Les 47 Rônins, par Osaragi Jirô : une légende historique, un classique littéraire
Aaaah Les 47 Rônins ! La version poche du livre fait 1097 pages. Il n’y a pas d’images et c’est pas écrit gros. Autant vous dire que la lecture de cette œuvre a demandé pas mal d’efforts de ma part. Ceci étant, malgré des moments difficiles car fastidieux et parcourus de petites embuches (décrites un peu plus loin dans l’article), je ne regrette pas une seule seconde la lecture de ce bon gros pavé bien fat. Vous allez me dire « ouais mais t’es pas objectif, ça parle du Japon », ce à quoi je répondrai « il doit y avoir un peu de ça ». Pourtant, je n’ai jamais réussi à adhérer au clan des Otori, par exemple, qui s’inspire fortement du Japon médiéval. Mais alors pourquoi ? Pourquoi, bon sang de bois, vas-tu nous répondre espèce de petit Périgordin pédant paragon des… prouts ? (cherchez pas, j’ai trop bu hier soir)
Quelques éléments historiques
Certaines personnes non familières avec le Japon de l’ancien temps (y a pas de malaise, je ne juge pas) pourraient se demander : « mais dis-moi mon p’tit bonhomme (car oui, je suis petit) qu’est ce qu’un rônin ? ». Dans la société japonaise médiévale, il y avait des samouraïs. Ces gens portant le nom d’une sauce étaient les membres d’une noblesse guerrière sur lesquels s’appuyaient des seigneurs de guerre. Ils devaient à ces derniers fidélité, loyauté et plein d’autres trucs du genre. Mais voilà, contexte guerrier oblige, il arrivait que ces seigneurs meurent. Il pouvait arriver aussi que certains samouraïs se montrent indignes du devoir qui leur incombe et qu’ils se fassent limoger. Dans les deux cas, le samouraï devenait alors un rônin, un guerrier sans maître, traité comme un paria et dont le statut était fort peu enviable.
Les 47 rônins, pour rester dans l’historique, c’est à la base un fait divers de l’époque Edo qui a réellement eu lieu (et qui spoile le livre à mort, évidemment, donc à vous de voir si vous voulez lire les lignes qui suivent). En 1701, le daimyo Asano Naganori attente à la vie de Kira Yoshinaka, le maître des cérémonies du Shogun, après avoir été insulté par lui. Le rang important du blessé et le lieu de la tentative de meurtre, le Couloir des Pins du château d’Edo, rend le cas extrêmement grave et la sentence est immédiate : seppuku !
En bonus, voici une autre vidéo : celle d’une pomme de terre s’infligeant une forme de seppuku avant de se jeter dans une casserole
Estampe représentant la tentative d’assassinat
Les terres du seigneur dans la province d’Ako furent confisquées ainsi que son château, on somma ses gens de vider les lieux et les samouraïs à son service devinrent des rônins. Mais plutôt que de s’éparpiller aux quatre vents, ils se réunirent sous le commandement de l’ancien intendant Kuranosuke Oishi et, le 14 décembre 1702, assassinèrent le seigneur Kira dans sa propre résidence. Une fois ceci fait, ils se rendirent aux autorités et furent tous condamnés à se faire seppuku. Ce fait d’arme remarquable, surtout en cette époque de paix, et le fait que tous ces hommes connaissaient le sort qui allait leur être réservé pour cette action les a immédiatement hissés au rang de héros et les a rendus très populaires. Encore aujourd’hui, au Japon, cette histoire est régulièrement retranscrite au théâtre, dans des téléfilms, au cinéma… Ou dans des livres, comme celui qui nous intéresse là.
Il n’y a pas de raison que cette histoire ne se tape pas sa version hollywoodisée. Est-il nécessaire de préciser que celle-ci a une valeur historique discutable (euphémisme)… et une valeur artistique du même acabit.
De l’Histoire romancée, mais de l’Histoire quand même
Avec 1097 pages, on peut s’attendre à avoir du contenu, n’est-il pas ? Le livre regorge de descriptions très détaillées de scènes de tous les jours et d’endroits en tous genres. Il n’est pas rare de voir un (gros) paragraphe dédié à l’intérieur d’une maison type bourgeois d’Edo, de jardins de nobles, de châteaux ou de quartiers entiers. En plus de bien ancrer le récit dans un décor palpable, Osaragi Jirô donne à son livre un intérêt documentaire certain tant il fourmille de détails.
Dans la légion de personnages qui jalonnent Les 47 Rônins, on appréciera aussi de croiser certaines figures historiques. Outre les protagonistes de l’histoire originelle ainsi que l’inévitable shogun Tokugawa Tsunayoshi, on trouve aussi le conseiller du shogun, Yanagisawa Yoshiyasu, l’intendant du clan Uesugi, Chisaka Hyobu (qui est en réalité mort un an avant les faits mais que l’auteur a mis dans le livre quand même, tant mieux vu que c’est l’un des meilleurs personnages), Horibe Yahei et Horibe Yasuei, un samouraï et son fils adoptif au service d’Asano et qui feront donc partie des 47 rônins… Du beau monde !
