Techno Faerie : le jour d’après sera féerique ou ne sera pas
Depuis la COP 21, comme chacun le sait, la planète est sauvée. Remercions notamment la délégation américaine qui a pris soigneusement le temps de retirer tout caractère juridiquement contraignant au texte sur les points sensibles…. On aurait bien besoin d’un petit coup de pouce pour empêcher la catastrophe environnementale et climatique annoncée depuis des lustres de se produire, et il n’est pas évident qu’on la tienne du côté du politique. En revanche, peut-être que notre folie destructrice se verra sous peu refrénée par celles, qui, nous côtoyant depuis l’aube des temps à notre insu, sont les meilleures protectrices de notre bonne terre. Les faes m’dames et messieurs, les faes !
C’est cette douce, pieuse et rêveuse idée que caresse Sara Doke (et d’autres) dans l’ouvrage Techno Faerie ici présenté par votre serviteur. Celui-ci nous plonge dans un univers étonnant où de charmantes petites créatures ailées (ou pas) élèvent des arbres à coup de tendresse tout autant qu’elles font des rave party avec du gros son. Un curieux mélange que voilà, concocté non seulement au fil des pages par l’auteur mais aussi à l’aide d’une partie imposante (la moitié de l’œuvre environ) se voulant une sorte d’encyclopédie illustrée sur le monde des faes. Certains contributeurs sont connus (Nicolas Fructus) d’autres moins ce qui n’empêche pas d’en prendre plein les mirettes.
Des geekettes parmi les faes
« Dans l’histoire du monde, l’Homme est apparu très tard, mais il s’est répandu trop loin et il a évolué trop vite. Trop est l’excès qui définit le mieux l’Homme. Trop gourmand, trop exubérant, trop inconséquent, trop égoïste, et trop supérieur, bien entendu, jusqu’à mourir à petit feu en détruisant tout ce qui lui est vital. » |
Cette dimension double de Techno Faerie – recueil de nouvelles écrites à divers moments d’un côté, illustrations variées de l’autre – est incontestablement un point fort et participe à faire de l’oeuvre un « livre-univers » attirant, ne serait-ce qu’en tant qu’objet. Mais l’intérêt de la lecture vient aussi de ce que Sara Doke développe les recoins d’un monde qui remet au goût du jour le folklore du petit peuple sans pour autant dénaturer ses caractéristiques originelles.
Illustration © Moutons Électriques
Ainsi nous est racontée l’histoire d’un monde faerique, le Sidhe, s’étant éloigné des sociétés humaines à mesure que celles-ci développaient l’usage du fer, métal auquel les faes sont profondément allergiques. Pendant fort longtemps, seules quelques faes ont encore gardé contact avec les hommes tandis que ceux-ci œuvraient à leur propre destruction. Cependant, la technologie n’est finalement pas demeurée l’apanage de nos congénères : loin de toutes rester indifférentes aux charmes du progrès, certaines faes ont créé une synthèse entre les machines humaines et la magie féerique lors de « la Transformation ». Elles ont ainsi donné naissance à la « technomagie », « l’informagie » et autres joyeusetés.
Les faes sont donc tout aussi hyper connectées et savantes que nous autres dans l’univers de Sara Doke, ce qui les aide à choyer les végétaux qu’elles aiment tant pour notre plus grand plaisir.
Le mélange entre technologie et surnaturel, ancrage dans le monde présent et manifestation du passé fait sortir avec succès le monde faérique des contes et des légendes, tout en lui laissant une part de merveilleux.
La seconde partie faisant l’inventaire des différentes sortes de faes est une petite mine d’informations qui permet de donner encore un peu plus de substance à l’ensemble. Les charmantes (ou pas) petites créatures que nous aimons tant sont classées en sept grandes catégories (faes du végétal, faes domestique, aquatiques et ainsi de suite) et ont chacune une petit fiche et très souvent une jolie illustration. Celles-ci ont des styles très variés, allant de l’anime/manga à des choses plus conventionnelles en passant par des montages photos pas mal du tout. Il y en a pour tous les goûts, toutes les époques ce qui est une bonne chose. L’image choisie pour illustrer les faes musicales provient ainsi par exemple de Franklin Booth, un artiste américain de la première moitié du XXème siècle (ci-contre).
Et les nouvelles en elle-mêmes?
« Il a été le premier à reconnaître les Faes, le premier visiteur humain du Sidhe moderne, le premier observateur et chercheur de cette culture, et il devient aujourd’hui le premier ambassadeur du Petit Peuple dans le cadre du prochain voyage du Titania. » |
L’univers c’est pas l’tout mes p’tits messieurs mais encore faut-il l’incarner dans des personnages et des histoires haletantes. Techno faerie comporte donc huit textes fort différents, n’ayant pas le même point de vue ni souvent les mêmes personnages. Ainsi, l’ouvrage s’ouvre sur le long monologue d’une fae solitaire mais contient aussi un article de journal, une interview ou encore une sorte de nouvelle épistolaire. Bref, là encore, le mot d’ordre est variété, quitte à déboussoler quelque peu le lecteur. Il existe bien un fil conducteur de ces histoires en la personne d’Arthur Passeur, premier Homme amené à découvrir le monde faerique et à en revenir, mais nous ne sommes clairement pas en permanence focalisé sur lui, bien au contraire. La variété des « chapitres » a incontestablement son charme mais peut aussi entretenir une certaine confusion et une impression de récit décousu quelque peu regrettable. Cela d’autant plus que tous les textes ne se valent pas, certains étant franchement mieux que d’autres, ce qui peut casser une dynamique positive de lecture précédemment enclenchée.
Illustration © Moutons Électriques
Techno Faerie paye le prix de son choix assumé d’être une sorte de patchwork plus ou moins cohérent, ce qui pourra rebuter certains lecteurs. Mais ce qui m’a sans aucun doute le plus irrité est l’absence de notes de bas de page : pourquoi ne pas indiquer, à la première occurrence du nom d’une fae, la page de la fiche qui lui est consacrée dans la deuxième partie? Non content, parfois, de mettre un petit moment pour se plonger dans le récit de la nouvelle que l’on vient de commencer, le lecteur doit en plus perdre trente secondes à chaque nouvelle fae qui est citée (surtout lorsque l’on commence). Un manque de synergie entre les deux dimensions de l’œuvre agaçant et à mon sens incompréhensible.
Outre ces aspects qu’il fallait mentionner dans un souci d’exhaustivité et d’objectivité, il n’en reste pas moins que votre voyage en terre faerique sera fort plaisant. On découvre avec émerveillement les joies intrigantes de l’informagie, le doux travail d’une arbrière effectuant la poétique transplantation de son protégé, ou enfin le voyage intergalactique d’Arthur Passeur à bord de son vaisseau spatial enchanté par les faes, tout en rêvassant sur un monde où celles-ci pourraient nous protéger de nos propres erreurs… Qui sait?
Techno Faerie nous propose un univers tendrement poétique, mélangeant technologie moderne et magie des âges passés, qui ne laisse pas indifférent nos aspirations enfantines et notre veine idéaliste. Nous nous laissons aisément aller à cette suspension of disbelief (suspension de l’incrédulité) souhaitée par l’auteur, et ce malgré quelques maladresses compensées grâce aux risques pris par un ouvrage nous proposant à la fois de jolies histoires et de bien belles images. Au total, Sara Doke a ici un canevas solide qui doit lui permettre à l’avenir, espérons-le, de prendre plus d’amplitude dans ses récits. Pourquoi pas un futur roman permettant de distiller plus tranquillement les richesses de sa création?