Anasterry, la fragile utopie
Anasterry est une baronnie dont la culture, la richesse et la tolérance sont un exemple pour tous leurs voisins. Elle ne semble pas avoir de défaut, ses habitants y vivent en paix et épanouis, ses dirigeants sont respectueux et attentionnés. Tout ça est beaucoup trop parfait pour Renaldo, le fils du baron voisin et son meilleur ami Thelban, qui vont être envoyés pour fouiner et trouver la faille… Si elle existe.
Spy vs Spy
Ce premier tome de la série Les rhéteurs (ceux qui savent rhétorer, enfin qui connaissent la rhétorique, enfin qui savent parler joli…) est un roman d’Isabelle Bauthian, auteur qui officie surtout dans la BD. Elle nous présente une fantasy calme et poétique qui fait la part belle aux discussions, elle va directement à contre-courant de tout un sous-genre dont l’épique est le moteur principal. Pas d’héroïsme exacerbé ici, les personnages sont subtils et civilisés même si il y a un aspect militaire, on est bien loin des grandes sagas pleines de bastons à la hache et à l’épée. Les deux héros viennent de la baronnie de Montès, alliée mais toujours un peu rivale. Ils ne cherchent pas la guerre mais veulent juste fouiner un peu, un petit espionnage amical quoi, rien de méchant… Ils sont donc accueillis et traités en invités par les locaux qui veulent leur montrer les bienfaits de leur société.
Le duc du coin reçoit nos deux espions en les mettant au défi de trouver ce qu’ils cherchent, ça donne un air de jeu à l’enquête mais l’aspect un peu ridicule, c’est qu’il dit « OK, allez-y, vous avez libre accès à tout notre territoire, vérifiez par vous-même, vous ne trouverez rien… mais surtout, surtout, VOUS AVEZ INTERDICTION FORMELLE D’ALLER DANS LES MARAIS ! ». Évidemment, abruti, c’est pas du tout suspect, on a pas du tout envie d’aller dans les marais maintenant…
En dehors de ça, les personnages principaux sont très travaillés et le lecteur s’attachera à Renaldo sans problème. Malgré ses défauts et sa vision du monde conditionnée par son éducation, il arrive à se poser des questions, à évoluer pendant son enquête. Thelban et Constance, une militaire d’Anasterry qui va les prendre en charge pendant leur séjour, sont aussi bien développés et attachants. J’ai eu plus de mal avec les personnages secondaires, à la fois nombreux et un peu survolés mais le soin apporté au développement des héros occulte ce défaut assez facilement. Par contre la petite « histoire d’amour » du roman est très téléphonée et ne surprendra personne, le truc bien basique.
Amateurs d’action, il faudra donc passer votre chemin, Anasterry met du temps à vraiment démarrer et contient pas mal de dialogues-débats sur les vertus de la société utopique qui nous est présentée, c’est parfois passionnant, parfois long, parfois chiant comme un caillou sous la pluie. Le premier tiers du roman est quasiment consacré à l’analyse des vertus de la société et aux discussions entre les personnages, ça m’a rappelé La zone du dehors d’Alain Damasio qui se perdait aussi pas mal en discours politique au lieu de développer sa trame, hésitant entre œuvre de fiction et essai politique. Or ici on parle utopie et société parfaite, à se demander si le script n’était pas à l’origine destiné au « Tremplin pour l’utopie » organisé par les indés de l’imaginaire y’a quelques mois.
La politique pour les nuls
Le problème n’est pas de parler des vertus d’un système politique, on peut très bien le faire, mais lorsqu’elle développe ça en touchant à la tolérance, au féminisme, à l’éducation populaire, Isabelle Bauthian ne fait pas vraiment dans l’original. Montès méprise les « Dilués » (des métisses humains-créatures féériques), glorifie l’art martial et militaire, et les femmes y sont visiblement inférieures aux hommes alors qu’Anasterry prône la paix, l’égalité des sexes et l’intégration des peuples de toutes origines. Les bourrins cons-cons versus les gentils sages donc. Vous me direz, tout ça est fait pour motiver la quête de cette faille du système que veut trouver Renaldo, mais ça fait un poil binaire dans la construction.
Pourtant, une fois passée la moitié du récit ça prend enfin, on soulève quelques tapis et on trouve les trucs planqués… Enfin le truc planqué… Et la l’histoire démarre, le livre prend du rythme et devient vraiment plaisant. L’aspect « enquête policière » passe au premier plan, on se demande qui sait quoi, qui est complice, qui est victime, il y a du danger et du mystère. Le truc bizarre c’est qu’on nous a bassinés pendant une grosse partie du livre sur « la faille du système parfait d’Anasterry » mais le mystère qui est révélé… n’a strictement rien à voir avec le système en question, c’est un bon vieux drame personnel qui touche certains protagonistes mais n’a aucun lien avec le principe même de gouvernance de la baronnie, du coup on se demande à quoi servait tout ça. C’est bien, mais c’est vain.
Anasterry fait partie du trio de romans qui lancent le label « Bad Wolf », un groupement d’auteurs indépendants mais pas si débutants que ça puisque tous issus du monde de la BD. Ils se sont dit que ce serait sympa de bosser ensemble pour lancer leurs livres respectifs. Aux côtés de celui-ci, on retrouve donc Le souper des maléfices d’un certain Christophe Arleston (Lanfeust de troy, Les naufragés d’Ythaq, etc…) et Les poisons de Katharz de Audrey Alwett (Sinbad, Princesse Sara, Les aventuriers de la mer…). Ces trois titres sont donc publiés au format numérique et papier et distribués dans une petite boutique de quartier qui s’appelle Amazon. Comme souvent, le mauvais côté de la scène indépendante est le manque de relecture : L’écriture de dame Bauthian est très agréable et fine, mais une armée de coquilles se balade dans le texte, pas au point de ruiner le plaisir de lecture mais c’est toujours dommage (update : la version numérique a depuis été nettoyée de toutes ces vilaines fôtes, réjouissez-vous, bande de pinailleurs !).
Anasterry est un roman fantasy qui change des grosses sorties mastodontes calibrées, c’est une aventure rafraichissante qui explore des chemins inédits dans le genre mais avec quelques maladresses dans le rythme et dans la construction. Je serai curieux de voir ce que nous réserve Isabelle Bauthian dans ses prochaines œuvres, un peu plus de bouteille lui permettra certainement de mettre plus en valeur son écriture soignée et ses personnages attachants.
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