Child of Light et Black Knight Sword : Les développeurs jouent aux conteurs
Quand une boîte veut créer un jeu vidéo, elle a à sa portée de nombreuses sources d’inspiration. Cinéma, littérature, histoire etc. Y a de quoi faire. Un truc qui marche pas mal en général, c’est le conte de fées. On a l’habitude de voir ça dans les dessins animés et le cinéma : les innombrables Disneys et consorts par exemple ou, dernièrement, les superproductions hollywoodiennes qui s’amusent à changer nos classiques en blockbusters (et qui sont invariablement de bonnes grosses bouses fumantes). Dans les jeux vidéos par contre, c’est un peu plus rare. Ou alors juste quelques références de ci de là mais peu d’œuvres qui y sont intégralement dédiées.
Aujourd’hui penchons-nous sur deux jeux entièrement inspirés des contes de fées, « Child of Light » et « Black Knight Sword ». Bien qu’ayant de nombreux points communs (ils sont dématérialisés, coûtent moins de vingt euros, ont un graphisme très particulier…), ils représentent deux facettes complètement opposées d’une démarche similaire : offrir au joueur un conte de fées dont il est le héros. Vaste programme.
« Child of Light » et « Black Knight Sword ». L’un vient de l’occident, l’autre de l’orient. L’un est un RPG au tour par tour, l’autre un jeu de plate-formes. L’un est mignon, l’autre est violent. L’un est très accessible, l’autre pour les acharnés. L’un est moderne, l’autre est old-school. On pourrait continuer ainsi pendant longtemps tant la liste est longue. Si nous les voyions plus en détail ?
Il était une fois, deux jeux… (Ouais c’est un peu trop prévisible comme intro. En fait ça pue laissez tomber, on va juste se la jouer classique sans transition et passer direct à Child of Light)
Un jeu indé qui n’en est pas un
Child of Light est un jeu vidéo développé par le studio Ubisoft Montréal. Pour la petite blague, le studio avait d’ailleurs présenté son bébé comme un jeu indépendant… Oui oui, Ubisoft Montréal, qui a aussi crée entre autres Farcry3 ou la franchise Assassin’s Creed. Un jeu indépendant. Vous voyez la bonne grosse tentative de récupération marketing de merde ?
Passons. Comme tout bon « jeu indépendant », Child of Light se devait d’avoir un petit plus que toutes les grosses productions aseptisées n’avaient pas. Les canadiens d’Ubisoft Montréal ont pour ce faire décidé de taper dans la poésie mignonnette des contes de fées. Histoire de façonner un univers à la hauteur de leurs ambitions, ils ont décidé d’utiliser UbiArt, le moteur graphique des monstrueux Rayman Origins et Rayman Légends.
Avec un moteur aussi beau, difficile de se planter.
Mais bon, c’est pas le tout d’avoir de chouettes technologies sous le coude, il faut aussi avoir une histoire à raconter. Child of Light, c’est l’histoire d’Aurora, une petite noble, fille d’un gentil duc d’Autriche. Elle avait une maman très belle et sympa, toute habillée en blanc, mais qui est morte il y a quelques années. Le duc s’est alors remarié avec une autre dame, toute habillée en noir (vous noterez l’habile subtilité). Tout va pour le mieux… Jusqu’à ce que PAN ! Aurora succombe elle aussi à un sommeil sans fin. Le duc dépérit de voir ainsi sa fille chérie lui échapper. Mais est-elle vraiment morte ? Et bien oui, le jeu s’arrête ici. Fin.
Non je déconne. On découvre qu’Aurora est bloquée dans un monde étrange, Lémuria. Que fait-elle ici ? Où doit-elle aller ? Comment revenir dans son Autriche natale ? Qui a volé l’orange du marchand ? Autant de questions auxquelles il vous faudra répondre alors que vous avancerez dans le jeu.
Votre héroïne en jeu. Ouais, c’est un peu magnifique.
Un peu de fond, beaucoup de forme
Je ne sais pas si cela est dû au fait que je bouffe des contes par brouettes ou au manque d’imagination des développeurs, mais coté scénar, Child of Light est simpliste. Il y a bien un ou deux twists inattendus, des trouvailles assez intéressantes mais pas de quoi se relever la nuit. Le dénouement d’un classicisme effarant ne marquera pas les esprits, soyons en certains, et il n’est pas rare de deviner à l’avance ce qui va se passer. Oui, l’histoire de Child of Light est belle mais vue, revue et re-revue. C’est vraiment dommage car on sent une réelle volonté de vouloir faire différent, mais il suffit de gratter un peu le vernis pour découvrir la teneur véritable du produit. Mention spéciale aux deux femmes du duc : on leur aurait collé sur le front un post-it avec écrit « je suis la gentille » et « je suis la méchante » que ça aurait été à peine moins grossier. Quant à la « « « magnifique » » » trouvaille de faire parler tout le monde en rimes pour faire plus « conte de fées lol », y a énormément de monde qui a trouvé ça bien, moi j’ai juste trouvé ça atrocement énervant et, comble du comble, pas toujours bien écrit. J’aurais préféré ne trouver des vers que pendant la scène d’intro ou les scènes de transitions, ça aurait permis de plus les chiader, genre tout en alexandrin. Là, le résultat est inverse : les dialogues perdent en spontanéité mais ne gagnent pas forcément en beauté. On peut très bien accoucher d’une œuvre poétique sans faire parler tout le monde en vers, nom d’une pipe !
