The Binding of Isaac : prendre un enfant par la main
Je vais vous raconter une histoire. L’histoire d’Isaac. Isaac est un petit garçon qui vivait tranquillement dans une maison sur la colline, seul avec sa Maman. Maman aimait beaucoup regarder la télé, surtout les émissions sur Jésus. Mais un jour, Maman a commencé à entendre la voix du Seigneur lui disant qu’Isaac vivait dans le péché et qu’il avait besoin d’être purifié. Maman décida alors d’enfermer Isaac dans sa chambre, sans jouets et sans vêtements afin de le protéger des tentations du monde extérieur. Mais cela ne suffisait pas à la Voix et elle demanda à Maman de sacrifier son fils pour montrer sa dévotion. Entendant sa mère approcher armée d’un couteau de boucher, Isaac tomba sur une trappe mystérieuse dans sa chambre et décida de fuir en s’enfonçant dans les ténèbres du sous-sol.
Plongée au cœur des ténèbres
Me voilà donc dans le sous-sol. Toutes les histoires d’Isaac commenceront par une salle semblable. Une pièce sombre et inamicale, une petite musique triste, plusieurs choix de sorties devant toi, et au sol, les seules indications que tu auras pour essayer de t’en sortir. Bouger, utiliser des items, poser des bombes et tirer.
Ça a l’air cosy chez Isaac. J’aime beaucoup la porte avec les piques et les traces de sang.
Enfin tirer… pleurer serait plus exact. Car avec tout ce qui lui arrive on comprend qu’Isaac soit un peu chagrin. L’avantage de ces larmes c’est qu’elles vous permettront de vous défaire des nombreux occupants de ce sous-sol. Mais n’allons pas trop vite. N’écoutant que mon courage, je me dirigeai vers la porte dorée qui me semblait plus amicale. A l’intérieur rien, si ce n’est un objet posé sur un socle. Ce n’est jamais la même chose selon l’histoire. Ça peut être utile ou non. Tu peux le prendre ou le laisser. Dans cette histoire ce fut une cuillère tordue et grâce à elle mes larmes commencèrent à aller directement dans la direction des monstres, comme douées d’une pensée propre. Ne pouvant pas m’arrêter là je passai dans une autre salle.
Et là la vraie folie commence.
Parce que chaque salle ou presque présente un danger. Parce que les habitants du coin sont tout sauf amicaux. Des araignées qui crachent du sang ou d’autres araignées, des mouches agressives, des corps sans tête, des squelettes… Merde au bout d’un moment on se fait même attaquer par des vagins cracheurs de sang ou des sortes de spermatozoïdes explosifs.
Et toi tu ne peux que leur pleurer dessus.
Finalement j’arrive à vider les salles de leurs habitants mécontents. Il ne me reste plus qu’une porte. Une porte que j’avais évité jusqu’à présent. Je me disais que la tête de mort sur ma carte et la porte c’était pas amical. Mais je n’ai plus le choix si je ne veux pas que Maman me rattrape. Et là c’est le drame…
Oui ce boss est bien un caca géant !
Ne me laissant pas désespérer par cette rencontre (en même temps je pleure déjà depuis le début), je réussis à nettoyer tout ça au Karcher comme dirait l’autre. Et là une nouvelle trappe. Pour aller plus bas. Pour recommencer à parcourir des salles peuplées de monstres dangereux et agressifs. Pour s’enfoncer plus loin dans les ténèbres. Pour affronter ses peurs et finalement sa peur suprême, Maman.
Mais même là est-ce seulement la fin ou le début d’un nouveau cauchemar ?
Un gameplay simple pour un jeu infini
Pour affronter ces donjons lugubres, le gameplay d’Isaac apparaît au premier abord on ne peut plus simple. Fortement inspiré de The Legend of Zelda, jouer à Isaac se résume en quelques boutons : 4 touches pour se déplacer, 4 touches pour tirer/pleurer dans les 4 directions, E pour poser des bombes, A pour utiliser les consommables (pilules ou cartes) et Espace pour utiliser les items actifs. Une interface assez épurée avec une carte du niveau à droite et tes items et points de vie à gauche. Alors là on pourrait se dire « Ben ça va on a vu plus difficile. Je te les finis easy avec une main dans l’froc tes 6 niveaux. Il est où ton jeu infini, rends l’argent ». Sauf que non. Mais alors pas du tout.
L’apparente facilité et accessibilité du gameplay est en fait un piège.
Le jeu est en fait composé d’une multitude d’éléments qui peuvent se combiner entre eux à l’infini. Tout se base notamment sur deux concepts intimement liés : le rogue-like et la RNG ou random number generator. Le rogue-like est un terme appliqué à un genre de jeu particulier dont la particularité est que les niveaux sont générés de manière aléatoire grâce notamment à ce fameux RNG. Ce qui fait qu’on peut recommencer le jeu 10 fois, 100 fois, on aura pas les mêmes niveaux, les mêmes ennemis et la même expérience. Mais ça ne s’arrête pas seulement aux niveaux en soit, c’est le cas aussi pour les objets que l’on trouve. Et si je vous dis qu’il y a actuellement plus de 300 objets disponibles dans les dernières versions du jeu et qu’ils peuvent tous se combiner entre eux ?
