[Antre pour Trolls] Checkpoint, le bar retrogaming aux manettes de bière
Je me pose au comptoir avec la chanson Still Alive en fond. Juste à côté de moi, un mec galère comme pas permis sur Crash Bandicoot. « Je me rappelais pas que j’étais aussi nul ». Je prends une pinte pression d’une certaine Cuvée des Trolls (un nom qui nous va bien). Tout autour, entre des canapés, un cimetière de manettes et quelques figurines, des gens bourrent des boutons en plastique en se marrant, rageant et fixant des écrans. Là le patron me demande : « Je te sers quoi avec ? Une Game Boy Advanced avec Tetris ? »
C’était mon premier passage au Checkpoint et, oui, c’est bien un bar. Rencontre avec les Super Bistrot Bros.
Regarder dans le retro
Jessy et Romain se sont rencontrés au lycée. A l’époque, avec les potes de leur bled de campagne, ils faisaient leur ciné club : toutes les semaines, un chef-d’œuvre et un nanar. Et il se trouve qu’il y avait toujours une console qui traînait. Un soir où ils picolaient des bières et tâtaient de la manette (« une soirée normale quoi »), ils se sont dit que ce serait cool de créer un endroit où ils n’auraient pas à choisir entre sortir boire un coup, rencontrer des gens… et rester jouer à la console. Et ça tombe bien, ils avaient déjà l’attirail : NES, SNES, Master System, Megadrive, Game Cube, N64, Game Boy, PS1 et 2,… Les vieilles rombières sont maintenant les piliers de ce comptoir.
Le Checkpoint a ouvert le 14 mars 2015 à Dijon et il s’agit d’une curiosité : un bar retrogaming. Le principe est simple : des coins console partout, criblés de contrôleurs, quelques bêbêtes portables qui traînent, le tout en libre service. La seule condition : consommer. Un café, un verre, une pinte, un shooter d’endurance, de vie ou de mana (véridique),…
Le Checkpoint, c’est un peu comme les Legos Starwars : la réunion improbable de deux trucs déjà géniaux séparément, en l’occurrence les jeux rétros et le troquet bonne ambiance.
« Quitte à avoir tout ça, autant en faire profiter les gens et ouvrir cette culture-là. C’est un milieu super intéressant, super convivial. » Une carte pour chaque console : il suffit de sortir la cartouche et de la ramener au comptoir pour demander le jeu qu’on veut. Ils ont commencé avec un catalogue de 120 bestiaux. Puis des clients leur en ont ramené un ou deux qui traînaient. Ou des sacs entiers. En un mois, le stock a doublé. « On sait même plus où les mettre et nos cartes ne sont pas à jour ».
Ils cherchent encore de plus vieux morceaux, comme une Commodore 64 ou une Atari ST, mais s’ils ont commencé à la NES et la Master System « c’est parce que c’était des consoles grand public. Même la NEO-GEO, c’était déjà un produit de luxe à l’époque ». La Dreamcast, elle, « c’est une super console mais elle tient pas la longueur. Aujourd’hui pour en trouver une en bon état… »
Press start
Lancer un commerce, ce n’était pourtant ni leur projet, ni leur formation. « On était d’éternels étudiants de première année », rigolent-ils. Anglais, Beaux Arts pour Jessy, puis un taf de commercial sans rapport et sans passion. Pour Romain : littérature, histoire et histoire de l’art, archéo, puis « parti à Paris vivre son rêve de journaliste (dans le jeu vidéo bien sûr), revenu bredouille ».
Ils se sont lancé pleinement en août 2014. Le bail en octobre puis 5 mois de travaux. Inauguration le 14 mars : c’est presque un speedrun. « Monter ta boîte, être chef de chantier et comptable en même temps, des trucs qu’on n’avait jamais fait et qu’on découvrait en même temps ». La première fois que je m’y pointe, Jessy sert une bière avec d’infinies précautions : « Eh moi je suis barman que depuis samedi ! »
Et aucun autre établissement similaire en France duquel s’inspirer (depuis, ce serait plutôt eux qui font des émules – normal pour du retrogaming). « Le concept est novateur sans être complètement hallucinant : il y avait un créneau à prendre. Ce qu’on nous a dit, c’est que tout le monde ici attendait un bar comme ça ». Ils ont quand même été voir du côté de Paris, au Meltdown, bar plutôt orienté sur la scène du sport électronique, du multijoueur compétitif en ligne, des LANs et des retransmissions de matchs. Un type de bar qui fleurit un peu partout (Montpellier, Nantes, Lyon,…) avec la montée de l’e-sport. « On y allait plutôt pour voir ce qu’on n’avait pas envie de faire. Le fait d’avoir tous ces PC en réseau, ça a un côté… solo. Très fermé, avec ton casque, penché sur ton ordinateur ». Ce qu’ils recherchent eux, c’est le côté canapé, posé, convivial des jeux retros. « Le but c’était de créer le bar où on serait comme à la maison. Des gens qui ont jamais touché à une manette, tu les mets devant Super Mario, y’a une croix directionnelle et deux boutons, en deux minutes ils s’éclatent ». Les jeux présents au Checkpoint ont été conçus pour des gens qui n’avaient pas encore beaucoup joué, puisqu’ils étaient les précurseurs. « Dans un bar e-sport, j’ai regardé un match de Dota 2. Je savais qu’à l’écran il se passait des trucs de ouf mais je ne comprenais pas. C’est un monde d’initiés et nous on voulait faire le contraire ». Le Checkpoint travaille déjà avec des assos qui veulent faire découvrir le retrogaming.