Ce qui n’est pas tout à fait réussi sur le fond l’est par contre sur la forme : Child of Light est beau. Il est même très beau. Ceux qui ne sont pas coutumiers du moteur UbiArt vont tomber à la renverse tant le graphisme traité comme un gigantesque tableau défonce la rétine. Chaque zone de jeu a une réelle identité très forte, et quelques passages peuvent même être qualifiés de chefs d’œuvres visuels (je pense immédiatement au géant sur lequel est juchée la ville des Bolmus, les hommes-souris). Vu que votre personnage ne mettra pas longtemps à savoir voler, vous allez pouvoir vous faire plaisir à explorer les recoins de ce monde haut en couleur. Les personnages comme les ennemis bénéficient d’un chara-design léché qui donne envie de partir à la rencontre de tous les peuples de Lemuria. Dommage en passant que les personnages secondaires aient été un peu expédiés, on reste sur notre faim quant à leur background et leurs motivations
Une scène de combat normale. Putaing, c’est chouette
Les combats ont eux aussi été touchés par la créativité du studio. Je vais essayer de vous expliquer : en bas de l’écran se trouve une barre à 80 % bleue et 20 % rouge (à vue d’œil). De petites icônes représentant vos personnages et vos ennemis progressent sur la barre bleue. Quand l’icône d’un de vos personnages atteint la partie rouge, le jeu vous propose les différentes actions qu’il peut effectuer. Une fois celle ci choisie, l’icône progresse sur la barre rouge, à vitesse variable selon le temps que demande votre action (boire une potion est court tandis que lancer un gros sort de masse est très long). Quand elle arrive au bout de la barre rouge, l’action s’effectue. Le truc marrant à savoir, c’est que si quelqu’un est frappé alors que son icône est sur la barre rouge, il se prendra une « interruption » dans la face et reculera au beau milieu de la barre bleue ! A vous donc de jouer intelligemment avec ce facteur pour remporter la bataille avec brio ! Notons aussi que certains ennemis seront plus sensibles à l’eau, la foudre, la lumière, aux dégâts physiques etc. et que vos personnages ne seront donc pas toujours efficaces selon la situation.
A ce système très dynamique se rajoute Igniculus, une petite luciole que vous promènerez pendant l’exploration mais aussi sur le champ de bataille pour aveugler les ennemis, vous soigner, récolter des points de vie etc. Idée amusante : la luciole pourra être contrôlée par un éventuel deuxième joueur. Child of Light réussit le pari de rendre le concept de « combat au tour par tour » palpitant, alors que la plupart du temps, faut le dire… c’est chiant quoi.
Notons enfin que la musique a été confiée à Cœur de Pirate (quel nom étrange). Je m’attendais au pire mais force est de le constater : la bougresse a été efficace, livrant une BO de qualité. Les musiques de combats sont épiques, celles des phases d’exploration sont emplies de notes nostalgiques et de mélodies enchanteresses. Mention spéciale à l’absence de paroles qui nous évite de calamiteux « Moi je t’aime encore et toi tu m’aimes encore plus fort ». Merci.
Child of Light est un excellent jeu, surtout au prix ridicule de 15 euros tout juste sorti du four. Doté d’une ambiance unique, beau à en crever et agréable à jouer, je ne peux que regretter un classicisme agaçant dans la narration. La volonté de créer une histoire originale et de ne pas tomber dans la facilité de ré-adapter un conte existant est louable. Malheureusement, cette histoire originale, j’ai l’impression de l’avoir déjà entendue des dizaines de fois.
Mais ne nous méprenons pas : je conseille vivement ce jeu à quiconque cherche un petit îlot de douceur dans cet océan de brutalité.
Ça vous dirait de voyager un peu ? Faisons donc cela et allons fouiner du coté du théâtre de marionnettes japonais. Vous ne le savez peut-être pas, mais ce style de représentations est tout un art au pays du soleil levant. Que se passe-t-il lorsque l’on décide de s’en inspirer pour un jeu vidéo ? Et bien on sort Black Knight Sword.
