The Devil’s Rejects : Bottage de culs 100% Alabama
The Rocking Dead
Rob Zombie n’est pas n’importe quel réalisateur. Déjà, il s’appelle Rob Zombie, ce qui n’est pas banal. Surtout, le gaillard est à la base un vrai gros métalleux. Fondateur du groupe White Zombie avant une carrière solo, grand admirateur d’Alice Cooper, il a toujours fait baigner sa musique dans un folklore aussi macabre que cinéphile. S’il a réalisé la plupart de ses clips, ainsi que des performances scéniques très visuelles, c’est en supervisant une maison hantée pour le parc d’Universal qu’il s’acoquine avec le milieu du cinoche. Pour quelqu’un venant d’une famille travaillant dans le cirque et les fêtes foraines, on doit admettre une certaine logique.
Son premier film, La Maison des 1000 Morts, vient de ce boulot en parc d’attraction. On y retrouve tout son amour pour les séries B (voir Z) horrifiques, ainsi que les personnages tarés, hauts en couleur et ultra-violents, auxquels il voue un attachement certain. Le petit succès du film, réalisé avec un budget modeste mais courant dans le genre, a appelé une suite. Enfin une fausse suite. Ou plutôt vraie-fausse-suite. Bon, quoique ce soit, ça s’appelle The Devil’s Rejects.
La Maison de Luc Morts (Émile, il s’appelle Émile)
Une suite car ces fameux « rebuts du Diable » sont directement issus de La Maison des 1000 Morts. Dans le premier opus, une bande de djeuns se tapent un tour des pires attractions insolites que peuvent contenir les États-Unis, le tout en se moquant des ploucs bizarroïdes du haut de leur suffisance de petits branleurs. Bref : de la chair à Jason (comme dirait le copain Petrocore à propos de ces teenagers insupportables de slashers dont on attend qu’une chose : qu’ils se fassent défoncer à la machette). Mais le véritable intérêt, c’est la famille de gros déglingués consanguins qui hantent cette maison : les Fireflies (les Lucioles quoi, pas les Mouches de Feu). Une bande de tueurs rednecks, dépravés et sadiques, amateurs de sorcellerie et d’expériences douteuses, à la filiation évidente avec des classiques comme Massacre à la Tronçonneuse ou La Colline a des Yeux. Le tout saupoudré d’un humour noir, plus né d’une certaine alchimie sur le tournage que du scénario d’origine, et qui leur donne de faux-airs de Famille Adams.
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La Maison des 1000 Morts, film de passionné cinéphile avant tout, ne s’écarte que peu du modèle du slasher avec confrontation entre jeunes urbains suffisants et un Sud aussi reculé qu’hostile. On note déjà, cependant, un attachement tout particulier pour ces figures de tueurs dont il dresse le portrait. « Tout le monde s’en branle des gamins », répondait Rob Zombie à la prod’, qui regrettait qu’on ne s’attarde pas plus sur ces têtards. C’est ainsi, tout naturellement, que The Devil’s Rejects se concentre sur quelques membres de cette famille pas bien sous tout rapports.
Ça c’est pas un pitch de princesse
The Devil’s Rejects suit la traque de trois membres des Fireflies : l’heureux papounet Captain Spaulding, la fille Baby Firefly et le tueur psychopathe adopté Otis Driftwood. En effet, leur baraque a subi un raid tout en dentelle (qualifié de « bottage de cul 100% Alabama »), laissant plusieurs membres du groupe sur le carreau. Le shérif en charge de l’affaire s’avère être un gros bourrin sudiste et illuminé, parti en croisade sanglante contre les Fireflies, suite à la mort de son frangin dans le premier opus.
Loin du trip slasher grand-guignol / maison hantée de La Maison des 1000 Morts, ce rejeton bâtard se lance ainsi dans une road movie bad ass, mâtiné de western violent et teinté d’horreur, qui rappelle tantôt La Horde Sauvage, tantôt Tueurs-Nés ou Thelma & Louise. Un objet atypique qui baigne plus encore dans une ambiance redneck et crasseuse au fil d’étendues désertiques, de motels miteux et de bars à putes ruraux.
Des flics pas trop sudistes et années 70. Si peu.
Gueules cassos
The Devil’s Rejects trempe ainsi dans une ambiance bad ass et craspec savamment travaillée. Il suffit de voir le formidable making-of « 30 Jours en Enfer » qui accompagne l’édition DVD pour le comprendre : Rob Zombie n’est pas un simple métalleux bas du front qui déglutit sans discernement ses influences les plus Z. Sa filiation avec le cinéma d’exploitation et l’esthétique contestataire des années 70, il l’entretient avec un soin déroutant. Sous les dreads et les tatouages, on découvre un artisan consciencieux qui réfléchit son œuvre et son rapport au spectateur.
A commencer par le choix de Phil Parmet à la direction de la photo, choisi pour son expérience dans le documentaire, qui donne au film son grain et son style caméra-épaule. La musique, elle, à grands coups de Lynyrd Skynyrd, ancre ses racines dans les classiques du bon gros Sud qui fleure la bouse de vache aux hormones. Mais également par un casting de gueules invraisemblables, à la limite du freakshow.