Les Horibe, père et fils
Le livre insiste aussi sur un thème redondant de la période : le mal-être de la classe des samouraïs durant cette époque de paix. En effet, la période Sengoku-Jidai (la plus grosse guerre civile que le Japon ait connue) est terminée depuis maintenant cent ans, lorsque que le clan Tokugawa a acquis le titre de shogun. Mis à part quelques batailles de ci de là, le pays est bien plus tranquille. La noblesse guerrière s’empâte ou se retrouve incapable de s’adapter à ce système qui fait la part belle aux marchands (caste auparavant méprisée au plus haut point). Cet état de fait permet au shogun Tokugawa Tsunayoshi de faire passer sans que nul ne bronche des décrets futiles et absurdes (la déification des chiens et leur protection extrême). Le faible mais félon Yanagisawa Yoshiyasu est l’archétype du daimyo qui a tout saisi des nouveaux enjeux, laissant tomber les vieilles traditions guerrières pour les petits arrangements mesquins de cour. Le seigneur Asano Naganori est de ces daimyos de province qui n’ont pas compris la mutation de la société : encore pétri par l’honneur, ne supportant pas tous ces artifices de nobliaux, il répond par la violence au maître des cérémonies Kira Yoshinaka qui l’avait insulté et se retrouve broyé par ce système d’intrigues, digne des nobles de l’époque Heian (qui étaient des spécialistes en matière de complot).
Cette distinction entre samouraïs « modernes » et samouraïs « traditionnels » se retrouve tout au long du livre. Faut-il venger son seigneur pour laver son honneur, ou se soumettre à la volonté du shogun pour ne pas briser la paix ? De même, tous ne s’entendent pas sur la manière de préserver le souvenir d’Asano Naganori : doit-on aller tuer le seigneur Kira, ou est-il préférable de ne rien faire pour ne pas entraver la possible nomination du frère cadet d’Asano Naganori à la tête de la famille, ce qui permettrait au clan de perdurer ? La situation est complexe, l’époque est complexe, les personnages se voient souvent dépassés par cette fichue complexité et qui c’est qui doit imprimer tout ce fatras ? C’est le lecteur !
Les 47 rônins… et tous les autres !
Dire que Les 47 Rônins comporte beaucoup de personnages serait un peu léger. Le livre ne se concentre pas à fond sur tous les anciens samouraïs d’Ako fomentateurs de l’assassinat, comme pourrait le laisser croire le titre au premier abord, mais il contient tout de même une farandole de noms qui vont et viennent sous nos yeux incrédules. Si on ajoute à ça le fait que le récit délaisse parfois certains d’entre eux pour les faire revenir des dizaines et des dizaines de pages plus tard, il faut s’accrocher je vous le dis !
Un autre élément vient rendre encore plus déboussolante cette valse de personnages en ce qui me concerne (si ça vous fait la même chose que moi, vous allez en chier) : j’ai TROP du mal à retenir les noms et les prénoms japonais. Y a un moment, j’ai bien failli toper un carnet pour commencer à prendre des notes. Mais c’est pas tout ! Il y a bien d’autres surprises ! Telles que :
- Le personnage que tu penses être très important (tu fais donc un gros travail sur toi pour imprimer son nom) et qui n’est en fait là que pour caractériser l’époque.
- Les personnages qui ont plusieurs noms, à cause de leur titre de noblesse. YOUPI !
- Le personnage que tu penses principal, mais en fait pas du tout.
- Les samouraïs qui ont le bon goût de s’appeler Goemon, Gozaemon, Jinzaemon… histoire de bien te perturber.
- Les personnages qui ont une méga-importance, ils complotent, tout ça, et PAN ! Exil, discrédit, mort ou que sais-je encore (Game of Thrones, si tu me regardes).
Concentration no-jutsu
Je suis allé voir sur le ternet ce que les critiques en pensaient, et il semblerait que la traduction française soit vraiment caca-fougna. Est-ce la retranscription qui est vraiment à coté de la plaque ? Ou le texte original a-t-il été rendu ampoulé à mort par un traducteur adepte de complexification inutile (Game of Thrones, si tu me regardes) ? Il faut avouer que certains paragraphes sont aussi difficiles à avaler qu’une vingtaine de Tucs, de par leur densité.
Mais pouvait-il en être autrement ? Pour synthétiser un peu : Osaragi Jirô se réapproprie une légende ultra-populaire de l’histoire nippone et en fait un roman de cape et d’épée (de katana devrais-je dire), en n’oubliant pas d’inclure des descriptions précises pour donner corps à son récit, inclut une flopée de personnages, historiques pour la plupart, et les fait se jeter dans des complots s’imbriquant les uns les autres, ou dans des histoires parallèles nous permettant de mieux les cerner. Parce que Osaragi Jirô est un auteur consciencieux, il n’oublie pas non plus de livrer pensées et sentiments de tout ce petit monde. Enfin, cerise sur le gâteau, il nous envoie une réflexion solide sur la société japonaise de l’époque, de l’évolution plus ou moins difficile des guerriers qui l’ont construite, ces derniers sentant leur importance décroître dans cette ère de paix… Allez, avouons. Il fallait bien 1092 pages pour loger tout ça.
Les 47 Rônins ne plaira qu’à un public averti. Avoir une certaine connaissance du Japon médiéval est un bon bonus, et la taille ainsi que la densité du récit en découragera plus d’un. Néanmoins, pour les plus téméraires, l’œuvre d’Osaragi Jirô se révèle intéressante sur de nombreux points. Toujours est-il qu’il a eu sur moi l’effet qu’ont les bons livres : en le refermant, je regrettais déjà de ne plus être aux cotés de ces hommes valeureux et honorables. Putain, ça me donne envie de rejouer à Shogun 2 : Total War tiens !
Ah, merci beaucoup pour le petit comm’, c’est toujours plaisant ! ^^
En tout cas, je me sens moins seul : savoir qu’on a été plusieurs à pleurer des larmes de sang en lisant le livre, c’est toujours réconfortant !
Merci pour ce très bon billet qui correspond complètement à mon expérience de lectrice. Une pensée spéciale pour la traduction tortueuse qui m’a fait maudire le traducteur plus d’une fois et vociférer un lot de très vilains mots