Ce jeu a été crée par Grasshoper Manufacture, un studio connu pour ses productions atypiques. Si celles-ci sont appréciées pour leur originalité, elles sont par contre très souvent plombées par des problèmes techniques récurrents.
Étrange ? Vous avez dit étrange ?
L’harmonie du bizarre
Comme pour Child of Light, le jeu qui nous intéresse possède un graphisme en adéquation avec son sujet. Partant du principe que l’on nous raconte une histoire de marionnettes, tous les décors, les personnages et les ennemis ont été modelés comme s’ils étaient en papier et coloriés à la main. Quelques éléments d’arrière-plan ont été ajoutés en ce sens, comme cette marionnette de chat mue par une baguette de bois qui marche sur un petit muret lorsqu’on passe devant. Un détail tout petit, certes, mais qui nous immerge dans le délire des développeurs.
Mais que raconte alors ce joli théâtre ? L’une des histoires les plus étranges que j’aie entendue. L’histoire de la plus belle princesse qui ait jamais existé. Mais cette princesse était aussi d’une incroyable cruauté et tuait qui elle voulait pour son bon plaisir. Une petite fée noire nommée Black Hellebore prit alors la forme d’une épée et se mit au service du Chevalier Noir pour aller terrasser cette jolie donzelle aux beaux cheveux blonds.
Si cette histoire vous semble peu convenue, attendez alors de voir la suite. Black Knight Sword possède un univers torturé, glauque et violent doublé d’une horrible absurdité. Vous voulez un exemple ? Lorsque le rideau s’ouvre, vous découvrez votre personnage. Un homme pendu dans sa chambre d’hôtel. Ambiance. Vous devrez faire bouger votre joystick de gauche à droite pour que la corde finisse par rompre et le fasse tomber à terre. Il se relève, se frotte la nuque, et va attraper en traînant les pieds l’épée Black Hellebore pour devenir le chevalier noir. Alors que votre héros avancera, l’arme au clair, vous ne cesserez d’être à la fois étonné et dérangé par le monde que vous allez découvrir. Cette sensation grisante sera renforcée par la brutalité du soft, qui vous fera pourfendre vos hideux adversaires dans de généreuses gerbes de sang. Bizarre, je vous dis. Très bizarre.
Tout cela n’est peut-être pas très clair alors laissez moi vous raconter le quatrième niveau de cette aventure.
« Je commence dans une forêt banale. J’avance et tue tous les loups que je croise. A la fin de la forêt, me voici sur une longue route goudronnée qui passe à travers le désert. Des hommes maigres en caleçon et arborant des masques bariolés essaient de s’agripper à moi. Ils y parviennent parfois et s’accrochent dans mon dos en gémissant d’amour, m’empêchant de sauter par dessus ces têtes patatoïdes montées sur pieds. A force de volonté, je parviens près d’un bar à motards où je dois pourfendre deux squelettes qui chevauchent des motos en forme de cochons géants. Le combat est âpre mais je m’en tire, et continue ma route dans le désert. Après avoir évité tous les missiles nucléaires qui m’étaient tirés dessus, je parviens à la fête foraine. Je découpe mon passage à travers des biscottes de quatre mètres de haut et parviens à la tour où se trouve le boss du niveau : une gigantesque araignée dont la tête est couverte d’un masque à gaz.
– Bordel… mais comment t’as fait pour finir ça ?
– J’ai été aidé, pardi ! Par un œil géant au milieu d’un soleil, qui a bien voulu me soigner si je lui laissais dévorer le cœur de mes ennemis. »
Et j’en oublie.
Difficile de poser une atmosphère sans une musique au diapason. Si Black Knight Sword n’a pas eu l’honneur de bénéficier des talents d’une star de la musique (suivez mon regard…) il n’empêche que ses compositions collent très bien au thème. Parfois pompeuses, parfois très sombres, souvent discrètes, toujours superbes, elles consolident l’étrangeté et la noirceur du monde dans lequel nous sommes plongés. Je voulais d’ailleurs toper l’OST du jeu mais tu parles, vu le « succès » qu’il a connu, c’était trop espérer.
Dans d’autres jeux, il y a des magasins pour acheter des items. Dans Black Knight Sword, il y a… ça.
Au niveau de la narration, c’est très épuré. Tout est raconté par la voix d’un homme, une voix calme et solennelle, et dont la VF est remarquable (pour changer). Elle apparaît au début de chaque niveau pour nous exposer la version complètement dégénérée d’un conte assez court (dont l’un des personnages sera le boss du niveau, donc faites attention). Ces petites histoires sont au passage agrémentées de jolies images faites à la main et défilant comme dans un kamishibaï, les petits théâtres d’images japonais. Le narrateur reprendra parfois la parole au cours des niveaux, pour nous annoncer, implacable, le combat contre un boss ou pour proclamer, triomphant, la victoire du chevalier noir sur l’ennemi. Comptez aussi sur lui pour annoncer que votre énergie est au plus bas voire, pire, votre mort.