Ça fait que chaque partie est différente.
Ça, c’est tous les objets potentiellement disponibles dans Isaac… ça fait beaucoup.
Et là c’est le drame (le deuxième de l’article mais bon). Parce que c’est la base d’un gros mind fuck du joueur. Par un merveilleux mécanisme psychologique, il se passe un phénomène assez étrange quand tu termines une partie de The Binding of Isaac, notamment celle où tu meurs avant la fin. Tu te retrouves devant cet écran de game over t’annonçant que tu t’es fait tuer et que tu lègues tout ce que tu as trouvé à ton chat Guppy et là… tu commences à te dire…
« Bon allez merde, c’est parce que j’ai pas eu de bol sur les salles et sur les objets. La prochaine fois j’aurais de meilleurs items. Je peux faire ce boss. Je fais une partie rapide et puis j’arrête »
Et là t’es foutu. Parce que c’est chaque fois comme ça. Chaque fois tu penses que ça va mieux se passer, que tu prendra cet objet, que tes objets vont se combiner pour faire un truc ultra-pété, que tu vas arrêter de jouer comme un sac et pas perdre tes points de vie sur chaque salle.
Et ça recommence.
Et tu meurs à quelques salles du boss final. Et tu relances parce que… bon… si t’avais su… t’aurais pas fait ça donc tu referas pas l’erreur. Et non c’est une illusion : une partie rapide n’existe pas.
Alors tu recommences.
Que rajouter ? Peut être que chaque objet influe sur l’apparence d’Isaac et que tu peux passer d’un truc complétement dégueu avec des mouches te sortant des oreilles à un truc kawaï mais glauque (la transformation en Guppy le chat mort) pour finir à un truc totalement démoniaque avec des cornes et une tête coupée crachant du sang… qu’il y a en plus de cela un système de salle cachées accessibles seulement avec les bombes… que t’as un système économique avec des magasins dans lesquels tu peux acheter des items, des cœurs de vie, la carte du niveau ou encore des clés… que plus tu avances dans le jeu et plus tu bats des boss et plus, en fait, tu débloques de nouveaux boss (passant de 6 niveaux de base à 8 voir 10).
Et puis merde quoi ! Vous connaissez beaucoup de jeux qui vous donnent une nouvelle expérience à chaque fois que vous le lancez ?
Et pour moins de 20 euros ?
Tout ça pour quoi ?
Un jeu avec une rejouabilité quasi-infinie c’est bien joli mais c’est pas forcément suffisant me direz vous. Effectivement et c’est bien pour ça que the Binding of Isaac c’est aussi un univers ultra ultra-référentiel et une histoire plus complexe et cryptique qu’il n’y parait au premier abord qui participe à la motivation poussant à relancer le jeu une nouvelle fois.
Les références sont trop nombreuses pour être toutes notées ici (et puis c’est à vous de le découvrir aussi). A savoir que de nombreux éléments du jeu, tant sur les items que sur le gameplay font référence à d’autres jeux ou des éléments de la geek-culture. Comme dit précédemment, le level design est fortement inspiré des donjons dans the Legend of Zelda. On se retrouve avec, à chaque étage, plusieurs salles remplies d’ennemis à combattre, une salle contenant un item, un système de clé, des bombes pour faire exploser des murs et bien sûr un boss de fin de niveau. On va jusqu’à pouvoir acheter une carte et une boussole. Les items contiennent beaucoup de références à d’autres univers vidéoludiques tel que Mario (les champignons, l’item pour sauter), Minecraft (la pioche) ou encore Super Meat Boy (autre jeu développé par la même équipe). On trouve également des références dans certaines phases de gameplay. Je pense notamment à l’affrontement contre Mom’s Heart rappelant les plus belles heures des shoot’them’up de bornes d’arcade.
Les références les plus intéressantes pour l’histoire concernent bien sûr la religion. Le titre Binding of Isaac est la traduction anglaise de l’épisode biblique de la ligature d’Isaac ou sacrifice d’Isaac. Cet épisode de la Bible raconte comment Dieu a demandé à Abraham de démontrer sa foi en sacrifiant son fils Isaac. Le lien entre cette histoire et le jeu est donc d’autant plus évidente (bien que dans l’épisode biblique, Dieu stoppe le geste d’Abraham avant). Les autres personnages jouables sont également des références directes à la Bible : Cain, Eve, Samson, Judas, Madeleine. On peut rajouter à cela de nombreux items faisant référence soit au sacré (la Bible, le Graal, le halo de l’ange, la sainte croix,… ) soit au démoniaque (le livre de Belial, la marque 666, le pacte, le pentagramme,… ). Ces élément ajoutés aux différentes cinématiques de fin peuvent nous aider à comprendre l’histoire qui reste, selon Edmund McMillen (créateur du jeu), ouverte à de nombreuses interprétations.