Pas trop select
Concernant le public, immédiatement au rendez-vous, « il y a de tout. Ça dépend des jours et de l’heure« . Jessy aime bien les après-m’, où viennent des gens qui n’iraient pas « dans les bars se mettre la tête ». Ils viennent prendre un cappuccino pour avoir accès aux consoles. Il y a aussi des familles avec des parents ravis de retrouver la Master System de leur enfance et les gosses qui font des efforts pour appréhender ces ancêtres de leurs jeux pour tablettes. « On a des couples qui se sont rencontrés chez nous (déjà !). Ils se mettaient sur la tête à Street Fighter et ils sont repartis ensemble. L’histoire parfaite ».
Certains sont même plus vieux que ce qu’ils imaginaient, des « papas du jeu vidéo » qui avaient déjà la trentaine quand la NES est sortie, qui viennent jouer et boire de la bière. « Surtout boire de la bière ».
« Il y a aussi clairement un côté hype ». Le retrogaming revenant dans l’air du temps, le bar prend un côté « the place to be ». « Tant mieux ! » Certains ne sont pas du tout joueurs et viennent par curiosité. « On nous demande comment allumer la console ou comment tenir la manette. » « Ou des jeunes qui veulent changer le jeu sur la NES et ne savent pas où il est ». Pour leur défense, j’avoue avoir moi-même cherché quelques instants comment sortir la cartouche en compagnie d’un autre type qui avait pourtant lui aussi connu la console enfant. Mais ça aussi, c’était un moment retrogaming et convivial (« Il est où le bouton pour éjecter ? Ah non c’est vrai… »)
« Au début, on nous disait que ça ne marcherait pas parce qu’on allait attirer que des jeunes et que les jeunes, ils n’ont pas de sous. Sauf qu’un mec qui avait 10 ans quand la NES est sortie, maintenant il en a 40. » Au moment des soirées étudiantes, là on trouve un public plus fêtard. « Mais ils jouent quand même ! Après on est un peu victime de notre succès. C’est pas facile de trouver une console libre un soir de week-end ».
Et toi ? A quoi tu joues ?
Bien sûr, eux jouent depuis longtemps. Après ces consoles-là, ils sont devenus des joueurs PC (sauf Jessy, qui avait une 360, en tant que gros fan de la série des Fables… passion que ne partage pas Romain si j’en crois le débat auquel j’ai assisté). Ils ont d’ailleurs un petit poste pour jouer dans la réserve. Jessy a aussi eu « une sale période World of Warcraft ». « Quand je te dis que j’ai raté deux années de fac d’anglais, bin c’était ça ». Il a freiné le jour où il s’est rendu compte qu’il était connecté depuis 25h. Romain, lui, c’est plus Counter Strike (« pas FPS en général hein : Counter Strike »).
Et bien sûr les jeux indés : Bastion, Binding of Isaac, Super Meat Boy, Don’t Starve, « tous les trucs cools« . « Il y a quand même un tri à faire. Beaucoup de gens surfent sur cette vague du retro pour vendre 1500 exemplaires de leur jeu pourri ».
Ils prévoient d’ailleurs des évènements autour de ces jeux indés (récents mais proches dans l’esprit de ce qu’on trouve au Checkpoint), grâce à un rétroprojecteur.
Les tournois conviviaux de Mario Kart et autres, ça aussi c’est prévu, avec les poules disputées dans les canapés et la finale projetée, avec des goodies à la clé (« peut-être un buste de Johnny pour le deuxième, pour que t’ai bien la haine d’avoir perdu »).
Ils envisagent aussi de faire venir des gens de la scène vidéoludique pour des speedruns directement sur la console d’origine (« l’émulation, plus on peut éviter, mieux c’est »), des master class avec des développeurs, etc. « On a aussi un recordman du monde de X-Moto ». Si ça c’est pas la classe absolue.
Ivre, Tail se met AFK (Away From Komptoir)
Le Checkpoint, c’est un peu l’endroit qui se devait d’exister et qui tardait à arriver. L’ambiance des consoles de salon de la grande époque appliquée à un lieu convivial, ouvert, avec un public varié : la preuve que le jeu vidéo, c’est pour tout le monde, il suffit de le découvrir.
Des bières, du café, une bibliothèque volante et des jeux à l’ancienne : une idée qui te fait juste dire « Putain mais oui ! Evidemment ! » L’e-sport commence déjà à avoir ses enseignes alors que ça aurait semblé impensable il y a 10 ans, alors au moment où le retrogaming est dans le coup, cela devait arriver et ça commence par le Checkpoint. Et le plus réussi, c’est que malgré le côté tendance de ce revival, ces passionnés ont créé un lieu vivant, pas un musée hype pour s’extasier devant un tableau figé de Space Invaders ou l’image morte d’une console de collection. Parce que ça, ça n’est pas l’esprit de cette génération de jeux. Le Checkpoint ne leur offre pas un hommage ou une belle épitaphe mais une seconde vie. Et si ces bécanes tournent toujours, c’est pour qu’on joue avec elles, non ?
Crédit photos : Kathleen Brun
Pour se retrouver au Checkpoint : 68, rue Jean-Jacques Rousseau, 21 000 Dijon
Ouvert du mardi au samedi de 14h à 2h et le dimanche de 15h à minuit
Facebook : https://www.facebook.com/lecheckpointbarretrogaming?fref=ts
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