La trame de l’histoire vous paraîtra décousue, ça c’est clair, mais soyez patients. Vous devrez attendre l’histoire du dernier niveau pour que tout s’éclaire. Enfin presque tout, la nature absurde du jeu laissant de nombreuses questions en suspens. Quel est ce monde, à la croisée du contemporain et du médiéval ? Qui étions-nous avant de devenir le chevalier noir ? Et d’ailleurs, pourquoi nous ? Et ce gros œil muni de plusieurs bouches qui fait office de boutique, qu’est ce qu’il fait là ? A nous de faire marcher notre imagination. Après tout, n’est ce pas un peu le but ?
Ambiance originale, gameplay old-school
Parlons du jeu en lui même. Black Knight Sword a été pensé comme un jeu de plates-formes à l’ancienne. A la maniabilité très old-school s’ajoutera donc une difficulté assez retorse qui pourrait en décourager plus d’un (vu et approuvé). On touche donc aux problèmes fréquents évoqués plus haut qui sont caractéristiques du studio Grasshoper : la maniabilité du chevalier noir est un peu lourde. Le pire reste l’esquive. Pour effectuer la roulade arrière, très pratique pour éviter les assauts de tout plein d’adversaires, il vous faudra appuyer sur Bas + Saut. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir donné une touche dédiée ? Le gameplay ayant été voulu simpliste, de nombreuses touches inutilisées auraient pu faire office de bouton d’esquive ! Vous vous retrouvez donc avec un mouvement vicié, qui ne deviendra naturel qu’après quelques heures de jeu et surtout de frustrants Game Over. Ce bâton dans les roues enlevé, à vous de voir : les amateurs de choses plus modernes reprocheront au jeu ce retour en arrière dans le gameplay, les autres (comme moi) apprécieront l’hommage rendu aux jeux hardcore type ghouls ‘n ghost (en moins impossible quand même, faut pas déconner)
Il y a aussi une partie shoot ’em up sur une poule géante… Bah quoi ?
On pourra aussi parler, dans les sujets qui fâchent, de la durée de vie. La trame principale, si tant est qu’on soit un acharné du pad, se torchera en quelques heures et vous obligera, si vous voulez voir la vraie fin, à tout recommencer en mode New Game +. On a quand même rajouté un mode arcade dispensable et quelques défis, histoire de fignoler. Je sais que le jeu coûte pas cher mais bon, voilà quoi, on a la dalle.
Black Knight Sword est un jeu à l’ancienne autour duquel on aurait tissé la version malade d’un conte de fées. Le soin donné aux graphismes si particuliers et l’atmosphère glauque unique en font un produit subversif, à l’heure où les scénarios de jeux vidéo ont tendance à rester plats et peu novateurs. Les quelques lourdeurs du jeu et une difficulté parfois délirante (New Game +, je te hais) sont par contre une sacrée épine dans le pied. On aurait aussi préféré, plutôt que de se taper deux fois le même jeu (New Game +, je te re-hais) une aventure principale plus longue.
Le mot de la fin :
Je suis heureux de voir, en tant que grand amateur de contes, que lorsque les développeurs de jeux se penchent sur ce genre littéraire, il en ressort quelque chose d’extraordinaire. Child of Light et Black Knight Sword, chacun à leur manière, sortent des sentiers battus et proposent une expérience vidéo-ludique qui en vaut la peine. Je me suis beaucoup amusé à comparer les deux jeux tant les ils sont différents mais se ressemblent à la fois. Quant à vous, si vous ne les avez pas encore testés, je vous les recommande chaudement : malgré leur petite durée de vie et les quelques défauts suscités, ils sont toujours supérieurs à une grosse majorité des block-busters du moment, et ce pour un prix six fois plus petit.
NOTE : si les bandes-annonces que j’ai postées ici sont en anglais, rassurez-vous : les jeux, eux, sont en français.
Amen, bro !
Child of light, mais ça vaut aussi pour la série des Trine ou Ori and the blind forest, proposent des décors tellement somptueux doublés d’une histoire accessible… du coup comme le gameplay suit globalement plutôt bien (même si les phases de boss sur Ori peuvent être hardcore) ce sont des jeux top !
De bons exemples à montrer à tout ceux qui pensent uniquement GTA, Call of Duty et cie lorsqu’on leur parle de jeux-vidéos.