Je ne vais pas vous spoiler ici et je pense que c’est au joueur de faire son avis. Plutôt quelques pistes de réflexions: L’interprétation la plus simple est de prendre tout ça au premier degré, de considérer qu’on est dans une sorte de conte triste et macabre et de se dire que ce pauvre Isaac a vraiment pas de bol d’être tombé à la fois sur une mère qui a visiblement pété un câble et le sous-sol de sa maison habité par Satan lui même. Cependant… si on y regarde bien… Ces monstres, par exemple, ressemblent pour beaucoup à Isaac lui même. Et puis bon, les rapports du garçon avec la mère, le père absent les références nombreuses au pipi/caca/sexe ou aux animaux de compagnie (morts bien évidement), c’est pas pour faire du Freud de comptoir mais ça fait très « peurs et angoisses de l’enfant ». Je n’irai pas plus loin ici mais là où, encore une fois, le jeu est tordu, c’est que seul le fait d’arriver à faire les différentes fins avec les différents personnages et de faire attention à plein de petits détails plus ou moins métaphoriques vous permettra d’avoir une vue d’ensemble sur l’histoire et le destin d’Isaac.
Rebirth : vous reprendrez bien 500 heures de jeu ?
Après une extension intitulée Wrath of the Lamb (« la colère de l’agneau ») sortie en 2012 et ajoutant déjà des boss et personnages supplémentaires, des centaines de nouveaux objets (et donc de combinaisons) et des versions alternatives (plus dures) des niveaux existants, Edmund McMillen annonce en 2013 la préparation d’un nouvel opus servant de rework de l’original mais en se débarrassant notamment du moteur graphique Flash pour plus de stabilité et moins de bugs (moi même j’ai eu la surprise plusieurs fois de me rendre compte que certaines petites astuces ne marchaient plus). Le jeu intitulé The Binding of Isaac : Rebirth est présenté par un petit trailer totalement dans l’ambiance du jeu et sort finalement en novembre 2014.
On sent la grosse ambiance pas du tout glauque ou pas ?
En plus des 7 personnages déjà disponibles sur le premier Isaac (6 originaux + 1 dans Wrath of the Lamb), Rebirth introduit 4 nouveaux personnages à débloquer : Eden, Lazare, Azazel et The Lost. Les deux personnages les plus intéressants en terme de gameplay sont sans doute Eden et The Lost. Eden est généré à chaque fois de manière aléatoire (finalement comme le jeu) avec donc des caractéristiques et des items différents à chaque fois. Le petit plus étant que tu as besoin de jetons (tokens) pour pouvoir le jouer, comme sur une borne d’arcade (jetons que tu débloques en battant Maman). The Lost, quant à lui, est juste le concept le plus sadique jamais inventé : pas de point de vie et pas de possibilité d’en gagner ! Donc tu te fais toucher, TU MEURS ! Et donc TU RECOMMENCES ! Depuis LE DÉBUT ! EN PERDANT TOUT TES OBJETS !
Rajoutez à cela 150 nouveaux items (actifs ou passifs) portant donc à un total de plus de 300 objets différents (et un nombre de combinaisons/synergies quasi-infini). Des nouveaux boss, des nouvelles salles aux propriétés particulières, un nouveau système de fonctionnement des magasins, des nouveaux challenges… et je suis sûr que j’en oublie.
Et puis comme si ça suffisait pas ou si le jeu n’était pas assez punitif par moment, ils ont rajouté un mode de difficulté Hard. Mode hard qu’il te faudra terminer avec tous les persos si tu veux débloquer tous les succès mais aussi tous les objets, donc avoir le maximum de possibilité de gameplay.
Personnellement j’en suis à 400h de jeu sur Isaac et quasiment une centaine sur Rebirth. Sachant que les jeux sont régulièrement en solde sur Steam pour moins cher que gratuit, c’est un des achats les plus rentables qu’il m’ait été donné de faire.
The Binding of Isaac, sous ses apparences de petit jeu indé cache un jeu aux mécaniques beaucoup plus complexes qu’il n’y parait et au potentiel addictif assez élevé. Indubitablement un de mes coups de cœurs de ces dernières années, l’arrivée de Rebirth a replongé les joueurs dans des heures acharnées de jeu afin de décrocher le Platinium God (100% des succès). À ne certainement pas mettre entre toute les mains, notamment les plus jeunes ou les âmes sensibles, Isaac est une expérience glauque, sombre et profondément malsaine à plusieurs moments, malaise accentué par ces graphismes enfantins.
Finalement, le but d’un jeu n’étant-il pas de déterminer le destin de son protagoniste, à vous d’interpréter si ce qui vous arrive est réel ou pas et donc de déterminer le destin d’Isaac… et de réessayer… encore… et encore…