’est ce qu’il faut faire dans l’Elysium, mh ? Et bien je vais vous le dire moi ! Comme vous pouvez le voir sur l’image ci-dessus, les cartes ont une valeur 1, 2 ou 3. Avec ces valeurs, vous allez devoir « écrire des légendes », c’est à dire regrouper un max de cartes de même valeur et de familles différentes (ex : toutes les cartes « 2 » des familles d’Ares, Athena, Hades etc.) OU ALORS regrouper les cartes 1, 2 et 3 de la même famille. C’est ce qui a valu au jeu le surnom mesquin de « jeu des 7 familles deluxe ». Plus vos légendes sont grosses, plus vous avez de points de victoire. Voilà, en somme.
On attend encore le souffle épique
Malgré une intention louable, nous nous sommes follement ennuyés. Et pas seulement parce que la compréhension des règles nous avait déjà bouffé une bonne heure de la soirée.
Les effets des cartes, tout d’abord. Pour ce qui est des combos de ouf dont je parlais un peu plus haut, on repassera : les effets des cartes sont très peu spectaculaires et représentent rarement une véritable menace. Pour nous qui sommes des habitués de Magic, Smash Up ou encore Munchkin, en somme des jeux où les cartes ont des effets destructeurs avec des possibilités de synergie monstrueuses, c’était la misère. Le contraste est encore plus violent quand on lit le nom des cartes : Phobos et Deimos qui rapportent un peu de point de prestige ? Ah bah oui, ce sont juste les fils d’Ares qui sèment la désolation sur les champ de batailles, rien que ça ! Charybde et Scylla qui enlèvent un point de victoire et une pièce d’or ? Il fallait bien deux monstres légendaires pour déclencher cet effet démentiel !
L’écriture des légendes est elle aussi dépourvue de tout héroïsme : on se retrouve au final à faire des familles de cartes en payant de l’or. Flavius a très bien résumé notre impression : le système serait parfait si le jeu tournait autour du monde mercantile (genre marchands grecs VS marchands phéniciens, un truc dans cette veine). Mais là, non, je suis désolé, on ne va pas me faire croire que j’écris des légendes en devant jouer au marchand pour fabriquer des suites de cartes. C’est d’autant plus frustrant que les cartes sont très jolies et que le thème est respecté dans tout le matériel du jeu, jusque dans le rangement de la boîte qui est un modèle du genre.
Nemarth se prend la tête dans tous les sens du terme. C’est pas bon signe.
Je suis très amer. Malgré des qualités indéniables, Elysium ne constitue pas selon moi un jeu réussi. Alors qu’il est censé nous faire incarner des demi-dieux grecs, cette impression de puissance céleste ne se fait jamais ressentir. Les auteurs du jeu ont-ils été victimes de l' »hybris« , cette notion de démesure orgueilleuse contre laquelle les grands auteurs grecs ne cessaient de nous mettre en garde ? Probablement. Les gars de Space Cowboys auraient du redescendre d’un étage pour placer Elysium dans un univers plus humble tourné autour du commerce qui s’y prêtait à la perfection.. Désolé, mais je ne me remets toujours pas d’avoir fait entrer Phobos et Deimos dans la légende en échange de deux pièces d’or.
Ce que d’autres Trolls en pensent :
Flavius : Malheureusement Pétrocore a très bien analysé ce jeu. Nous avons été assez unanimes sur l’espèce de torpeur qui s’est emparée de nous à mesure que la partie avançait. Nous y avons rejoué avec Nemarth et le verdict reste inchangé. Cela manque cruellement d’enjeu.
Mais je voulais surtout lancer un coup de chapeau aux illustrateurs qui ont fait un travail fabuleux. Je ne connais que Vincent Dutrait (dit le bien nommé) dont j’apprécie beaucoup les œuvres mais les autres, dans leur propre style, ne sont pas moins talentueux. Certains emploient exclusivement les outils numériques vis à vis desquels je reste partagé et qui ont pourtant trouvé grâce à mes yeux sévères (mais justes). Les cartes, la boîtes, les éléments du décor de jeu, tout est au même niveau et transpire l’épique… et finalement ce ne fait que mettre en exergue la trivialité des mécaniques de jeu. Trop de contraste, trop de promesse pour un jeu des sept familles.
Lazylumps : Elysium va avoir sa place dans les jeux bien vendus, mais malheureusement très décevant. Passer plus d’une heure à déchiffrer des règles qui pourtant ne sont pas si compliquées que ça… c’est comment dire… Assez glaçant. On s’est vraiment demandé si les Maîtres du Jeu ne se foutaient pas tout simplement de notre gueule ou s’ils n’avaient pas abusé grandement de substances psychotropes. Décevant, c’est le terme qui convient le mieux à Elysium.. Bourré de promesse, mais frustrant.