Rob Zombie s’est entouré d’une écurie qu’on retrouve à l’affiche de la plupart de ses films, avec un goût certain pour les légendes oubliées qui n’est pas sans rappeler Tarantino. On retrouvera alors, au côté de son égérie et compagne Sheri Moon Zombie, des comédiens comme Ken Foree (héros du cultissime Dawn of the Dead et chouchou des séries Z), William Forsythe (rien moins qu’un des gaillards d’Il Était une fois l’Amérique et flippant de puissance en shérif fan de la Bible et d’Elvis) ou encore l’inénarrable Dany Trejo (alias Machete). On notera également que le film est dédié à la mémoire du copain Matthew McGrory, géant (littéralement : 2,29m), proche de la scène métal que certains connaissent pour son rôle à l’échelle dans Big Fish de Burton.
Tons jaunâtres, décors d’un Sud arriéré, mise en scène reportage, tronches inoubliables et répliques chocs : Rob Zombie n’a oublié aucun élément dans sa marmite de sorcier.
Cachez ces saints que je ne saurais voir
Mais l’aspect atypique de Devil’s Rejects tient à quelque chose de plus profond : sa relation au spectateur et à l’identification. Que l’on soit clair : si Rob Zombie avait sa place dans notre semaine redneck, c’est surtout par son rapport très particulier à ces personnages de dégénérés du fin fond des États-Unis.
« Le prochain truc que tu sors, ça a intérêt à être du putain de Marc Twain, parce que ça va être ton épitaphe. »
Dans La Maison des 1000 Morts, on sentait déjà cette envie de dérouler le tapis aux tarés, comme un Massacre à la Tronçonneuse qui irait s’enticher de la famille de Leatherface. Avec une ambiance moins plouc, sa reprise d’Halloween (postérieure à The Devil’s Rejects) jouait encore sur cette corde. Si le Michael Myers de Carpenter était conçu comme une sorte de trou noir humain, représentation d’un mal total et insaisissable, Rob Zombie a cherché à imaginer d’où pouvait venir la noirceur absolue, en une sorte de récit des origines plongé dans la violence sociale et la folie ordinaire.
Cependant, son jeu ne consiste pas qu’à développer une empathie pour des psychopathes pourtant impardonnables, mais à déceler chez chaque personne la part malsaine et dégénérée. D’ailleurs, il ne cherche pas réellement à humaniser ses tueurs en faisant d’eux de faux-méchants doués d’une quelconque morale. Non, il les montre sans édulcorants : affreux, sales et méchants. Un parti pris qui rend d’autant plus forte l’image d’autres personnages, en apparence plus « socialement acceptables », mais tout aussi dingues ou immoraux. En somme, si l’on sait bien que Michael Myers est un psychopathe irrécupérable, Rob Zombie aime à se demander pourquoi mais surtout si son beau-père, ses petits camarades, ses geôliers ou son psy lui sont tant supérieurs moralement qu’ils le prétendent.
Poussant cette logique à son paroxysme, The Devil’s Rejects pose un très gros problème d’identification. Il n’existe aucune autre justification aux actes atroces des Fireflies que leur sadisme et leur folie (là où son Myers peut être vu comme une figure au destin plus injuste). C’est pourtant bien à eux qu’il va vouer notre empathie, au travers de leur solidarité familiale, de leurs petits gestes d’amitié et de leur désir fou de liberté. En miroir, le représentant de l’ordre qu’est le shérif, s’impose comme un personnage, certes en quête de vengeance, mais tout aussi violent et sadique. De ce fait, on se retrouve face à un film où il est difficile de se positionner, sans gentil ou méchant (ou alors avec uniquement des méchants), dont on ne pige pas très bien quel est le propos. La frontière est extrêmement ténue entre l’empathie et la glorification de parfaits enfoirés. Bien heureusement, Rob Zombie est quelqu’un qui semble réfléchir sérieusement au feu avec lequel il joue (ce qui n’est, à mon humble avis, pas le cas de tous les réals « provocs » du cinéma de genre).
Cette ambiguïté sera généralement le plus grand obstacle pour le spectateur face à The Devil’s Rejects, tout en ayant contribué à son statut culte pour ceux qui auront apprécié qu’on les triture là où ça dérange. Qu’on apprécie ou non les choix de Zombie (ainsi qu’une écriture assez particulière, entre phrases chocs et excès en tous genre), The Devil’s Rejects reste un objet filmique à part dont on peut reconnaître les qualités d’expérimentation et l’excellente facture.
Soyons clairs : The Devil’s Rejects ne plaira pas à tout le monde.
Pas parce qu’il est trop violent (sa violence est globalement bien plus psychologique que visuelle). Pas parce qu’il serait un bidule incompris pour initiés. Tout simplement, Rob Zombie s’y essaie à une mayonnaise qui ne prend pas chez tout le monde, aussi bien pensée soit-elle. Entre une filiation radicale avec le cinéma de genre des 70’s et sa façon de mettre en avant les pires raclures de l’univers, sans laisser au spectateur quelque bouée d’identification à laquelle se raccrocher, on sera tantôt dérangé, tantôt subjugué, tantôt totalement mis en-dehors du film.
Rien de tout cela n’empêchera de saluer The Devil’s Rejects comme l’une des œuvres les plus radicales, redneck et bad ass de ces dernières années.